Inceste : Catherine Bonnet, la pédopsychiatre qui refuse de se taire

Au début des années 2000, la pédopsychiatre Catherine Bonnet, le pédiatre Christian Spitz et d’autres praticiens ont témoigné dans Marie Claire pour dénoncer les poursuites engagées contre eux par le Conseil de l’ordre des médecins. Leur faute ? Avoir fait des signalements d’agressions sexuelles sur mineurs car, dans le secret de leur cabinet, des enfants ont parlé et raconté l’inceste.

Des pères suspectés ont alors riposté en portant plainte contre ces courageux médecins, mettant ainsi en danger leur carrière professionnelle. Face à ces menaces, beaucoup de praticiens ont préféré ne pas ou ne plus signaler à la justice leurs soupçons : le taux de signalement par les médecins, évalué à 5% en 1998 selon le journal médical Le Généraliste, a baissé à 2% en 2003. Or selon des études américaines et australiennes, l’obligation de signaler multiplie par quatre le nombre de cas de violences confirmées.

La Dre Catherine Bonnet, elle, a vu sa vie et sa carrière basculer pour avoir refusé de se taire. Depuis plus de vingt ans, soutenue par des parlementaires, elle se bat pour que les médecins aient l’obligation de signaler les suspicions de violences sexuelles au procureur de la République.

Or depuis 20 ans, dix tentatives d’amendements de lois ont été rejetées à chaque gouvernement alors que cette obligation existe depuis 50 ans aux Etats-Unis et s’est étendue ensuite au Canada, en Australie et dans trente pays d’Europe. Elle a lancé une pétition en ligne, « ÇA SUFFIT ! Sauvons maintenant les mineurs victimes de violences sexuelles ». Pour nous, elle a accepté de revenir sur son parcours semé d’embûches.

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Sanctionnée pour avoir signalé des cas de violences sexuelles sur mineur.es à la justice 

« En 1997, je suis pédopsychiatre à Paris. À la suite de l’affaire Dutroux, des généralistes et des pédiatres m’envoient des enfants de plus en plus jeunes, se demandant s’ils n’ont pas subi des violences sexuelles. Certaines de leurs mères sont également victimes de violences conjugales et en cours de séparation. Mais après avoir envoyé des signalements au procureur ou alerté d’autres autorités judiciaires par des certificats, quatre plaintes disciplinaires me sont adressées. 

Le 5 décembre 1998, je suis sanctionnée trois fois à 3 ans d’interdiction d’exercer la médecine en première instance pour « faux certificats ou dénonciation calomnieuse ». 

Dans les médias, des pères se plaignent et accusent les mères d’utiliser l’inceste pour obtenir la garde de leurs enfants avec la complicité de médecins. A cause de ce lynchage médiatique, ma clientèle se réduit comme peau de chagrin, je suis contrainte de fermer mon cabinet en libéral, je trouve un poste en CDD.

Dans les médias, des pères se plaignent et accusent les mères d’utiliser l’inceste pour obtenir la garde de leurs enfants avec la complicité de médecins.

Dès mars 1999, je tente alors d’alerter des parlementaires afin d’amender en urgence l’article 226-14 du code pénal qui autorise la levée du secret professionnel : comment est-il possible de sanctionner des médecins qui n’ont fait que l’appliquer pour protéger les enfants ? Deux amendements sont rédigés. Invitée à assister aux débats relatifs à la loi sur la présomption d’innocence, j’attends en vain. L’impasse a été faite. Deux autres poursuites disciplinaires me sont ensuite adressées ainsi que deux plaintes pénales qui aboutiront à des non-lieux, dont l’une après 7 ans !  

Je ne suis pas la seule, de plus en plus de médecins, pédopsychiatres, généralistes, pédiatres et gynécologues, deviennent l’objet de poursuites et de sanctions disciplinaires, voire de plaintes pénales. Malaise et peur s’installent dans la profession. Comment dès lors signaler pour assurer une thérapie efficace si les violences continuent ? De plus, les sanctions à l’encontre des médecins sont utilisées dans les procédures civiles et pénales des enfants contestant la véracité de ce qu’ils ont confié à leur médecin. Le terme ‘’dévoilement’’ est peu à peu remplacé par celui « d’allégations » suite à l’émergence de statistiques américaines : d’après une étude du Pr. Underwager, il y aurait 30 à 70% de fausses allégations d’inceste. Cela crée un doute en France, faute d’étude épidémiologique.

