"J'ai repris goût à la vie grâce à une fête surprise"
“Cette période devait être la meilleure de ma vie professionnelle. Depuis dix ans, je travaillais à un poste de responsabilité dans une entreprise de la tech, une grosse, une que tout le monde connaît, qui a son siège à Paris, de très bons résultats et qui verse des dividendes. Bref, sur le papier, c’était idéal, mais en vérité, à 40 ans et des poussières, mère de deux enfants, j’étais coincée à mon poste avec énormément de travail, des deadlines permanentes, le soir, le week-end, les vacances même…
Depuis des années, je faisais le forcing pour évoluer dans la boîte, j’avais fait plus que mes preuves, tout le monde le savait. Et ma demande de mobilité était sur le bureau de mes N+1 depuis plus d’un an et demi. Aussi, quand une réorganisation de notre pôle a été annoncée par la direction, j’ai jubilé. Ça allait être mon moment de reconnaissance. L’annonce mentionnait l’expression “mobilité interne” et ce mot revêtait une importance toute particulière pour moi. Il ne s’agissait pas seulement de monter dans la hiérarchie, mais de bouger tout court.
Bouger, c’est vivre, c’est respirer, c’est ne plus subir. Au passage, cela allait justifier le fait que, depuis deux ans, j’avais refusé tous les postes qu’on m’avait proposés à l’extérieur. À chaque fois, je trouvais une raison plus ou moins valable : ‘Finalement, j’aime bien ma boîte, c’est confortable’, ‘Ça ira mieux après, c’est une question de temps’, ‘Le nouveau poste est trop risqué, l’autre boîte est moins solide’.
Et puis, la nouvelle est tombée. La direction générale a choisi de ne pas me faire monter.
Humiliée au travail et pas soutenue à la maison
Pire, elle a recruté quelqu’un d’autre pour le poste que je convoitais. Je n’ai pas ressenti de la déception mais un sentiment de trahison, il n’y a pas d’autre mot. Ma N+1 était effondrée elle aussi. Elle a décidé de m’exfiltrer avec elle dans un autre service, mais j’étais à nouveau coincée au même niveau. Je n’avais pas été entendue, j’étais humiliée.
À la maison, ça n’allait pas non plus. Avec mon mari Stéphane, nous avons deux enfants, de 15 et 9 ans, ce qui demande comme chacun sait beaucoup de travail. Et quand votre mec, déjà tête en l’air et, dirons-nous, détaché des réalités quotidiennes, doit impérativement finir le scénario que sa boîte de production lui a commandé depuis des mois, c’est comme s’il n’était pas là du tout.
Au point que je lui ai même proposé de partir s’isoler trois semaines à la campagne pour conclure son affaire. Ce qu’il a refusé, aggravant la situation déjà explosive. Le voir en permanence chez nous, incapable de me donner le moindre coup de main au moment où j’en avais le plus besoin, cela a été un coup de couteau de plus.
Sombrer dans l’épuisement psychique
J’ai toujours cru avoir le cuir épais, pourtant je me sentais sombrer. J’étais sur les rotules et sur les nerfs, je pleurais, je m’embrouillais avec ma grande fille, je me morfondais. J’ai beau avoir analysé assez tôt ma situation, j’ai mis du temps à mettre un mot dessus : un burn-out, autant physique qu’émotionnel, professionnel que familial.
La preuve : même l’organisation d’un week-end de décompression à Rome avec ma sœur, ma mère et nos deux enfants n’y a rien fait. Je ne ressentais plus rien, je ne voyais rien, et pourtant, on fait difficilement plus agréable à vivre que cette ville. Au retour, j’ai commencé à regarder le prix des studios à louer dans notre quartier. Avoir un lieu à soi où souffler me semblait être une des seules solutions possibles pour ne pas totalement exploser en vol.
Sauf que dans l’immédiat, mon anniversaire se profilait et que, voyant mon état, mon mari paniqué m’a fait part de son intention de m’organiser une fête d’anniversaire. J’ai dit non, notamment parce qu’il y a une dizaine d’années, sa première tentative s’était soldée par un calamiteux repas improvisé et l’invitation de quatre personnes dont deux inconnus !
