J'ai sauvé 200 lettres d'amour de la déchetterie"

En mission d’étude dans une déchetterie, Cécile est tombée sur un carton rempli d’une correspondance amoureuse datant de la deuxième guerre mondiale, restituée depuis aux descendants.

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Cécile Filippi, 25 ans, est juriste en droit de l’environnement. En décembre dernier, le bureau d’études qui l’emploie l’a envoyée dans une déchetterie en Charente Maritime. Sa mission : répertorier tout ce qui est jeté par les usagers afin d’imaginer de nouvelles filières de valorisation des déchets. C’est ainsi qu’elle est tombée sur ces lettres d’amour écrites entre 1942 et 1944 par un jeune soldat à sa fiancée.

« Je l’avoue, je suis très curieuse ! « 

Cela faisait une semaine que j’étais arrivée à la déchetterie de Saint-Jean-d’Angely, scrutant de près tout ce que les habitants y apportaient pour s’en débarrasser. Un matin, un homme est arrivé avec une grande remorque pleine : il vidait le grenier d’une maison qu’il venait d’acheter et dans laquelle les anciens propriétaires avaient laissé des affaires. J’ai d’abord été attirée par de vieux journaux datant des années 60. En les soulevant, j’ai ensuite aperçu un carton. Soucieuse de mener à bien ma mission – et aussi je l’avoue parce que je suis très curieuse !-, je l’ai ouvert. A l’intérieur, des dizaines et des dizaines de lettres, soigneusement rangées en petits paquets tenus par des ficelles. D’un coup d’œil, j’ai constaté qu’elles étaient toutes adressées à la même destinataire : Mademoiselle Aimée Randonnet. Derrière les enveloppes, figurait le nom d’un seul et unique expéditeur : Monsieur Pierre Hervé. Les tampons de la poste s’échelonnaient de 1942 à 1944.

« Je n’ai pas résisté à l’envie de les lire »

Ces premiers indices fleuraient bon l’histoire d’amour ! Comme je suis une grande romantique – et comme il n’y avait pas grand monde à la déchetterie ce matin-là – je n’ai pas résisté à l’envie de lire quelques-unes de ces lettres sans plus attendre. En quelques minutes, je comprends que Pierre écrivait à Aimée chaque jour. Dans les premières lettres, il la vouvoie car ils s’étaient apparemment rencontrés peu de temps avant le départ du jeune homme pour la guerre. Puis au fil des mois, il se met à la tutoyer. Leur relation se construit lettre après lettre, l’intimité entre eux grandit, l’amour devient de plus en plus passionné. « Ma mimi adorée, combien de fois je voudrais te presser sur mon cœur, enivré de toi. Si tu connaissais la densité du poids de l’amour que j’ai pour toi ». Au-delà des mots tendres, il lui parle également beaucoup de son quotidien de soldat, du manque, de la tristesse qui l’accable parfois. Certaines phrases me touchent en plein cœur… « Il me semble que c’est plus que mon sang que je perds. Ma petite Aimée, tu ne peux t’imaginer comme j’ai un cafard d’être ici « .

« Mon appel a été relayé 20 000 fois « 

Il ne m’a pas fallu longtemps pour prendre ma décision : ces lettres ne pouvaient pas être détruites. De nos jours, plus personne n’écrit comme ça ! J’étais en possession d’un véritable trésor et je me devais de le protéger. Si ces missives n’avaient évoqué que la guerre, je pense que je les aurais confiées à un musée ou à des historiens pour leur intérêt historique. Mais puisqu’elles racontaient une magnifique histoire d’amour, il m’a semblé que je devais les restituer à la famille. Je me suis donc mis en tête de retrouver d’éventuels descendants d’Aimée et Pierre. Et un peu comme on jette une bouteille à la mer, j’ai posté un message sur un réseau social, avec une photo des lettres à l’appui : « Aidez-moi à retrouver ses enfants ou ses petits-enfants. Je ne veux pas que ça parte à la poubelle ». Dans les heures qui ont suivi, mon appel a été relayé 20 000 fois, je n’en suis pas revenue ! Tous ces gens ont vibré pour ces deux amoureux séparés par la guerre. Ils se sont saisis de leur histoire avec bonheur, sans doute l’ont-ils vue comme une petite lumière dans la grisaille de la pandémie…

