Hypersensibles et hyperamoureux : émotions puissance 10
Puisque la moindre émotion résonne en eux comme les cloches de Notre-Dame, les hypersensibles se heurtent davantage aux aléas de l’amour. Comment accueillir ce trop-plein de sentiments sans faire fuir l’être aimé ? Éléments de réponses avec le psychiatre Stéphane Clerget.
Passer d’un incroyable fou rire à une profonde tristesse en l’espace d’une journée. Tel est le tourbillon émotionnel qui habite au quotidien les hypersensibles. En amitié comme en amour, ce trait de caractère particulier pousse à tout prendre à cœur. Un sourire, une soirée annulée à la dernière minute, un haussement de sourcil. Et ces montagnes russes sont d’autant plus difficiles à gérer lorsqu’on recherche l’élu ou que l’on partage sa vie avec. Comment aimer sereinement quand tous nos sentiments sont exacerbés ? Dans son livre Hypersensible, hyperamoureux (La Musardine), sorti le 14 janvier, le psychiatre Stéphane Clerget redonne de l’espoir à tous les ultra-émotifs.
Madame Figaro.fr.- Pourquoi avoir choisi de consacrer un livre sur les relations amoureuses des hypersensibles ?
Stéphane Clerget.- Je reçois beaucoup de patients qui m’apparaissent comme étant hypersensibles. Ils ressentent des émois avec une plus grande intensité que la moyenne. Pour certains, cela s’associe souvent à une hypersensorialité des odeurs, des goûts ou de la musique. Ils peuvent se laisser emporter par une mélodie ou vraiment être irrités par un bruit. À cela s’ajoute parfois une hypersensibilité intellectuelle, autrement dit la capacité à être envahi par les pensées, à ruminer énormément. Et toutes ces spécificités ont un impact sur leur vie, notamment dans leurs relations affectives.
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Les hypersensibles perçoivent-ils forcément l’amour avec un grand A ?
Leurs émotions sont exacerbées puissance 10. Alors quand il y a désir pour l’autre, l’attraction physique et sexuelle est vécue avec cette intensité très forte. Mais cela ne se traduit pas obligatoirement par un hyper-romantisme. Tout dépend de la personnalité de l’hypersensible à l’origine.
Vous dites que ce sont des personnes très attachées à l’observation des autres, aux stimulis sensoriels. En sont-elles plus exigeantes dans leur recherche de l’être aimé ?
C’est ce qu’elles prétendent mais la réalité est tout autre. Grâce à leur empathie, elles évaluent rapidement l’autre et perçoivent davantage les défauts. Si l’autre n’est pas conforme à leurs attentes, elles vont vite reculer. Ce n’est pas de l’exigence mais une réticence, une peur de souffrir. Certaines vivent les premiers accrocs du début de relation avec une telle intensité, une telle douleur, qu’elles lâchent prise tôt et en viennent à se méfier de l’amour, voire parfois à y renoncer complétement.
De base, l’amour peut s’avérer compliqué pour tout le monde car deux psychologies différentes se confrontent. Comment expliquer que l’hypersensibilité puisse en rajouter une couche ?
En couple, la problématique principale est de savoir si on est amoureux ou non, de faire la part des choses entre tous les ressentis pluriels et intenses que l’on éprouve pour l’autre. Les hypersensibles nagent encore plus dans ce flou. Ils ne possèdent pas non plus de carapace et sont ainsi plus vulnérables, dépendants du regard de l’autre.
Lors d’une rencontre, faut-il prévenir son nouveau partenaire que l’on est hypersensible ?
Dans un premier temps, il vaut mieux aborder le sujet de façon générale en décrivant le portrait d’un hypersensible. En l’entendant, le partenaire va l’associer à une personne de son entourage. Reste ensuite à savoir si cette dernière lui a laissé un ressenti positif ou négatif. Si la relation devient plus sérieuse par la suite, on pourra dire au partenaire que l’on possède ce trait de caractère, l’assurer que l’on reste une personne tout à fait normale mais avec simplement une réceptivité aux émotions plus forte.