Un anniversaire comme un autre…
Il est vrai qu’étant née entre Noël et le jour de l’An, je suis habituée à ce que personne ne soit jamais disponible. Cette année, ma sœur se trouvait à huit cents kilomètres de Paris, tout le monde était parti en vacances ou en famille. Au moins, personne ne me verrait dans cet état.
Le jour dit, je décide de me consacrer uniquement à moi. Coiffeur, soins, sauna infrarouge : je me balade dans le triangle d’or parisien où je vois des gens faire la queue devant des boutiques de luxe et je me dis que ce monde est décidément absurde.
Heureusement, il fait beau. J’ai bien un projet à rédiger pour postuler à un poste hors de portée chez un concurrent mais je n’en ai ni le courage ni la force. De retour à la maison, je me dis que, vu le bazar dans l’appartement, Stéphane n’aura jamais osé inviter qui ce soit et qu’on s’oriente vers une simple soirée au resto. Jusqu’à ce que la sonnette de la porte d’entrée retentisse.
… Ou pas !
Il l’a fait : ils sont là, ceux-là mêmes que je croyais en vacances ou occupés ailleurs, les amis du premier cercle. Celui rencontré dans un bar à 14 ans, ceux croisés dans une autre vie, les copains et copines de la nuit, tous ont sacrifié leur week-end ou leurs vacances, certains ont conduit cinq cents kilo-mètres pour revenir à Paris… Je n’en crois pas mes yeux.
Bien sûr, il en manque mais je comprends que les tristes sires, ceux qui se seraient assis pour me demander ‘comment ça va ton boulot ?”’ont miraculeusement disparu. D’ailleurs, l’anniv’ se transforme immédiatement en boum avec boule à facettes. Ma fille passe sa playlist – Gala, Diam’s, Beyoncé, Rihanna – et ça marche à fond : nous sommes une vingtaine et tout le monde danse !
Tous mes grands principes sont bafoués : ne jamais faire la fête avec ses enfants, avoir un appartement nickel pour des invités, ne pas me coucher trop tard… Dans un moment de lucidité, je comprends que ces amis ne sont pas venus seulement danser, ce sont les historiques, ceux qui m’avaient soutenue quand j’ai eu des coups durs. C’est ma ligne de défense, mais je l’avais oubliée depuis quelques mois. Ce moment-là et cette certitude de les avoir, c’est du pur bonheur.
Bien sûr, on a tous vieilli, on a subi les épreuves du boulot, de la conjugalité, de la maternité… Les Choses de la vie comme le titre du film de Claude Sautet… mais ils sont encore là.
Une piqure de rappel qui redonne goût à la vie
Le lendemain, je me suis réveillée dans un drôle d’état. Pas la gueule de bois, plutôt une espèce de légèreté nouvelle. L’appartement était en vrac mais j’ai décidé de rédiger la note d’intention pour le poste de dingue. Je l’ai fait d’une traite en quatre heures.
Ensuite, j’ai commencé à filer un coup de main à Stéphane pour qu’il finisse son scénario, on a relu, coupé, modifié et corrigé le texte ensemble, jusqu’à boucler le projet pile à temps. Je commence à réaliser ce qu’il vient de se passer. Cette simple fête, ces amis, ce moment partagé, viennent tout simplement de me sauver la peau.
Dans ma vie et par le passé, j’ai fait plein de choses difficiles et courageuses. Voir, cette nuit-là, les témoins de ces épreuves encore présents m’a ramenée à cette tendresse et à cet amour-là. À la trentaine, quand on est célibataire, on bouge facilement entre les obstacles, on est plus libre qu’on ne le croit. Après, tout est plus compliqué, étroit, on peut vite s’enfermer et s’asphyxier. Surtout, on en vient à douter de l’amour.
Sauf qu’il est encore là, à portée de main, et qu’il faut le ranimer. Je repense au mot de ‘mobilité’ qui m’obsédait. En fait, j’étais immobile, paralysée, et voilà que la semaine d’après l’anniv’, la boîte concurrente me rappelle. Ils ont aimé le projet, je dois passer les entretiens pour le fameux poste et finalement, je le décroche ! Je vais bouger donc, mais en externe… Aujourd’hui, je viens de poser ma démission et pour la première fois depuis que je suis mère, je pars seule pour un séjour au bord de la mer, rien que pour moi. Pour continuer sur ma lancée ».
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Témoignage publié dans le magazine Marie Claire n°849, juin 2023
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