"J'ai survécu à la mort de mon fils"
A la mort de son fils, Catherine ne s’imaginait pas pouvoir continuer à vivre. Pourtant, elle a réussi à regagner la rive des vivants.
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Catherine Audibert est psychologue et psychanalyste. Il y a huit ans, son fils Jérémy, 30 ans, s’est tué dans un accident de voiture. Aujourd’hui, elle témoigne de ce long parcours de deuil dans « Le temps de la perte, Deuil et mélancolie d’une mère », (Albin Michel).
« A demain ! » lui dit son fils Jeremy en la quittant. Dans la nuit, alcoolisé en sortant d’un pub à quatre heures du matin, il prend le volant et meurt dans un accident. Le jour de la mort de son enfant, Catherine comprend qu’il lui faudra accomplir un long et épuisant travail psychique pour parvenir à cohabiter avec cette douleur sans qu’elle ne règne en maître sur sa vie.
« J’ai hurlé ma détresse absolue »
Quand on m’a annoncé la mort de mon fils, j’ai hurlé comme une bête. Un son que je ne me savais pas capable de produire, qui vient des tripes. Celui de la détresse absolue. J’étais fendue, disloquée, atomisée. Je venais de décrocher du monde des vivants et de basculer dans le néant. Les jours suivants, j’agissais comme un robot, mon enveloppe vide effectuait les gestes du quotidien pour donner l’illusion aux autres que je tenais le coup. Quand les insomnies n’avaient pas encore colonisé mes nuits, je trouvais un peu d’apaisement dans le sommeil : je rêvais de Jérémy vivant, il me parlait, je l’entendais et prolongeais ainsi sa vie, encore un peu. Les funérailles, aussi, m’ont apporté du réconfort. Toute cette présence humaine autour de moi a créé des digues qui ont pu contenir la violence de ce que j’éprouvais. Surtout, les nombreux témoignages de ses amis m’ont dit à quel point il comptait pour eux. Plus que tout, j’avais besoin que de l’amour lui soit manifesté.
« Le deuil nous travaille »
Au fond de moi, je savais que la douleur ne faisait que commencer, qu’elle ne prendrait sans doute jamais fin. Mon fils ne nous avait pas quittés, il n’était pas parti, il était mort. Ce mot et cette réalité, il me fallait les regarder en face. Il n’était pas question pour moi de « faire mon deuil ». Je ne sais d’ailleurs pas bien ce que cette expression peut vouloir dire… Ne plus souffrir ? Oublier ? Passer à autre chose ? En revanche, le » travail de deuil » a un sens. Car qu’on le veuille ou non, le deuil nous travaille. Cela signifie que notre psyché travaille en nous, avec ou malgré nous. Chez moi comme chez beaucoup d’endeuillés, ce travail psychique a d’abord pris la forme d’une obsession pour mon fils. J’avais besoin encore et encore qu’on me parle de lui. Je voulais connaitre celui qu’il avait été en dehors du cercle familial. Je voulais pouvoir me dire qu’il avait connu des moments de bonheur. Surtout, je voulais comprendre ce qui avait pu le mener à cette tragédie.
« Je me devais de trouver une explication »
Dans cette quête de compréhension et de sens, la culpabilité a surgi très vite. Je n’avais pas su le protéger, alors que c’était mon rôle de mère. Je n’avais pas su l’aider, alors que je voyais sa mélancolie depuis des années déjà. Cette culpabilité était sans doute exacerbée par les circonstances très questionnantes de sa mort. Le fait qu’il ait pris le volant après avoir bu, le fait que peut-être – nous n’en aurons jamais la certitude – il n’avait pas attaché sa ceinture. Pourquoi n’avait-il pas pris soin de lui ? Avait-il voulu sciemment mourir ? Et moi, quelle mère avais-je été pour qu’il se conduise ainsi ? Inlassablement, je revisitais l’histoire, parfois chaotique, de ma relation avec lui depuis sa naissance. Je me devais de trouver une explication dans ce que nous avions vécu ensemble, dans ce que j’avais raté. C’était une sorte de compulsion, je ne pouvais m’empêcher de ressasser, de ruminer.
