"Je ne suis pas folle, je suis autiste"

Dans les articles qui relatent le parcours de femmes s’étant découvertes autistes sur le tard (pour des raisons entre autres relatives à l’éducation genrée et aux biais sexistes de la médecine, les filles/femmes autistes tendent à être sous-diagnostiquées, ou diagnostiquées tardivement- ndlr), une phrase revient souvent dans la bouche des interviewées pour exprimer le l’apaisement ressenti après le diagnostic : « Je ne suis pas folle, je suis juste autiste ». Juste autiste. Oui, quel soulagement de pouvoir enfin poser un mot sur sa différence, savoir et comprendre ce qu’on a. Soulagement qui semble toujours prendre la forme de cette même phrase, faussement simple, mise en avant par les journalistes. Ouf, je ne suis pas folle.

Je comprends cette phrase, je la sens, je la revis. Et pourtant… Pourtant elle me dérange, écrite là en gros et en gras dans ces articles. Moi aussi je l’ai ressenti, ce soulagement. Mes crises, la surcharge sensorielle déroutante, le décalage social toujours plus fort au fur et à mesure qu’avançaient les années et que s’améliorait mon costume de caméléon, me faisaient peur. Peur de quoi ? Peur de ne pas avoir ma place dans la société, de ne pas être capable de travailler. Peur d’être contrainte à prendre de la médication lourde, ou faire des séjours en HP. Peur de voir ma parole confisquée, mon consentement dévalué. Peur de ne plus comprendre ma propre personnalité sous cette couche de « folie ».

Le soulagement du diagnostic…

Alors oui, me découvrir autiste, c’était avoir la confirmation que j’avais raison, tout ce temps. Je sentais au fond de moi que ma réalité existait, que ma perception n’avait pas à être niée, que mon système de pensée était logique. Me découvrir autiste c’était avoir l’espoir que ma voix puisse enfin être prise au sérieux. Me découvrir autiste c’était aussi avoir une explication et trouver le mode d’emploi. C’était déjà une guérison puisque l’on a peur surtout de ce qu’on ne connaît pas et ne comprend pas.

Enfin, me découvrir autiste, c’était aussi un peu le soulagement d’avoir une condition qui quelque part semble préférable à une autre, qui fait moins peur, qui est moins stigmatisée que la « folie », la « maladie mentale ». Oui, j’ai aussi ressenti toutes ces choses, alors même que je militais déjà depuis mon adolescence pour une déstigmatisation des troubles psy et une politisation de la folie. C’était terriblement triste d’en arriver à penser en ces termes, mais dans un monde basé sur des hiérarchies et discriminations, le réflexe de survie amène souvent à se rapprocher le plus possible du modèle des dominants.

À force de retomber sur cette phrase, de la sentir me démanger et déranger toujours plus, je me suis reposé la question : c’est quoi être fol ? De quoi a-t-on peur ?

D’abord, je crois qu’on est fol (le terme est employé par l’autrice comme une version non genrée du mot fou- ndlr)] quand on est seul·e, quand on est différent·e ou à contre-courant de la majorité. Pouvoir mettre un mot sur cette différence et tomber sur d’autres personnes qui la partagent, c’est s’inscrire dans une autre normalité et adoucir le regard sur soi.

…mais aussi la peur de la folie

Ensuite, et principalement peut-être, on a peur d’être fol parce qu’on a peur de ne pas pouvoir faire confiance à ses perceptions, son ressenti, et conséquemment :

– de ne pas être entendu·e, écouté·e, pris·e au sérieux (c’est ce que diront aussi les patient·e·s qui ont enfin le juste diagnostic médical pour une maladie complexe à identifier : « Je ne suis pas fou ou folle, je l’ai bien cette douleur, enfin on le reconnaît »)

– de perdre le contrôle sur soi, ne pas pouvoir maîtriser ses pensées et actes, pouvant aller jusqu’à la dangerosité pour soi ou autrui

La peur de moi-même, je l’ai encore. J’ai peur de la violence de mes crises. J’ai peur de la fatigue, de son intensité, de sa durée et son impact. J’ai peur de la dépression, et même juste de la douleur existentielle née du décalage permanent avec les autres, cette irréductible solitude. Mais j’ai moins peur maintenant que j’ai davantage de clés, ou disons les bonnes clés, pour comprendre mon cerveau et ma place dans le monde. J’ai moins peur maintenant que j’ai trouvé une logique et donné une légitimité à mes ressentis. Je sais que mes sens ne me trompent pas, que mon esprit ne déraille pas ; et quand c’est le cas, je peux retracer le chemin et comprendre.

