Enfants placés : "Être famille d’accueil c’est dur, beaucoup finissent par jeter l’éponge"
C’est un témoignage, celui de Lyes Louffok, en 2014, qui va jeter une lumière crue sur le monde jusqu’alors opaque de l’Aide sociale à l’enfance, (ASE). Après son livre Dans l’enfer des foyers, au fil des années, des reportages et des documentaires vont secouer l’opinion publique. On découvre alors que beaucoup trop d’enfants que l’on pensait protégés de leurs parents dysfonctionnels ou pire maltraitants, sont ballotés de familles d’accueil en foyers où il sont parfois victimes de violences physiques et sexuelles.
Aujourd’hui en France, ce sont plus de 350 000 mineur-es qui font l’objet d’une mesure de protection de l’enfance dont la moitié sont placés. Journaliste à L’Obs, Marie Vaton publie Enfants placés, il était une fois un naufrage, (Flammarion), le récit de ses deux ans d’enquête au cœur de l’ASE auprès des travailleurs sociaux, des assistantes maternelles, des juges, des familles dysfonctionnelles et des enfants placés.
On est tour à tour exaspéré par les délais inacceptables d’attente de placement, les enquêtes sociales bâclées faute de temps, le turn-over des équipes lessivées, glacé par l’histoire de cette fillette obligée de renouer avec son père violeur mais aussi réconforté par l’engagement et l’humanité de travailleurs sociaux, guettés par le burn-out. Marie Vaton nous livre la chronique d’un naufrage avec l’espoir qu’il n’est pas trop tard. Entretien.
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Marie Claire : Pendant deux ans, vous avez enquêté au cœur de l’ASE, sur son système opaque et complexe, avez-vous le sentiment que les choses commencent à bouger ?
Marie Vaton : On n’était pas assez nombreux à s’intéresser à ce sujet, c’est Lyes Louffok qui en 2014 a publié Dans l’enfer des foyers, a pris le relais des associations, et qui a agi auprès de Laurence Rossignol, alors ministre des familles, de l’Enfance et des Droits des femmes. Avant lui, les enfants de l’ASE étaient invisibilisés. Lyes n’a jamais non plus appuyé sur le côté victimaire. Le fait d’être militant, de proposer des solutions de secouer les politiques et les acteurs de terrain, a permis d’humaniser une réalité et de sensibiliser l’opinion publique.
J’avais moi aussi des préjugés sur l’ASE, surtout après l’affaire abominable de Marina, tuée malgré plusieurs signalements. Nous les journalistes, relayons juste les faits-divers, j’ai voulu comprendre le fonctionnement de ce système opaque. Ce livre est un état des lieux qui traite des départements, des familles d’accueil, des audiences. Je suis sur le terrain depuis 2014, je constate que depuis la loi de 2016 relative à la protection de l’enfant, les choses commencent à s’améliorer, mais c’est dommage qu’elle soit encore peu appliquée, beaucoup s’en réfèrent à celle de 2007 où la politique est de maintenir à tout prix les liens familiaux. J’espère que grâce à #MeTooInceste, même si l’affaire Duhamel c’est la France d’en haut, pas celle dont je parle, la famille sera moins sacralisée. Aujourd’hui, on en arrive à des aberrations…
Comme l’histoire de Madeleine, assistante maternelle, à qui l’ASE menace de retirer la petite Emma placée chez elle parce qu’elle l’aime trop…
Oui, je suis restée plusieurs jours chez cette assistante maternelle géniale. Quand elle a récupéré Emma, placée chez elle, à l’âge de deux semaines, c’était un bébé fracassé. Aujourd’hui, c’est une petite fille épanouie. Madeleine m’a montré les lettres de l’ASE de son département, on lui dit : « Vous donnez trop d’amour à cette enfant, on va vous la retirer ».
Elle doit accompagner la petite chez son père qu’elle n’a pas connu. Madeleine, qui n’aurait jamais dû avoir accès au dossier médical d’Emma, c’est une erreur, est pleine de bonne foi. Elle subit des pressions du département car elle a du caractère et ne se laisse pas faire, c’est son premier agrément, elle est très attachée à Emma.
