"Et si l'on réinventait nos soirs de fêtes ?"
« Comme chaque année, la date est entourée en rouge sur le calendrier familial. Non pas celle de Noël, trop évidente pour être mentionnée, mais plutôt la date limite à laquelle acheter des cadeaux sans être trop débordée.
Car depuis plusieurs années maintenant, il faut faire preuve d’une organisation sans faille, penser à chaque fragment de cette famille qui s’est tissée, recomposée, étoffée, parfois éloignée.
Alors comme le plus habile des funambules, on veille à toutes les attentions possibles pour que chacun se sente justement honoré. On choisit. On emballe. On enveloppe de papier et de rubans. On étiquette. On recompte. On rajoute. On installe au pied du sapin.
Mais au fil des jours, ce qui devait être plaisir devient contrainte et course contre le temps.
Réinventons nos soirs de fête
« Et Tante Alice, tu lui as pris quoi ? », « Ah non ! Ça, Jules l’a déjà », etc. La consommation frénétique a supprimé toute forme de conscience et de magie. Le seul frisson d’émotions qui demeure est celui de nos moyens de paiement. Est-ce irrémédiable ?
Et si cette année, nous osions faire autrement ? Et si c’était le bon moment pour changer la donne et renouer avec la beauté de l’instant ? Peut-être qu’au lieu de faire le tour des boutiques, nous réinventerons nos soirs de fête. Noël nous impose de réfléchir à notre enfance, nos appartenances, nos désirs et nos symboles.
Ce que décembre nous offre, au fond, c’est l’opportunité d’une introspection. Que souhaitons-nous donner ? Que voulons-nous célébrer ? Qu’est-ce qui nous réunit ? Est-ce juste une question d’objets échangés ? Souvent, on se laisse fondre dans les habitudes sans les questionner, car au fond, les traditions rassurent, elles encadrent nos existences.
L’audace de renouveler nos traditions
Qu’on soit croyant ou non, à deux ou à quinze, la tradition est émouvante précisément parce qu’elle est une résistance à l’effacement et à l’oubli. Elle est une “adhérence” qui nous évite d’être flottant en nous situant quelque part, en nous donnant la sensation merveilleuse d’appartenir à un couple, une famille, une tribu, une bande, une civilisation.
Mais il y a aussi ceux que la tradition étouffe, agace, éreinte. Ceux que Noël angoisse. Et ceux qui ne demandent qu’une chose : remettre un peu d’esprit et de spiritualité dans cette ivresse si lourdement marketée. Il ne s’agit pas de céder à la morosité, ni de faire taire la joie, mais de cheminer vers une autre perspective.
Qu’est-ce qu’un “présent” si ce n’est une ode à la présence qui nous fait si souvent défaut ? Le plus beau des Noël n’est pas celui où l’on repart les bras chargés de nouveautés, mais bien celui où l’on se sent riche des autres, comblé par les souvenirs, les lumières et l’amour. Y a-t-il une magie plus puissante que celles de ces fils invisibles que l’on tisse entre nos cœurs ?
Alors au diable les achats ! Ayons l’audace de renouveler nos traditions. Au lieu de déballer des paquets, déclarons notre tendresse, dévoilons nos sentiments, parlons jusqu’au bout de la nuit, blottissons-nous les uns contre les autres, faisons tourbillonner les générations. Emballons nos âmes avec le plus précieux des rubans : celui d’être ensemble et de vivre l’instant. Joyeuses fêtes ! »
(*) Dernier livre paru : Une année de philosophie, éd. Flammarion.
Article publié dans le magazine Marie Claire 844
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