Framing Britney Spears : trois choses à retenir du documentaire événement sur la popstar
« Laissez Britney tranquille ! » En septembre 2007, Chris Crocker poste une vidéo qui fera de lui la risée d’Internet. Caché sous une couette, le regard dégoulinant de mascara, la bouche tordue, le jeune fan de Britney Spears supplie ses spectateurs d’arrêter de s’en prendre à sa star préférée, critiquée pour sa prestation ratée aux MTV Video Music Awards. C’est l’une des premières vidéos à devenir virales en ligne, cumulant quatre millions de vues en deux jours, et à être parodiée en masse.
De « Leave Britney alone » à #FreeBritney
À ce moment-là, l’ancienne petite chérie de l’Amérique s’effondre depuis plus d’un an, sous le regard des médias, avides de suivre la déchéance de cette popstar révélée par Disney, devenue incontournable dès son premier single, Baby One More Time, en 1998.
Son mariage avec Kevin Federline prend l’eau, elle perd la garde physique de ses enfants, et se retrouve hospitalisée deux fois. Les paparazzis la harcèlent encore plus depuis qu’elle est devenue mère. Ses moindres faits et gestes sont scrutés, commentés, déformés au quotidien.
Le 16 février 2007, à bout, elle se rase le crâne elle-même dans un salon de coiffure, puis, se fait tatouer, sous les crépitements des flashs. Quelques jours plus tard, la star attaque la voiture de photographes avec un parapluie.
En 2008, soupçonnée de mal gérer son argent, Britney Spears est placée sous la tutelle complète de son père, Jamie Spears, de manière permanente. En clair : il a le dernier mot sur sa vie professionnelle, et privée. Jamie Spears a pourtant fait faillite plusieurs fois dans sa vie, et a été très absent durant la jeunesse de sa fille, qu’elle a passée à courir les auditions.
En octobre dernier, la star a affirmé, via son avocat, ne plus vouloir remonter sur scène tant que son père sera son tuteur légal.
Une déclaration qui n’a surpris personne. En 2019, le mouvement #FreeBritneySpears (« Libérez Britney Spears ») a émergé avec force sur les réseaux sociaux, dénonçant le maintien sous tutelle de la chanteuse. Des millions de fans craignent même qu’elle n’aie aucun libre-arbitre, et sont persuadés qu’elle leur adresse des « signes » via des interviews ou ses publications sur Instagram (dont certaines sont assez cryptiques, il faut le dire). Désormais, plus personne n’aurait idée de se moquer de Chris Crocker.
Ces adorateurs fidèles sont aussi révulsés par la manière dont Britney Spears, aujourd’hui âgée de 39 ans, a été traitée en 2007. Un double retournement de situation exploré par Framing Britney Spears, film-documentaire événement de Hulu et du New York Times sorti en février, disponible en France sur Amazon Prime Video à partir du 5 avril 2021.
En s’appuyant sur l’analyse de son ancienne assistante, d’anciens collaborateurs, avocats et de journalistes, le documentaire veut comprendre pourquoi Britney Spears, montée sur un piédestal pendant son adolescence, a pu se retrouver ainsi clouée au piloris.
Voici les trois points principaux à retenir de Framing Britney Spears.
Un maintien sous tutelle inexplicable
C’est le constat lançant le documentaire : pourquoi Britney Spears est-elle toujours sous la tutelle de son père, Jamie Spears ? Depuis 2008, la chanteuse a effectué une résidence à Las Vegas, a ressorti plusieurs albums auréolés de succès, et a été jurée dans X Factor. Début 2019, elle a décidé de faire une pause pour une indéterminée.
Face à la caméra, des experts juridiques rappellent qu’une mise sous tutelle complète et permanente est très rare. Elle est en général réservée aux personnes ayant perdu toute faculté à prendre de bonnes décisions pour elles-mêmes, c’est-à-dire, surtout des personnes séniles. Dès lors, il paraît incompréhensible que Britney Spears, aux portes d’être quadragénaire, qui a continué sa carrière et s’occupe aussi de ses deux fils, y soit toujours assujettie.
Ils m’entendent, mais ils ne m’écoutent pas.
Framing Britney Spears montre ainsi un extrait de documentaire de MTV, au début des années 2010, où la star confie que « sans les avocats, docteurs et les gens qui [la] scrutent tous les jours », elle se sentirait « libérée ». « Ils m’entendent, mais ils ne m’écoutent pas », déplore-t-elle. Avant d’ajouter : « Je suis triste », et d’essuyer ses larmes.
Pendant ce temps, en tant que son responsable légal, son père perçoit 1,5% de ses bénéfices. Une somme colossale, vu sa fortune. Plusieurs intervenants dépeignent ainsi un tableau sombre de Jamie Spears, présenté comme intéressé par l’argent. Récemment, son avocate a répété qu’il n’était pas « le méchant » dans cette histoire. « Si elle [Britney, ndr] veut enregistrer un album, elle le fait et si elle veut monter sur scène, elle monte sur scène », a affirmé le conseil.
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Britney Spears, une bosseuse affirmée
En diffusant de nombreuses images d’archives des débuts de sa carrière, où la jeune femme est dynamique, joyeuse, déterminée, travailleuse et sûre d’elle, Framing Britney Spears ressuscite tout un pan de son histoire, et ravive une nostalgie douce-amère.
