Esther, 20 ans, lesbienne réfugiée en France : "Je ne veux pas retourner au pays"

Centre LGBTIQI+ de Paris, le 12 mai 2021. Ils et elles sont une douzaine réuni-e-s autour d’Herve Latapie, responsable du Melting Point pour parler de leur situation. 

Ces jeunes homosexuels et lesbiennes dont la plupart ont fui l’Afrique sub-saharienne, ont vu leur demande d’asile et de statut de refugié rejeté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Certain.es attendent une audience à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) après y avoir déposé un recours*. 

Prouver son homosexualité pour obtenir l’asile politique

« En 2020, l’OFPRA a accepté 22% demandeurs d’asile sur environ 100 000 personnes, explique Herve Latapie. En Allemagne, c’est 45%, en Espagne 40%. Impossible de connaitre le nombre de gays parmi eux, ces statistiques sont interdites en France. » Depuis janvier 2020, les membres du Centre ont le droit d’assister aux entretiens menés par les officiers de protection.

« J’ai notamment accompagné Esther et Houraye, poursuit Hervé Latapie, toutes les deux ont vu leur demande rejetée. Je note depuis quelques mois, un recul très net. Aujourd’hui, l’OFPRA reçoit 400 personnes par jour. Avec 200 officiers de protection, c’est du travail à la chaine. Il y a d’ailleurs un turn-over terrible. Au bout d’1h40, on leur dit : « C’est fini, je dois prendre quelqu’un d’autre ». On est comme au commissariat, c’est un interrogatoire avec des questions très délicates sur la vie privée et sexuelle avec en face des personnes traumatisées. »

Esther, 20 ans, qui a fui le Burkina Faso à 16 ans (témoignage ci-dessous) confirme. « L’officier devant son ordi tapait en même temps que je lui parlais, il me disait ‘allez-y plus doucement, j’écris..’ J’ai relu la transcription audio plus tard, il n’a pas écrit tout ce que j’ai dit. »

J’ai fini par parler des viols que j’ai subis mais rien n’est pris en considération. On a dû se battre, on a trop souffert pour arriver jusqu’ici et eux nous disent « c’est pas convaincant »

Rama, 28 ans, qui a fui le Sénégal ne cache pas sa colère face au refus de sa demande d’asile. « Ils savent bien ce qui se passe dans nos pays où nous sommes persécutées. On ne peut pas étaler notre vie en 1h47 minutes. Le monsieur me pressait, il n’était pas dans la peau d’un écoutant. J’ai fini par parler des viols que j’ai subis mais rien n’est pris en considération. On a dû se battre, on a trop souffert pour arriver jusqu’ici et eux nous disent « c’est pas convaincant » mais ils veulent quoi comme preuve de notre homosexualité ? Des vidéos ? Qu’on passe à l’action devant eux ? Ça fait mal, je ne peux pas continuer … »

Ce 17 avril, Esther, Rama, Felix, John et les autres se retrouveront devant l’Hôtel de Ville de Paris pour protester : en cette journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, le gouvernement lance une campagne de lutte contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et identité de genre et leur impact sur la santé. De belles paroles et de louables intentions mais combien sont-ils aujourd’hui ces homosexuels et ces lesbiennes qui ont choisi l’exil pour fuir les persécutions. affronté les pires dangers pour se réfugier en France où l’asile politique leur a été refusé ? Esther Ouedraogo a accepté de nous livrer son histoire.

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Le témoignage d’Esther Ouedrago, 20 ans, lesbienne persécutée réfugiée en France

« Je suis la seule fille née après quatre garçons. Ma mère est décédée quand j’avais dix ans. Ma famille vit à Bobo-Dioulasso, la capitale économique du Burkina-Faso où mon père, mécanicien possède des champs, je n’ai manqué de rien. En fait, tout a commencé entre cinq et huit ans : je jouais au papa et à la maman, et je tripotais mes copines. Je ne savais pas ce que c’était, j’étais le papa, je me couchais sous un pagne avec la maman et je la caressais. Un jour, en rentrant de l’école, mon père a fermé la porte, et m’a demandé « Que fais-tu avec les filles ? Tu touches les filles ». J’ai dit qu’on s’amusait, c’est tout, mais il m’a frappée puis il a gratté du gingembre et m’en a mis dans le sexe et les fesses pour me punir. Un enfant avait raconté notre jeu à sa mère qui l’a répété à mon père, « inacceptable à son âge ! ».

