Jade Genin : “Ce n’est pas simple de travailler sous l’autorité parentale, c’est assez régressif”
Gagnée par la fièvre de la fève, elle a quitté le droit pour rejoindre son père au sein de la maison Jacques Genin. Elle y invente de nouvelles variations cacaotées et en bouscule le management. Rencontre pour fondre de plaisir à l’approche de Pâques.
Elle a le chocolat dans le sang ! Jade Genin, fille du chef cuisinier, fondeur en chocolat, Jacques Genin, a hérité de la passion paternelle. Mais, elle n’en a pris conscience qu’il y a deux ans, quand elle décide de plaquer son poste au sein d’un cabinet d’avocats international. Pourquoi avoir choisi une carrière dans les affaires si le parfum du cacao l’attirait tant ? «Ma mère avait une vision élitiste des études. Pour elle, mon père faisait partie des exceptions qui avaient réussi dans un métier manuel parce qu’il était talentueux et travailleur, raconte-t-elle. Je n’ai jamais remis en question cette éducation. J’ai passé un bac S, puis suivi un cursus dans le droit des affaires.»
Ce parcours la nourrit, satisfaisant son appétit de mieux comprendre la société. Mais, devenue spécialiste des fusions-acquisitions, elle reste sur sa faim en intégrant le monde professionnel. «Dès mon premier stage, en 2014, qui a débouché sur une embauche, je me suis ennuyée», ajoute-t-elle. À force d’introspection, elle comprend que l’épanouissement est à portée de main, dans la chocolaterie de son père dans laquelle elle a passé tant d’heures à observer et même à contribuer à la fabrication. C’est le déclic. On est en mai 2018. «J’ai croisé mon boss et je lui ai dit que je démissionnais.» Elle se jette alors dans le grand bain du chocolat.
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Faire ses preuves
Elle demeure cependant discrète lors de son arrivée en juillet dans le laboratoire de la rue de Turenne, à Paris : «Mon père n’est pas du genre à faire de cadeau. Et puis, je ne voulais pas être perçue comme la fille du patron.» Malgré la frustration, elle accepte d’être traitée comme une apprentie mais montre que, même si elle n’a pas de CAP, elle connaît tous les secrets des processus. Au printemps 2019, elle a fait ses preuves et… prend la direction de l’équipe chocolat et confiserie, tandis que son père conserve la partie pâtisserie. «L’objectif est que, dans trois ou quatre ans, je prenne les rênes de la maison. C’est un défi, et ce n’est pas simple de travailler sous l’autorité parentale, c’est assez régressif», souligne la jeune femme qui a célébré ses 29 ans en janvier.
Peut-elle, face à la présence paternelle, réellement apporter des changements ? «Par petites touches, explique-t-elle. Pour l’instant, je me fonds dans l’image de la maison aux codes minimalistes auxquels j’adhère fondamentalement et que je voudrais même accentuer, dans cette culture de la fraîcheur, de l’artisanat, d’un sourcing exigeant. Ainsi, j’ai enrichi notre gamme de barres chocolatées avec une recette noix de pécan-anis, dont je suis particulièrement fière, et une autre pâte d’amande-citron. J’ai complété notre coffret de bonbons au chocolat avec un praliné jasmin et un praliné noir, une ganache orange-cognac et une ganache à l’anis étoilé. J’espère pouvoir aller plus loin, élargir l’offre avec des créations cosmopolites, comme les loukoums, ou en lien avec l’actualité parisienne. Là où je fais bouger les choses plus vite, c’est dans le management !»
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Car Jade Genin a décidé d’instaurer une politique de ressources humaines innovante, centrée sur le bien-être des employés. Elle compte bien mettre au service de l’entreprise ce qu’elle a appris dans son ancienne vie au sein d’un cabinet d’avocats où l’on prenait soin des salariés. «Je souhaite faire comprendre à mes équipes que ce n’est pas normal de se faire hurler dessus. Quand je vois une personne qui court dans le laboratoire, comme elle doit le faire depuis le début de sa carrière, je lui dis : “Il te suffit de marcher. Respire.” Le stress ne fait que polluer son travail. Je veux rompre avec le côté militaire, un peu ancienne école, insufflé par mon père.»
Sensibiliser
Cette volonté de changement dans les rapports professionnels ne se limite pas à son laboratoire. Avec les cheffes Marion Goettlé, du Café Mirabelle, et Manon Fleury, elle est en train de créer une association de sensibilisation, notamment dans les écoles, pour en finir avec les violences en cuisine. Rien d’étonnant, donc, à ce que l’un de ses autres projets soit de faire de la maison Jacques Genin, non pas un incontournable de la pâtisserie ou du chocolat, mais plus largement une référence de la douceur.
Jacques Genin, 133, rue de Turenne, 75003 Paris.
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