« J’aspirais à la délivrance »
Ces questionnements n’avaient rien de serein, ils étaient terriblement douloureux et bouleversants. Ils occupaient mon esprit vingt-quatre heures sur vingt-quatre et me maintenaient dans un état d’hyper-vigilance. Je ne m’en échappais que quelques heures la nuit en m’abrutissant de médicaments. J’étais épuisée, littéralement consumée de l’intérieur, je maigrissais à vue d’œil. Je ne parvenais plus à être une mère pour mon deuxième fils, ni à être confrontée à la douleur des autres. Le bruit et le vivant m’étaient insupportables. J’avais besoin de solitude et de calme. Par moments, j’avais le sentiment que la folie me guettait : j’avais des hallucinations auditives et olfactives de mon enfant lorsqu’il était nourrisson. Parfois aussi, ma souffrance était telle que j’aspirais à la délivrance. J’étais dans un entre-deux : je voulais rester avec les vivants mais la pensée que mon enfant mort avait besoin de moi était plus forte…
« Je ne pouvais lutter indéfiniment sans tout détruire »
Un an après la mort de mon fils, j’avais fait un pas de fourmi, juste de quoi me dégager du ciel qui m’était tombé sur la tête. Un pas minuscule sur le chemin qu’il me restait à parcourir sans lui, avec cette absence qui serait mon avenir. Mais un pas tout de même. A ce stade, je n’avais pas d’autre choix que d’accepter, je ne pouvais lutter indéfiniment sans me détruire et tout détruire autour de moi. Je me sentais une responsabilité envers mon autre fils, mon mari, mes beaux-enfants, mes parents, mes proches. A l’époque, et malgré mon métier, parler à un professionnel ne me soulageait pas, au contraire cela ne faisait que creuser le mal. La rencontre avec une femme pratiquant la médecine chinoise m’a beaucoup aidée. J’étais dans un état très régressif : elle m’a massée et touchée, comme on s’occupe d’un bébé. Avant de pouvoir parler, il me fallait d’abord prendre soin de mon corps, caisse de résonance de mon immense douleur psychique. Je passais également beaucoup de temps à jardiner : entretenir mes arbres et mes fleurs, permettre la renaissance de la nature au printemps, c’était faire un pied de nez à la mort. Et puis au fil des mois, presque malgré moi, mes forces sont un peu revenues. Des petits moments de plaisir, fugaces, ont émergé.
« Je griffonnais des cris muets »
Depuis mon enfance, j’ai toujours eu le besoin de lire et d’écrire, particulièrement dans les moments difficiles. Du fond de la détresse dans laquelle m’avait plongée la mort de mon fils, j’éprouvais très fortement ce besoin. Quand la douleur menaçait de me déborder, je griffonnais des cris muets sur des tickets de caisse, des emballages, des cahiers. Même si la souffrance d’une mère désenfantée est indicible, même si je ne trouvais jamais les mots capables de dire ce que ressentais vraiment, je noircissais des pages et des pages. J’écrivais aussi des souvenirs que j’avais de Jérémy pour les ancrer, pour lutter contre la terreur effroyable de perdre la mémoire de mon fils. Je lisais des témoignages de parents ayant vécu la perte de leur enfant, y puisant un formidable espoir : puisqu’ils avaient réussi à écrire, cela voulait dire qu’ils s’en étaient sortis.
« J’ai redécouvert ma capacité à aimer »
Au bout de plusieurs années, je me suis dit que peut-être je pourrais donner à mes écrits spontanés la forme d’un livre. Un objet dont je pourrais donc me séparer. Mais n’allais-je pas m’infliger une souffrance supplémentaire en me replongeant dans mes notes ? Comment décrire une telle douleur sans heurter, sans faire peur, sans provoquer la pitié ou les évitements ? Comment évoquer mon fils tout en respectant sa pudeur ? Il m’a fallu encore beaucoup de temps pour mettre de l’ordre dans mes contradictions intérieures et réaliser ce projet. Ecriture et deuil ont cheminé côte à côte, l’une faisant travailler l’autre. Aujourd’hui, mon enfant mort est toujours en moi mais il n’occupe plus toute la place : je me sens de nouveau capable de donner leur place aux vivants qui m’entourent. Tout spécialement à mes petits-enfants. Avec la naissance du premier, j’ai redécouvert ma capacité à aimer, plus forte que la peur de perdre ».
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