Les familles d’accueil sont un chapitre important de mon livre. On parle beaucoup des foyers, des audiences, de la Brigade des mineurs, mais très peu des familles d’accueil, là où devraient être placés un maximum d’enfants. Cela coûte moins cher qu’un placement en foyer mais le problème est que ces assistantes maternelles ont toutes entre 35 et 55 ans et dans 10 ans, il y en aura plus. Les effectifs ont déjà baissé de 23% en 3 ans. Plus personne ne veut faire ce métier difficile, rémunéré autour de 1200 euros par mois et par enfant. Les familles d’accueil qui y mettent tout leur cœur sont nombreuses, mais c’est dur et beaucoup finissent par jeter l’éponge.
Vous parlez aussi de ce qui fonctionne comme Action Enfance et ses villages d’enfants où les éducateurs font un travail remarquable…
Oui, c’est très bien, ils m’ont redonné foi. C’est important de montrer des foyers désinstitutionnalisés avec d’autres fonctionnements. Il y a en France, un million deux cent mille travailleurs sociaux, dont 300 000 dans la protection de l’enfance, j’en ai rencontrés des formidables, beaucoup en burn-out certes mais qui aiment leur métier.
J’avais envie qu’on parle des éducateurs, ce sont eux les héros de mon livre.
On ne voit jamais non plus ceux des services d’Action éducative en milieu ouvert (AEMO), je les appelle la brigade des éducateurs volants. Ils en amont, pendant et après le placement, ils suivent les familles sur la durée. Eux aussi parlent du maintien du lien familial mais de façon intelligente. J’avais envie qu’on parle des éducateurs, ce sont eux les héros de mon livre. Je ne sais pas comment ils tiennent, ça m’a remuée, parfois bouleversée, je suis d’ailleurs restée en contact avec la plupart d’entre eux.
Vous évoquez aussi les mineurs non accompagnés qui doivent être pris en charge par l’ASE, un problème pour certains politiques…
Certains pensent que les mineurs non accompagnés mangent le pain des Français, c’est du racisme. Lyes Louffok et Laurence Rossignol ont raison de rappeler que ces mineurs, qu’ils soient congolais ou afghans, sont d’abord des enfants sur le territoire français. Le gouvernement aimerait mettre d’un côté les Rom et de l’autre les mineurs non accompagnés, avec une gestion des départements, et une autre relevant de l’exécutif qui s’en occuperait de manière indépendante.
Dans ce cas, séparons aussi les mineurs toxicomanes de ceux qui sont à la rue ! La politique de l’enfance est universaliste, je rappelle que la France a signé la Convention internationale des droits de l’enfant.
Certains pensent que les mineurs non accompagnés mangent le pain des Français, c’est du racisme.
Comment en tant que simples citoyens pouvons-nous agir ? Des associations comme Parrains par mille proposent de parrainer des enfants de l’ASE…
On devrait plus communiquer sur le parrainage qui est une très belle idée.
Je donne l’exemple de jumeaux placés en foyer qui un week-end sur deux vont chez leur parrain. Une belle histoire. Une éducatrice m’a dit: « On essaie de montrer à ces enfants que la vie n’est pas faite que de ruptures. » Cette phrase est poignante, car si nous vivons toutes des ruptures, pour ces enfants, elles commencent très tôt, et les arrachent à leurs racines familiales. Comment peuvent-ils s’ancrer ensuite, construire leur identité ? Même ceux qui s’en sortent relativement bien ont des failles profondes.
Je ne comprends par pourquoi le gouvernement ne se mobilise pas plus. À L’Obs, je fais beaucoup de terrain, des enquêtes de société sur la banlieue comme beaucoup de journalistes de gauche, mais la protection de l’enfance, c’est la France d’en bas, celle des « cas soc’ », c’est cracra, elle n’intéresse pas beaucoup les journalistes parisiens. Ce manque d’intérêt renvoie hélas au mépris social de la société envers les enfants de l’ASE.
- Acheter Enfants placés, il était une fois un naufrage, (Flammarion), de Marie Vaton sur PlaceDesLibraires
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