Pourtant, je ne veux pas avoir à me défendre d’exister comme cela auprès des non-fols, des  » normaux « . Je ne veux pas montrer patte blanche en justifiant : voyez, j’ai ma propre logique, un mode d’emploi, je peux être compris·e, je peux me maîtriser, je ne suis pas comme ces fous et folles, là.

Qu’est-ce que cela dit de comme on considère les personnes qui sont, peut-être, trompées par leurs sens ? Qui ont des perceptions différentes de la majorité, ou une mémoire défaillante ? Considère-t-on qu’il y a des cas irrécupérables ? Qu’une personne qui a, mettons, des hallucinations, se résume à celles-ci ? Est-il impossible d’apprendre à vivre avec sa condition ? Les accès de rage chez les personnes « folles » ne relèvent-elles que de leur responsabilité ? N’est-il pas possible, aussi, pour toute autre personne d’arriver à une meilleure connaissance d’elle-même et un meilleur équilibre, avec ou sans médicaments, avec la bonne grille de lecture et un regard juste sur elle-même ?

Les troubles de la personnalité et l’état de stress post-traumatique se soignent et peuvent s’atténuer avec le temps ; on peut apprendre à vivre avec des conditions qui nous accompagnent à vie (trouble bipolaire, schizophrénie), on peut apprendre à vivre avec les hallucinations, ou anticiper les crises.

Ce soulagement du diagnostic qui écarte une « folie » non identifiée et menaçante, ne devrait-il pas être vécu quelle que soit la condition (auto)diagnostiquée ? S’il n’est pas toujours vécu, c’est aussi que la stigmatisation de certaines conditions et états ainsi que le traitement réservé aux personnes concernées contribue fortement à vivre tel ou tel diagnostic de manière négative. Un autre regard social sur les troubles psy rendrait plus facile l’acceptation d’une condition.

Le mythe de la stabilité

« Ouf, je ne suis pas folle », disent-elles donc, et il ne s’agit pas de nier l’intensité du soulagement que l’on ressent à avoir un diagnostic adéquat (et à se dire que des aménagements sont réalisables, qu’une amélioration existe). Ce qui me dérange, c’est que j’ai également ressenti qu’il est plus simple de dire qu’on est autiste, et d’expliquer qu’il s’agit d’une « différence de fonctionnement » et non d’une maladie, comme pour mieux se faire accepter.

Aux parents, à l’employeur, il faut expliquer les côtés positifs de l’autisme, avec ce sentiment de trahison toujours, trahison envers moi-même et mes incapacités, trahison envers mes camarades qui sont socialement moins accepté·e·s. Il faut mettre en avant ce qu’il y a de bien, pour les rassurer, pour se faire accepter. Il faut faire l’hypocrite parce qu’on a peur d’être encore plus discriminé·e, si l’on parle de tout ce qui est handicapant, compliqué et douloureux au quotidien.

Mais se dédouaner des troubles psychiques, non seulement ça n’a pas de sens vu la fréquence de comorbidités comme la dépression, les troubles anxieux, les troubles alimentaires, le syndrome de stress post-traumatique…, mais surtout, où est-ce que ça nous place par rapport aux autres ? Les autres, celles et ceux identifié·e·s comme fols ? Qui sont donc ces fous et folles dont on veut se démarquer ? Est-ce que cela signifie que notre parole est plus importante que la leur ? Que d’éventuelles capacités hors-normes et qualités de travail spécifiques nous rendraient plus méritant·e·s qu’elleux ? Y a-t-il une frontière nette entre fols et non-fols ? Et si on est autiste et bipolaire, par exemple ? Est-ce que, parce que certaines conditions impliquent un affaiblissement du jugement, un brouillage des perceptions, cela veut dire que la société ne peut rien pour ces gens-là ? Que l’on doit enfermer, ne pas écouter, ne pas considérer ? Qu’on n’est pas légitime en tant qu’être humain, être pensant, citoyen·ne, juste à cause de sa condition? Est-ce qu’on ne gagnerait pas tou·te·s à changer notre conception des troubles neuropsychologiques ?

Est-ce qu’on ne gagnerait pas tou·te·s, surtout, à sortir du mythe qu’il existe des personnes totalement stables, en pleine connaissance et maîtrise d’elles-mêmes, pleinement cohérentes et responsables ?

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Par Charlie Mostro, militant sur les questions d’autisme et de féminisme. Retrouvez-le sur son blog.

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