Jouer, c’est bien, à deux, c’est mieux… Mais pourquoi ?

  • Le Festival international des jeux se tient à Cannes de vendredi à dimanche dans un contexte de succès populaire croissant pour le secteur du jeu de société.
  • A cette occasion, 20 Minutes consacre une série d’articles sur le monde du jeu et les questions qui l’animent.
  • Aujourd’hui, nous nous penchons sur le triomphe des jeux à deux, qui s’est confirmé en 2022 après s’être accentué avec les confinements.

« Ma femme me le demande tous les jours, vous en recevez quand ? » De quoi peut bien parler cet homme paniqué ? D’un jeu. Plus précisément Tokaïdo Duo. « On a des clients qui passent nous le demander chaque jour mais il était en rupture de stock. Là c’est bon, il est de retour. » Le succès de Tokaïdo Duo est symptomatique d’une tendance plus large dans le monde ludique : le triomphe des jeux à deux.

Autre indice de cette tendance, District Noir fait partie des trois nommés à l’As d’or, décerné au Festival international des jeux de Cannes. Et il s’agit d’un jeu à deux. « Il y avait beaucoup d’autres jeux à deux parmi les présélectionnés, confie Cynthia Reberac, commissaire générale du festival. Avant, il y avait déjà des jeux à deux mais en magasin et dans les festivals, c’était un peu considéré comme un handicap de ne pouvoir être joué QUE à deux. Depuis le confinement c’est devenu un élément de vente. Les éditeurs mettent des autocollants « jeu à deux », il y a des espaces dédiés en boutique… »

Des couples qui découvrent le jeu à deux

« Franchement, être nommés pour l’As d’or, on n’y croyait pas du tout, confie Mathias Guillaud, cofondateur de Spiral Editions, éditeur de District Noir. 2022 a été une année folle pour les jeux à deux et on est hyper fiers d’être dans cette sélection, surtout dans la catégorie Tout Public. »

Le jeune éditeur (District Noir est leur premier jeu) mais « vieux » joueur a constaté l’essor des jeux à deux ces dernières années. « J’étais vendeur de jeu il y a quinze ans, et le rayon des jeux à deux existait déjà. Il y avait Mister Jack, Catan à deux… Les gens nous en demandaient, ça a toujours été identifié. Mais le succès colossal de 7 Wonders Duel a changé les choses. A partir de là, on a su qu’il y avait un gros marché potentiel. Puis il y a eu le confinement… »

Pendant et après le confinement, le secteur du jeu de société a connu un boom, et particulièrement les jeux à deux. « 59 % des personnes qui ont découvert le jeu de société pendant le confinement ont continué à jouer et à acheter des jeux, explique Cynthia Reberac. Or, les gens ont beaucoup été confinés en couple. Donc, parmi les nouveaux joueurs, il y a beaucoup de couples de joueurs… »

Un classique ludique

Pour autant, Mathias Guillaud nie avoir tenté de surfer sur une tendance avec District Noir. « On a surtout eu un coup de cœur pour ce jeu. On a mis du temps à choisir notre premier jeu. On n’allait pas se lancer sur un énorme jeu très cher avec plein de figurines, on voulait un jeu facile à produire. Mais c’est vrai qu’en tant que joueur, on aime bien les jeux à deux… »

Et cette idée se confirme parmi les communautés de « gros » joueurs. Les jeux à deux sont souvent les meilleurs jeux. Pourquoi ? Pour répondre à cette question, le mieux est encore de se tourner vers le pape du jeu à deux, Bruno Cathala, auteur de 7 Wonders Duel mais aussi de nombreux autres jeux à deux aux succès colossaux, dont Splendor Duel, sorti en 2022, et qui est variation à deux d’un classique du jeu de société.

La contamination virale

« Je ne fais pas que ça mais j’ai toujours créé des jeux à deux, j’ai une appétence et une facilité pour ça, raconte Bruno Cathala. J’imagine que c’est une question de connexions neuronales. Moi je suis un enfant des jeux classiques à deux : les échecs, le jeu de go, Othello… » L’auteur a aussi constaté que l’accueil fait aux jeux à deux a changé ces dernières années.

« Il y a vingt ans les éditeurs me disaient : « Il est sympa ton jeu à deux mais il ne se vendra pas. » On est dans un loisir qui fonctionne sur le principe de la contamination virale. On va acheter un jeu parce que quelqu’un nous en a parlé ou nous y a fait jouer. Or, avec un jeu à deux, on contamine moins de gens, il va rester dans le cercle du couple. »

Outre le confinement, Bruno Cathala estime que c’est la nature même des jeux à deux qui fait leur succès actuel. « Pour adapter Splendor en mode duel, j’ai eu l’idée de ce plateau sur lequel seraient installées les gemmes à collecter. Je voulais que ça génère une tension., avec le plateau qui va se vider petit à petit… »

Tu perds, je gagne

Tout comme les classiques de notre enfance – la bataille navale, Puissance 4 ou Qui Est-Ce ? -, les jeux à deux d’aujourd’hui sont des jeux tendus. « Un jeu à deux est plus agressif, ce sont toujours des jeux d’affrontement, se réjouit Bruno Cathala. Il y a des joueurs qui n’aiment pas quand ça fight. Parce qu’à deux, on s’attaque, on se vole des cartes, on se détruit des ressources… On a des ressorts ludiques qui sont insupportables pour certains. »

A l’inverse, à deux, on n’a qu’un adversaire. Et on évite les débats sans fin du style « Pourquoi tu m’attaques moi et pas elle », les alliances de circonstance autour d’une table, les « tous contre un »… En tout cas, Bruno Cathala en est sûr, « c’est plus facile pour moi de faire de bons jeux à deux ». Mais c’est quoi un bon jeu ?

« D’abord il faut que la règle soit simple et sans ambiguïté, mais qu’il y a des dilemmes permanents, et qu’on ne soit jamais enfermé dans un système. Et surtout, à la fin d’un bon jeu, quand tu as gagné, tu sens que tu as été plus malin. Et quand tu as perdu, tu te dis que l’autre a eu juste un peu plus de chance… »

Les gros jeux se jouent mieux à deux

Mathias Guillaud voit un dernier argument en faveur des jeux à deux. « Il y a beaucoup des très bons jeux prévus pour des tables de quatre joueurs et plus mais qui tournent très bien, et même parfois mieux, à deux. Par exemple, Les aventuriers du rail, ou alors Wingspan… Pour ces gros jeux, attendre son tour est parfois ennuyeux. Et à plus de trois, on joue un peu chacun dans son coin. Alors qu’à deux, on joue plus vite et on peut essayer d’embêter l’adversaire, il n’y a qu’une personne à abattre ! »

Ainsi, né dans l’intimité de couples en confinement, le triomphe des jeux à deux pourrait bientôt être la source de nombreux divorces…

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