Dans mon quartier à Bobo-Dioulasso, on me provoquait, on me disait en patois « C’est pas un homme, c’est pas une fille », « C’est une malédiction, tu penses que c’est un zizi en bas de toi ! ». 

J’ai alors tout arrêté et je me suis mise à jouer au foot avec les hommes de mon quartier. A neuf ans, j’ai été recrutée au club de foot féminin AS Tigresses de Bobo-Dioulasso. Puis mon père m’a envoyée en 6e dans un collège catholique à Ouagadougou. J’étais interne. Je détestais qu’on nous force à porter des jupes évasées, mais entre filles, on se frottait sous la douche, j’étais trop contente (rires). Au collège, j’étais discriminée par mon apparence physique, on me disait « Tu ne t’habilles pas comme nous, tu es un mauvais exemple pour les filles ». Dans mon quartier à Bobo-Dioulasso, on me provoquait, on me disait en patois « C’est pas un homme, c’est pas une fille », « C’est une malédiction, tu penses que c’est un zizi en bas de toi ! ». 

Mon père m’a de nouveau frappée car j’osais répondre aux vieux qui m’insultaient, il hurlait : « Les filles du club sont des lesbiennes et toi aussi », j’ai nié. Un jour, j’avais 15 ans, mon père a brûlé mes habits, a exigé que je laisse pousser mes cheveux et que je m’habille en femme. J’ai fui chez mon oncle à Ouagadougou mais il a menacé de me dénoncer à la police, alors je suis retournée à la maison et les ennuis ont commencé. 

Un an plus tard, le jour du 8 mars, on a joué un match de foot, les femmes contre les hommes, pour récupérer de l’argent pour l’achat des uniformes. Tout le monde est parti fêter ça au bar, et moi je suis rentrée à la maison pour regarder la télé, avec ma copine Adissa. On s’est câliné, embrassé puis on a fini dans ma chambre. On faisait l’amour quand ma belle-mère est entrée. Elle s’est mise à hurler : »C’est une abomination, tu es lesbienne, venez on les a chopées », toute la cour l’a entendue. Elle m’a dit : « Je vais appeler ton père. » Je l’ai poussée, on a foncé dans la cour et j’ai sauté sur ma moto, j’ai dit à Adissa : « Ca va mal se passer, je ne veux pas rester », elle m’a répondu : « Je pars avec toi. » On a fui ensemble. 

Un jour, j’avais 15 ans, mon père a brûlé mes habits, a exigé que je laisse pousser mes cheveux et que je m’habille en femme.

J’ai appelé la présidente de mon club de foot féminin à Ouagadougou, où je jouais depuis l’âge de 11 ans, elle aussi est lesbienne, mais elle a refusé de nous recevoir quelques jours, j’avais 16 ans, j’étais mineure, elle ne voulait pas prendre de risques. Adissa, elle avait 23 ans. Elle nous a donné un peu d’argent, j’ai vendu ma moto et nous sommes parties au Mali, à Bamako où une amie d’Adissa nous a accueillies. Le problème est que le père de cette amie est imam, il m’a demandé : « C’est quoi ça ? Ta coiffure et ton pantalon « ’. Ce monsieur m’a virée au bout d’un mois : « Tu es habillée comme un garçon, tu es une délinquante et une athée. » Adissa, elle, est féminine et pieuse, elle a pu rester. On est toujours ensemble même si on est loin l’une de l’autre. 