 » Ces missives étaient désormais entre les bonnes mains « 

Dans la masse de commentaires enthousiastes, il y a bien eu quelques interpellations peu aimables m’accusant d’être indiscrète, de me mêler de ce qui ne me regardait pas. Pendant un court instant, j’ai eu quelques doutes. Et s’ils avaient raison ? Et si j’avais en effet déterré un secret de famille, maintenu soigneusement dissimulé depuis des années ? Mais je n’ai pas eu le temps de m’inquiéter longtemps car le soir même, j’étais contactée par le petit-neveu d’Aimée. Féru de généalogie, il avait posté un arbre généalogique de sa famille sur un site Internet. C’est ainsi que des internautes l’ont repéré et alerté de ma trouvaille. Ce monsieur m’a appris qu’Aimée et Pierre étaient tous deux décédés mais que Claudine, leur fille de 65 ans, vivait dans la région. Je l’ai contactée tôt le lendemain matin et elle était la première à l’ouverture de la déchetterie pour récupérer les lettres. Quand je lui ai remis le carton, j’ai eu l’impression d’avoir fait le bon choix et que ces missives étaient désormais entre les bonnes mains.

 » J’ai été touchée qu’elle m’écrive « 

Elle m’a expliqué avoir récemment vendu la maison de sa mère. L’ayant débarrassée un peu à la hâte, elle était passée à côté de ce carton dont elle ignorait totalement l’existence. J’ai aussi appris qu’Aimée et Pierre se sont mariés tout de suite après la guerre, alors qu’elle avait 17 ans et lui sept de plus, qu’ils ont eu deux enfants et son restés ensemble toute leur vie. Sur le moment, elle ne m’en a pas dit plus, elle semblait déstabilisée, troublée… Et puis quelques jours plus tard, j’ai reçu une jolie lettre d’elle par la poste pour me remercier. Ce geste touchant donnait une cohérence à cette petite aventure : la boucle était bouclée ! Par écrit, elle s’est davantage livrée que lors de notre rencontre à la déchetterie. Elle m’a confié à quel point elle avait été surprise de découvrir son père capable d’une telle tendresse et d’une telle poésie avec Aimée, lui qui était un homme très pudique et même assez dur. « Ils se sont aimés d’un fol amour », m’a-t-elle écrit. Et cela semblait lui faire du bien de le savoir. J’ai précieusement rangé ce courrier dans la boîte où je conserve depuis l’âge de 15 ans toutes les cartes postales que je reçois, celles de mes amis grands voyageurs – comme moi ! – et celles de ma mamie. C’est mon petit trésor à moi. Et qui sait, j’y ajouterai peut-être un jour d’aussi belles lettres d’amour que celles qu’Aimée recevait. En tout cas, ça me plairait bien !

« Je suis contente d’avoir fait du bien à cette famille »

J’ai su par la suite que les lettres n’avaient pas seulement été importantes pour Claudine mais aussi pour son fils, Alexis, petit-fils d’Aimée et Pierre. En les lisant de la première à la dernière, il a appris que son grand-père, après avoir combattu au sein de l’armée de l’air, avait ensuite rejoint la résistance. Or, Pierre ne leur avait jamais rien dit de la manière dont il avait vécu cette période. Cela a créé un déclic chez Alexis : depuis, il s’est lancé dans des recherches sur le passé de son grand-père, pour mieux comprendre qui il était et reconstituer son histoire. Avec le recul, je suis contente que mon geste impulsif ait fait du bien à cette famille. Car d’après ce qu’ils m’en ont dit, cet événement a resserré les liens entre eux. Je sais aussi qu’un éditeur s’intéresse à cette correspondance amoureuse et historique, et envisage de la publier. Même si je n’ai pas sauvé le monde, j’éprouve de la satisfaction d’avoir contribué à une belle histoire ! « 

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