On voit une très jeune Britney Spears enchaîner les concerts dans des supermarchés, jusqu’à remplir des stades, donner des directives pointues lors de répétitions, dénoncer pendant une interview les doubles standards sexistes entre les artistes hommes et femmes, mais aussi, soupirer face à des questions sexistes.
Ces images sont émouvantes et rendent hommage à son talent. Surtout, elles surprennent, car on ne s’attendait pas à voir une jeune femme si pleine de vie, et déjà consciente du sexisme, malgré son très jeune âge.
Pourquoi est-on destabilisé•e•s en les voyant ? Parce qu’on les avait tout bonnement oubliées. Le récit négatif tenu à son encontre par l’immense majorité des médias à la fin des années 2000 a fini par écraser les images positives qu’on avait pu avoir d’elle, occultant qui elle était avant sa chute.
De Unes people racoleuses aux commentaires de chroniqueurs TV empreints de misogynie, Britney Spears a été ridiculisée, déshumanisée. Les médias ont donné le feu vert pour qu’elle soit réduite à un objet de moquerie, et de voyeurisme sans gêne, en caricaturant sa souffrance pour une folie justifiant la curiosité, le jugement, et interdisant l’empathie.
Une industrie sexiste liguée contre ses stars féminines
Pourtant, lorsqu’elle a sombré, personne ne s’est demandé d’où venait cette souffrance, ni si elle était normale, comme le pointe Framing Britney Spears. « Personne ne parlait de santé mentale à l’époque », rappelle ainsi Wesley Morris, journaliste au New York Times. « On se demandait ce qui posait problème chez elle. Trop d’argent a été fait sur le dos de sa souffrance. »
Harcelée jour et nuit par des paparazzis, à la fois proie et produit des tabloïds déchaînés, d’une industrie musicale sexiste, violente et avilissante, soumise à des injonctions contradictoires (être pure mais séduire), Britney Spears n’avait aucune chance de s’en sortir.
En accéléré (il ne dure que 75 minutes), Framing Britney Spears récapitule en quoi cette chute était inévitable. Le documentaire offre un condensé d’insultes sexistes essuyées par la chanteuse, comme ce journaliste qui veut lui « parler de ses seins », ou celui qui lui demande en conférence de presse si « elle est toujours vierge ».
À l’époque, l’Amérique conservatrice aime autant qu’elle se méfie de cette jeune popstar jurant rester vierge jusqu’au mariage, mais qui est très sexy dans ses clips. « Britney représentait la dichotomie d’être une adolescente : elles veulent être des femmes adultes, mais elles sont aussi des enfants », note une responsable d’un label.
Framing Britney Spears prend aussi le temps de rappeler comment Britney Spears a été traînée dans la boue lors de sa rupture avec Justin Timberlake, qui sous-entendait qu’elle l’avait trompé. Dans une séquence choquante, déjà connue, la star doit justifier si elle a bien été infidèle à son ex petit-ami. D’abord dépitée, elle finit par éclater en sanglots. « Elle était la salope du lycée, tandis que lui était le joueur de foot cool », résume un intervenant du documentaire.
Trop d’argent a été fait sur le dos de sa souffrance.
Près de vingt ans plus tard, au tour de Justin Timberlake d’être fortement égratiné, à la faveur d’archives à charge, qui n’avaient choqué personne à leur époque. Framing Britney Spears rappelle ainsi qu’il a fait décoller sa carrière solo en capitalisant sur cette rumeur d’infidélité (notamment avec le tube Cry Me A River), et en tenant des propos présomptueux, voire sexistes, envers elle, pour se faire mousser. Même son épisode tout sauf glorieux du Super Bowl, avec Janet Jackson, est rappelé.
En amenant à changer de point de vue, à l’aune des avancées en matière de féminisme, Framing Britney Spears démontre à quel point l’attitude de Timberlake, et des médias, avait été sexiste et paternaliste. À la sortie du documentaire, le scandale a été tel que Timberlake a publié un mea culpa formel à l’intention des deux chanteuses, le 12 février.
J’ai toujours été tellement jugée, insultée et mise dans l’embarras par les médias, et c’est encore le cas aujourd’hui.
« J’ai toujours été tellement jugée, insultée et mise dans l’embarras par les médias, et c’est encore le cas aujourd’hui », a récemment déclaré Britney Spears sur son Instagram. Répondant à ses fans qui lui trouvaient une mine triste, elle a confié : « Je n’ai pas regardé le documentaire, mais la manière dont il me montre, de ce que j’en ai vu, m’a mise mal à l’aise. J’ai pleuré pendant deux semaines, et ça m’arrive encore maintenant. »
Il y a tant à dire et analyser sur Britney Spears, qu’on reste sur sa faim lorsque Framing Britney Spears se clôture, même s’il parvient à brasser le sujet dans ses traits principaux. À quand une série-documentaire sur Britney Spears digne de ce nom ? Le monde est prêt. Netflix se pencherait sur l’idée, a-t-on appris en février.
Framing Britney Spears, un documentaire de 75 minutes réalisé par Samantha Stark, produit par Jason Stallman, Sam Dolnick, et Stephanie Priess, disponible sur Amazon Prime Video à partir du 5 avril
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