Comment est-il possible de sanctionner des médecins qui n’ont fait que l’appliquer pour protéger les enfants ?

Les propos d’inceste révélés par des enfants semblent de nouveau être considérés comme des mensonges. Je me demande si le refus et le déni des maltraitances sexuelles à l’encontre des enfants ne se répètent pas comme au XIXème siècle. Dès 1857, Ambroise Tardieu, professeur de médecine légale et doyen de la faculté de médecine de Paris, fut le premier au monde à révéler que les médecins étaient confrontés dans leur pratique à la réalité des violences sexuelles en analysant 934 cas dans un livre (1). A sa mort, le choc avait été tel que l’opinion médicale se retourna insidieusement contre les enfants victimes, des médecins les accusèrent d’être pervers. La communauté médicale enterra pendant cent ans les premières descriptions cliniques sur la maltraitance des enfants.

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Obligée de s’exiler pour continuer à travailler

En mars 2002, mon dernier CDD n’est pas renouvelé, je suis au chômage, je perds mon logement. Je dois désormais m’exiler pour travailler. Heureusement le rapport de Juan Miguel Petit (2), rapporteur spécial de l’ONU relative à la pornographie enfantine et la prostitution, venu faire une mission en France du 25 au 29 novembre 2002, précise : « Le médecin (Catherine Bonnet, ndlr) a été accusé de dénonciation calomnieuse, ainsi que d’avoir porté des fausses accusations. Toutefois, selon les informations reçues, ses diagnostics avaient été confirmés par d’autres experts dans chaque cas. »

Après un premier accueil en Italie pour former des professionnels en périnatalité, je pars exercer au Royaume-Uni après avoir vendu ma voiture et des meubles. Une plainte pénale restant pendante, il m’est annoncé le risque d’un procès pour dénonciation calomnieuse. Juan-Miguel Petit écrit alors au gouvernement français avec Hina Jilani, rapporteure des Défenseurs des droits de l’homme. Cette plainte se terminera par un non-lieu. 

En 2007, je publie L’enfance muselée, un médecin témoigne pour reprendre le combat afin d’introduire deux mots, « est tenu », dans cet article 226-14 du code pénal qui indiquent comme dans l’article 40 de procédure pénale, l’obligation de signalement au procureur de la République. Les amendements sont refusés en 2009 en dernière minute à l’Assemblée nationale et au Sénat lors des débats relatifs à l’inceste. 

Pourquoi tant de peur alors que l’obligation de signaler multiplie par quatre l’identification des mineurs victimes et leur sauve la vie ?

Les années suivantes bien que des députés et sénateurs de tous les partis acceptent de déposer des amendements ou d’enregistrer des propositions de lois, les amendements sont soit écartés des débats avant la commission des lois, soit refusés par la commission des lois, soit le texte de la proposition de loi est modifié. D’autres tentatives sont effectuées suivies de refus, dénis, évitements, documents écartés.

Pourquoi tant de peur alors que l’obligation de signaler multiplie par quatre l’identification des mineurs victimes et leur sauve la vie ? C’est dû, entre autres, au déni du lien entre les violences sexuelles subies par de jeunes enfants et la production de films pornographiques, comme le souligne le rapport de Juan Miguel Petit. Ce dernier a reçu des informations selon lesquelles « l’élaboration de matériel pornographique impliquant des enfants français était souvent liée à des abus sexuels infligés à des enfants au sein du foyer. »

Une première victoire est remportée le 5 juillet 2018. Les amendements des sénateurs Alain Milon (LR) et Michelle Meunier (PS), sont soutenus par plusieurs parlementaires de groupes différents en dépit du refus du gouvernement, et du président de la commission des lois. Mais, le 23 juillet 2018, la commission mixte paritaire les supprime. Les résistances ont repris. Ensuite, ce sont refus sur refus, le dernier en date étant celui 21 janvier dernier quand l’obligation de signaler est pour la douzième fois refusée à la fin de débats accélérés. Et ce malgré la pétition « Ca suffit vraiment ! Sauvons maintenant les mineurs victimes de violences sexuelles » lancée le 31 mai 2019 avec Jean-Louis Chabernaud, pédiatre-réanimateur, et la lettre ouverte à Adrien Taquet secrétaire d’Etat à l’Enfance et aux Familles publiée en novembre 2019 sur Egora. Sa seule réponse sera le silence. »

(1) « Etude médico-légale sur les attentats aux mœurs », Baillère 1858. 

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