"J’ai peur qu’on me touche" : tous victimes d’haptophobie à cause de la pandémie ?

C’est un sentiment étrange, une crainte réelle pour certains, qui est apparue lentement mais sûrement ces derniers mois : la peur de toucher ou d’être touchée, à peine effleuré même, par les autres.

On tressaille quand par maladresse, nos doigts frôlent ceux du livreur quand celui-ci nous tend un paquet. On s’empêche d’utiliser de la monnaie, pour ne pas avoir à entrer en contact avec la main de la boulangère. Des exemples déclinables à l’infini… 

Face à la pandémie de Covid-19 et à la distanciation sociale qu’elle nous impose, nous voilà désormais angoissés à l’idée d’entrer physiquement en contact avec autrui. 

Comment faire face à cette peur nouvelle, véritable phobie pour certains, référencée comme telle sous le terme « haptophobie » ? Éléments de réponse avec Antoine Spath, psychologue clinicien et co-auteur avec la journaliste Caroline Michel de Tu crois que c’est grave ? Petit traité à l’usage des hypocondriaques qui veulent s’en sortir*, (Ed. Larousse). 

Marie Claire : Qu’appelle-t-on haptophobie ? Quels sont ses symptômes ?

Antoine Spath : “L’haptophobie (du grec hapto, toucher et phobia, peur), c’est la peur irrationnelle et incontrôlable d’être touché par autrui. Elle se manifeste généralement par le refus d’aller dans des lieux où l’on est trop proches des autres, comme les boîtes de nuit, le métro, les concerts, etc. 

Même les contacts avec des professionnels du soin sont difficiles pour les personnes qui souffrent d’haptophobie, et elles fuient toute manifestation affective, bisous, effusions, câlin…

Plus que le contact, ces patients évitent la proximité affective : tout ce qui pourrait être intrusif. Comme si la peau était une barrière qu’il ne fallait en aucun cas dépasser. C’est d’ailleurs pour celui que l’haptophobe fuit uniquement les contacts humains – la question ne se pose pas avec des animaux par exemple – car sa véritable crainte est l’intention derrière le toucher. 

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Cette phobie est-elle associée à d’autres troubles cognitifs ? 

Antoine Spath :  Il n’y a pas vraiment de troubles associés au sens psychiatrique du terme. Mais on remarque en toile de fond, chez toutes celles et ceux qui souffrent de cette phobie, un mécanisme dépressif et anxieux. Aussi, la phobie – comme d’autres d’ailleurs – n’est pas ressentie en continu, mais elle peut s’accroître dans les moments de mal-être. 

La pandémie actuelle, qui nous prive de contacts et de tendresse, peut-elle développer ce trouble chez des personnes qui n’en souffraient pas jusqu’alors ? 

Antoine Spath : Je ne pense pas qu’on puisse craindre une augmentation quelconque du nombre de personnes souffrant d’haptophobie, du fait de la pandémie. La crainte que l’on ressent en ce moment du fait de devoir toucher d’autres personne est liée à une crainte réelle qui est celle du virus. Dans la réelle haptophobie, la crainte est imaginaire et irrationnelle surtout. Comme quand on a la phobie des pigeons, c’est irrationnel : les pigeons n’ont jamais attaqué ou blessé quiconque !

Je pense que la crainte d’être en contact avec les autres disparaîtra en même temps que le virus.

En réalité, la crise sanitaire est plutôt une opportunité pour ces personnes : les lieux de proximité sont fermés ou désertés et les recommandations limitent très nettement les effusions ! Cela crée de fait moins de situations phogènes, et donc moins de séquences d’évitement. 

Les hypocondriaques – à qui vous vous adressez dans votre nouvel ouvrage, ndlr – sont-ils davannatge concernés par une telle angoisse, par crainte ensuite de tomber malade ? 

Antoine Spath : Une des caractéristiques des hypocondriaques, c’est que la crise sanitaire ne va pas les rendre plus angoissés ou plus anxieux que d’ordinaire car ils savent à quoi s’en tenir. Ils ont les recommandations ad hoc et vont donc se promener avec tout l’attirail : gel hydroalcoolique, masque FFP2, etc. Il va respecter de fait la distanciation sociale mais ne va pas devenir haptophobe à proprement dit. 

La grande différence d’ailleurs c’est que l’haptophobie, ça concerne l’extérieur du corps, alors que l’hypocondriaque va être obnubilé par ce qui se passe à l’intérieur, qu’il ne voit pas et ne contrôle pas !

Ce qu’il faut préciser aussi c’est que ces termes, notamment l’hypocondrie, ont été légèrement galvaudés. Aujourd’hui, quiconque s’inquiète pour son corps est appelé hypocondriaque alors qu’en réalité, il s’agit plus souvent de mécanismes anxieux. 

Peut-on travailler sur cette phobie et si oui, quelles sont les pistes à notre disposition ? 

Antoine Spath : En réalité, toutes les thérapies (hypnose, sophrologie, etc) peuvent aider à travailler sur cette phobie. Peut-être pas immédiatement les thérapies corporelles… L’important, c’est de trouver un moyen de donner du sens à son symptôme, donner du sens à cette phobie caractéristique.

Souvent, elle est la manifestation de dysfonctionnements familiaux, de situations incestuelles (le corps est regardé, l’objet d’une attention ambiguë sans passage à l’acte), d’une emprise ou de carences affectives. Il y a de multiples causes qui peuvent expliquer le développement de cette phobie et il faut pouvoir comprendre ce qui se cache dessous. 

La crise de Covid-19 risque-t-elle de faire naître d’autres troubles de ce type ? Doit-on craindre pour notre santé mentale ?

Antoine Spath : Je ne pense pas que la crise sanitaire décuple le nombre d’hypocondriaques ou d’haptophobes, puisqu’encore une fois, ces phobies sont basées sur des craintes irrationnelles. 

Ce qui est sûr par contre, c’est que l’on observe déjà une augmentation nette des états anxieux et des situations dépressives. Nous sommes dans une situation de stress généralisé qui réveille des fragilités chez les gens et qui peut majorer des situations psychotiques ». 

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