« Impasse Verlaine », à la fois voie sans issue et issue parfaite
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- Aujourd’hui, « Impasse Verlaine » de Dalie Farah, paru le 4 juin 2020 en poche.
Marceline Bodier, contributrice du groupe de lecture
20 Minutes Livres, vous recommande Impasse Verlaine de
Dalie Farah, paru le 4 juin 2020 en poche.
Sa citation préférée :
Si Vendredi s’était redressée, lyrique comme un député du parti communiste, si elle s’était mise debout sur un tonneau, la main sur le cœur, vêtue d’une redingote et d’un haut-de-forme et qu’elle m’ait dit : tu es berbère, ma fille, tu peux te lever le matin sans crainte des moqueries car tu es descendante d’une noble lignée, j’aurais eu moins peur et moins honte des miroirs.
Pourquoi ce livre ?
- Parce que c’est une histoire d’immigration, qui en parle d’une manière tout à fait différente de celle(s) dont on a l’habitude : que les parents de l’auteure soient immigrés est sans nul doute un problème pour elle, mais c’est un problème créé par l’envie qu’a la narratrice de rejeter ses origines, et non pas l’inverse (un problème qui serait créé par ces origines). C’est le sens de la citation que j’ai sortie en exergue de cette chronique.
- Parce que c’est la rencontre de Vipère au poing et des Mémoires d’une jeune fille rangée : une enfance sous l’emprise d’une mère violente, que l’héroïne a du mal à concevoir comme sa mère (« J’ai mis du temps à comprendre que Vendredi était ma mère, ma mère à moi »), mais aussi l’enfance d’une enseignante qui forme maintenant l’élite des lettres tout en devenant écrivain.
- Parce que c’est une autobiographie : l’auteure a vécu cette relation, c’est donc elle seule qui sait quelles sont les parts de violence héritée et d’amour qui la composent, qui peut avoir les mots justes pour critiquer sa mère, et qui en a le droit. Alors je prends les paris : elle ne supporterait sans doute pas que d’autres qu’elle prennent le relais de cette critique. Mais le lecteur ne peut que se sentir profondément ému par le gâchis humain parfois suffoquant, et admiratif que les relations mutilantes qui sont décrites aient débouché sur le miracle du partage par l’expression romanesque.
- Parce que c’est un livre gigogne : une fille écrit sur son enfance, et pour la comprendre, il faut aussi qu’elle raconte celle de sa mère ; une fille écrit sur sa mère, et pour la comprendre, il faut aussi qu’elle écrive sur sa grand-mère ; une fille écrit sur son enfance à Clermont-Ferrand, et pour comprendre sa vie auvergnate, il faut aussi qu’elle raconte ses vacances en Algérie ; une fille écrit sur ses années dans une impasse auvergnate, mais pour comprendre l’étroitesse de ce cadre, il faut aussi qu’elle raconte la liberté des montagnes des Aurès en Algérie, « l’Eden de [sa] mère ».
- Parce que l’auteure affirme « Je ne connais qu’une impasse et elle s’appelle Verlaine ». Une seule, d’accord, mais dans toute sa polysémie… L’impasse Verlaine ? L’adresse à laquelle l’auteure a grandi. Une impasse ? Une rue avec une unique issue, comme le sont les premières années de l’auteure, qui l’ont obligée à l’excellence scolaire si elle voulait échapper à la répétition familiale. Verlaine ? L’incarnation d’une certaine éloquence, comme le prix qui signe l’entrée de l’auteure dans l’amour de l’écriture. L’impasse Verlaine, à la fois voie sans issue et issue parfaite…
L’essentiel en 2 minutes
L’intrigue. Vendredi, enfant battue par sa mère, devient à son tour mère maltraitante… Mais gare à ce genre de petite phrase, qui ne pourra jamais suffire à décrire la complexité des destins tragiques et des possibilités de rédemption !
Les personnages. Djemaa, Vendredi, la Fatima, Sonia : quatre prénoms successifs pour une seule femme, la mère de la narratrice. La narratrice écrit à la première personne : c’est Dalie Farah, fille d’immigrés algériens illettrés devenue l’incarnation du prestige républicain en enseignant les lettres en classe prépa.
Les lieux. Des paysages de creux et de bosses comme le sont les vies des protagonistes : ceux des Aurès en Algérie, où le cauchemar côtoie le paradis de l’enfance. Puis ceux du massif central.
L’époque. Quand une histoire commence au tournant des années soixante en Algérie, on comprend que la grande histoire va marquer la petite. Mais le chemin continue, jusqu’à aujourd’hui et maintenant…
L’auteur.
Dalie Farah signe son premier roman. Il est autobiographique, et on le comprend : quand on est porteuse d’une telle histoire, il faut d’abord la déposer pour pouvoir la dépasser. Mais sa plume nous emporte si loin qu’on se sent maintenant prêt à la suivre dans toutes les fictions.
Ce livre a été lu avec la plume au poing !
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