Pour quelles raisons les personnes hypersensibles peuvent rencontrer davantage d’échecs sentimentaux ?
La jalousie fait partie des principaux facteurs d’échec sentimental, comme dans beaucoup de couples. Chez l’hypersensible, elle est liée à son manque de confiance en lui et à sa dépendance affective vis-à-vis de l’autre. Il craint d’être quitté. Cette peur a pu naître dans l’enfance avec la sensation d’être abandonné par des parents absents, le départ d’une grande sœur ou une séparation avec la nounou. Là où d’autres l’ont vécu comme une souffrance temporaire, certains enfants peuvent le vivre comme un véritable traumatisme. À l’âge adulte, cette sensibilité occupe tellement tout le terrain qu’on a du mal à raisonner dans nos relations aux autres. On est plus sensible aux critiques de son partenaire, on interprète mal, on réagit de façon excessive jusqu’au point de rupture.
Vous dites qu’ils peuvent être aussi la cible de prédateurs.
On dit que l’amour est aveugle mais il l’est doublement chez l’hypersensible. Une personne manipulatrice, qui éprouve du plaisir à faire souffrir l’autre, peut le prendre au piège en jouant sur sa dépendance affective, en appuyant sur sa culpabilité pour maintenir ainsi un lien d’emprise. L’empathie d’un hypersensible fait également de lui une cible idéale pour le vampire psychique qui prend sans jamais donner en retour. Quand il ressent la souffrance, le manque, ce dernier est prêt à tout pour les aider, tout cela pour continuer d’être aimé.
La violence de la rupture est-elle aussi double chez l’hypersensible ?
Plus que ça, elle est triple voire quadruple. Cela peut s’exprimer par des pleurs mais aussi des explosions de colère, de violence verbale. Il investit tellement dans l’autre que lorsque ce dernier part, cela ressemble à une amputation, comme si une partie de lui était coupé. Et à la différence des autres, cette souffrance ne disparaît jamais totalement. C’est une plaie qui saigne tout le temps. J’ai des patients qui parlent de leur rupture 20 ans après avec les larmes aux yeux comme si c’était hier. Beaucoup restent bloqué aux premières étapes du deuil de la relation : le déni, la tristesse ou plus rarement la colère. Bien sûr le temps et les autres histoires amoureuses viennent mettre un sparadrap supplémentaire mais la plaie est toujours là. Pour venir au bout de ce chagrin d’amour, il est nécessaire de faire un travail sur soi et de se faire accompagner.
Comment bien se comporter avec un amoureux hypersensible ?
Le grand secret c’est la communication. Il faut être attentif à l’autre et ne pas laisser de place au malentendu. Les hypersensibles sont souvent pris de cours par l’émotion et ont dû mal à dire les choses clairement. Dans ce type de configuration, chaque partenaire doit verbaliser au maximum, dire ce qu’on ressent et questionner l’autre sur ses sentiments. C’est comme une relation sexuelle : on s’assure toujours du consentement de l’autre, on explique là où on va. Et pour éviter de blesser l’autre, quand on fait une blague par exemple, on le précise : «je rigole, c’était une plaisanterie». On peut aussi inviter l’hypersensible à prendre du recul et à écrire une fois qu’il sera plus à l’aise au partenaire via SMS ou e-mail son ressenti. Finalement, cela revient à toujours respecter l’autre, comme si c’était la première semaine que l’on se voyait.
Cette exacerbation des émotions peut aussi impacter de façon positive la relation. Qu’avons-nous à apprendre des hypersensibles ?
Ce n’est pas un effort surhumain de vivre avec un hypersensible. Lorsqu’il est heureux, ce dernier est 10 fois plus enthousiaste et surtout il est davantage réceptif à ce que la vie lui offre. Aujourd’hui un nombre incalculable de personnes n’arrivent pas à éprouver de plaisir car ils brident trop leurs émotions. Il faut prendre le risque de vivre les choses avec plus d’émois, c’est ce qui nous fait sentir vivant et qui transforme notre quotidien en grande aventure.
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