"J’ai passé sept jours de silence dans une abbaye"

« La communauté NotreDame des Gardes accueille avec joie quiconque aspire à interrompre sa course quotidienne pour se poser et se reposer dans le silence et la prière. L’hôtellerie offre un cadre particulièrement favorable à ceux et celles qui ressentent le besoin de ‘faire le point’ sur leur vie.”

Je suis devant l’écran de mon ordinateur, à la fois incrédule et soulagée d’avoir trouvé un endroit où aller. Hier soir, avec Christophe, ça a été la crise de trop. “La vérité, c’est qu’il y a une quantité incroyable de gouttes qui ne font pas déborder le vase”, disait Romain Gary dans une citation que j’ai lue récemment. Et c’est vrai que, depuis vingt ans que nous sommes mariés, j’ai souvent cru que nous étions arrivés au bout du chemin, que je ne supporterais plus ses coups de sang, ses brusques changements d’humeur, cette propension à me rabaisser constamment et puis finalement, j’ai chaque fois passé l’éponge en me convainquant que ça n’avait pas existé et qu’il fallait bien continuer.

Et puis nos quatre enfants, cette jolie maison bourgeoise, ce grand jardin rassurant, n’est-ce pas ce que j’avais toujours voulu lorsque je l’ai épousé à l’âge où mes copines couraient encore les boîtes de nuit ?

À la croisée des chemins

Mais je sens que je suis à la croisée des chemins, ce matin. Après avoir déposé le petit dernier à l’école, je ne suis pas retournée chez nous. J’ai roulé longtemps pour fuir ce microcosme où tout le monde nous connaît et admire notre “famille Ricoré”.

En débarquant dans ce café perdu, j’ai une idée en tête. J’ai le nez dans le guidon, j’étouffe. J’ai souvent pensé à prendre de la distance pour y voir plus clair mais je n’ai nulle part où aller. Chez ma sœur, dont je suis proche ? Je doute que dormir sur son canapé au milieu de mes neveux et nièces soit la meilleure option pour faire le point. Pourtant, depuis quelques jours, je repense à cette abbaye dont nous a parlé mon père lors de notre dernier dîner familial, qui accueille selon lui quiconque en fait la demande. Les âmes blessées, les randonneur·ses, les ecclésiastiques de passage dans la région.

Alors, pendant que les textos de Christophe, tantôt rageurs, tantôt suppliants, s’amoncellent sur l’écran de mon téléphone, je trouve le site de l’abbaye. En quelques clics, j’accède au formulaire de contact et envoie un mail comme une bouteille à la mer. Après tout, qu’est-ce que je risque ? Quelques minutes plus tard, j’ai une réponse de Sœur Marie Marguerite. Elle sera ravie de m’accueillir.

Combien de temps est-ce que je souhaite séjourner parmi elles ? Je n’ose y croire, ça paraît si simple. Puis-je venir maintenant ? Pour une semaine ? L’affaire est entendue. Je devrai m’acquitter de huit euros par jour pour les repas et le gîte, et respecter le vœu de silence de la congrégation. Pour le reste, je suis libre de faire ce que je veux, d’assister ou non aux offices, d’aller et venir comme bon me semble. Le temps de jeter quelques affaires dans un sac, d’embrasser les enfants et de prévenir Christophe qui a à peine le temps de s’emporter, je saute dans ma voiture et, alors que les paysages défilent, je sens un calme nouveau m’envahir.

La beauté des lieux me bouleverse

J’ai mis mes proches au courant : j’éteindrai mon portable tout le long de ma retraite et ne l’allumerai qu’une fois par jour, pour vérifier que tout va bien. Je dois me mettre sur pause, m’extraire de l’obligation d’être sur tous les fronts pour pouvoir me concentrer sur l’essentiel. À courir partout, j’ai repoussé trop longtemps le moment de réfléchir à mes aspirations véritables. Je ne veux pas qu’il soit un jour trop tard. Arrivée à l’abbaye, je suis accueillie par la sœur hôtelière, la seule qui puisse s’adresser aux voyageurs… en chuchotant. Tandis que nous cheminons vers ma chambre, la beauté des lieux me bouleverse.

Il s’en dégage une plénitude que je n’ai pas ressentie depuis des années. Nous croisons des sœurs qui semblent irradier d’une même félicité, qui tranche tellement avec ce monde extérieur que je viens de quitter, où tout le monde râle, court, s’exaspère d’un rien, d’un mail sans réponse ou d’un bouchon à un carrefour.

Une chambre spartiate

Ma chambre est spartiate mais elle me plaît immédiatement. Un lit, une armoire, un fauteuil, un lavabo et une petite table meublent cette petite pièce où je prends naturellement mes marques. Quelques heures plus tard, pelotonnée sous les draps un peu rêches de mon refuge monacal, j’ai l’impression de remonter dans le temps. Comme lorsque j’étais petite, et que je m’endormais chez ma grand-mère en entendant au loin les voix des adultes, je me sens protégée de tout, absolument.

Au bout de la table, une femme au regard triste attire mon attention. Qui est-elle ? Fuit-elle comme moi une vie dont elle ne veut plus ?

Le lendemain, je passe ma première journée de silence et étrangement, alors que je pensais m’ennuyer et que j’avais même prévu de travailler un peu, le temps passe sans que j’y prête attention. Si les sœurs se lèvent dès 3 h 55 pour le premier office et occupent leur journée de manière très réglée, je lâche pour ma part complètement prise.

Sous les arbres de l’abbaye qui s’éveillent au printemps, je savoure mes lectures et me laisse aller à ce plaisir de contemplation que j’avais oublié. Au repas du soir, je partage ma table avec des voyageurs de passage, et un prêtre très beau qui me donne un instant la sensation d’avoir atterri dans un téléfilm d’amour pour midinettes. J’étouffe un gloussement et reprends mes esprits. Au bout de la table, une femme au regard triste attire mon attention. Qui est-elle ? Fuit-elle comme moi une vie dont elle ne veut plus ? Une famille écrasante, un mari violent ? J’aimerais l’interroger mais je me retiens. Comme moi, elle est là pour s’extraire des sollicitations extérieures. Je me contente de lui sourire avec les yeux. 

Je ne retournerai pas dans cette vie qui ne me convient plus

Les jours passent sans que j’y prenne garde. Petit à petit, je me love dans ce cocon doux où le bruit du monde s’est arrêté. Chaque soir, j’ai des nouvelles de ma famille. Tout se passe bien. Christophe a ralenti le rythme de ses sollicitations même s’il semble avoir le plus grand mépris pour mon “caprice de bonne femme”.

Mes enfants me manquent. Lui, non. Le dernier soir, je me rends à l’office de 18 heures. Emportée par la beauté des chants et la prestance des lieux, je pleure. Tout du long. Ce sont des larmes de tristesse mais aussi de joie et de soulagement. Car je l’ai compris.

Je ne retournerai pas dans cette vie qui ne me convient plus. Je dois avancer, penser à moi, à tous ces rêves que je n’ai pas encore accomplis, trop occupée à réaliser ceux d’un autre ou d’une personne que je ne suis plus. Ce sera dur, je le sais. Il faudra trouver un appartement, expliquer la situation aux enfants, à nos familles qui croyaient tant à notre couple.

Mais je suis sûre de moi, je ne regretterai rien car j’ai pris le temps de la réflexion. Et, alors que montent les voix si belles de ces femmes qui m’ont recueillie, je me fais la promesse de raconter mon histoire. Pour que celles qui, un jour, ont perdu leurs repères, sachent qu’il existe un endroit où elles pourront se reposer avant de repartir dans la vie de plus belle. « 

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