J’ai contacté un passeur, je l’ai payé 700 euros et j’ai pris une route clandestine. Je suis passée par l’Algérie puis la Libye où j’ai été arrêtée par l’Armée. J’ai été condamnée à 3 mois de prison, mais ma chance est qu’on m’a mise dans une cellule avec des femmes enceintes, moins surveillée, j’ai réussi à me sauver au bout d’une semaine. J’ai échappé aux viols et à l’esclavage. J’ai rappelé le passeur, et au bout de deux jours, un taximan m’a emmenée à Tripoli et m’a trouvé un bateau. J’ai pris le risque et j’ai grimpé dans un Zodiac avec 300 personnes, sans gilet de sauvetage avec un moteur pourri. On est parti le matin et vers 15h, je suis tombée à l’eau, je ne sais pas nager, je me suis accrochée comme j’ai pu, j’ai avalé beaucoup d’eau et c’est un bateau italien qui m’a sauvée.

J’ai pris le risque et j’ai grimpé dans un Zodiac avec 300 personnes, sans gilet de sauvetage avec un moteur pourri. On est parti le matin et vers 15h, je suis tombée à l’eau, je ne sais pas nager, je me suis accrochée comme j’ai pu.

Comme j’étais mal en point, ils m’ont envoyée dans un hôpital à Naples, puis je me suis retrouvée, la seule fille, dans un camp de refugiés pour hommes. J’ai pu jouer au Benevento calcio, dans l’équipe féminine pendant deux ans. Mais j’ai été exploitée par une des responsables du camp qui prenait l’argent que je gagnais. J’ai décidé de fuir. Le 12 octobre 2019, j’ai pris le train en Italie, puis le bus et le TGV en France et j’ai débarqué à Paris. Médecins de Monde m’a donné des médicaments et m’a orientée sur le Centre LGBTI où j’ai rencontré Hervé Latapie. Il m’a aidée à lancer une procédure de demande d’asile à l’OFPRA en février 2020. J’ai été convoquée le 7 septembre 2020 et j’ai reçu la réponse le 7 mai 2021 : rejet de ma demande. L’officier de protection ne m’a pas crue et a refusé de prendre en compte l’excision et le mariage forcé.

Quand j’étais dans le ventre de ma mère, mon père a promis à un ami de me donner en mariage à un de ses fils. Ils ont conclu l’affaire et quand je suis venue au monde, cet ami lui a dit : « Il faut que tu l’excises pour qu’elle soit fidèle’’. C’est ma tante qui me l’a raconté. Cette excision fait partie de mon histoire, et pourtant l’officier de protection n’a pas voulu la prendre en compte. Médecins du Monde m’a envoyée à la Maison des femmes de Saint-Denis pour une reconstruction du clitoris, mais je vais le faire plus tard, je suis trop fatiguée pour l’instant.

Je ne peux pas travailler, ni suivre une formation, je suis sous anti- dépresseurs, je prends des médicaments pour dormir, je n’ai pas droit à une vraie vie.

Je fais partie du club « Les dégommeuses », une équipe de foot lesbienne. Je fréquente toutes les associations gays comme Les lesbiennes n’ont pas de frontières, je suis bénévole au Centre LGBTI… j’aime les personnes qui m’entourent mais franchement, le reste c’est de la merde ! Je ne peux pas travailler, ni suivre une formation, je suis sous anti- dépresseurs, je prends des médicaments pour dormir, je n’ai pas droit à une vraie vie. Une équipe professionnelle de foot, le Paris FC veut m’engager, ils ont même fait une attestation pour l’OFPRA qui n’en a pas tenu compte disant que mon récit « manque de spontanéité, qu’il n’y a pas assez de détails, que je n’ai pas été agressée ».

Je vais passer en recours à la Cours nationale du droit d’asile (CNDA). Au début, je dormais dehors, j’appelais le 115, j’ai été hébergée à la Halte pour les sans abris à l’Hôtel de Ville mais des filles homophobes m’ont harcelée, j’ai dû porter plainte à la police. Aujourd’hui je suis logée dans un foyer à Paris. J’ai une amoureuse. Je peux l’embrasser, lui prendre la main dans la rue, je ne suis pas discriminée. Je suis libre, c’est excitant, je ne veux pas retourner au pays. »

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*Depuis l’entrée en vigueur de la loi réformant le droit d’asile, le 1er novembre 2015, l’orientation sexuelle devient légalement un groupe social. 

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