Elles ont fait le choix d’accoucher sans péridurale

  • La crainte de complications associées
  • La frustration de n’avoir "rien ressenti" à l’accouchement
  • Accoucher sans péridurale : une préparation solide de rigueur
  • Un choix à faire "en conscience"
  • "La péridurale, c’est un progrès, pas une obligation"

Lorsqu’il la chasse du jardin d’Éden, Dieu dit à Ève : « Tu enfanteras dans la douleur ». Vraiment ? Pas avec la péridurale ! Proposée aux femmes pendant leur accouchement afin qu’elles en supportent les douleurs, elle remporte les suffrages depuis plus de quarante ans.

« 77% des Françaises y ont eu recours pour enfanter en 2010 ; 83% en 2016, sachant que les chiffres varient d’une maternité à l’autre », explique le Professeur Philippe Descamps, gynécologue-obstétricien, auteur de Docteur, j’ai encore une question – Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la gynécologie sans jamais oser le demander* (Larousse, 2016). 

Alors, la péridurale, une panacée ? Une passion française, aussi, au regard de l’Allemagne, par exemple, où elle accompagne seulement 25% des parturientes. « Outre Rhin, la population est nettement plus favorable à l’accouchement naturel », explique le gynécologue obstétricien. Or, la vogue actuelle de l’enfantement naturel, des maisons de naissance et de l’accouchement à domicile change le regard porté par certaines sur ce qui était considéré jusque-là comme un accompagnement automatique. 

La crainte de complications associées

Antécédents au niveau du rachis, problèmes d’anticoagulants… Les contre-indications potentielles sont abordées lors d’une consultation avec l’anesthésiste, obligatoire en amont d’une naissance.

« Comme pour tous les actes médicaux, les complications restent possibles mais sont, dans ce cas, rarissimes et le plus souvent bénignes » explique le Pr Descamps. Fourmillements, impressions d’engourdissement dans les jambes, maux de tête sont susceptibles d’apparaître une fois les effets anesthésiants estompés. Quant à la peur de la paralysie, elle est injustifiée, selon l’obstétricien. « L’injection peut éventuellement créer une brèche dans la dure mère, cette membrane fibreuse et rigide qui enveloppe la moelle épinière », évoque-t-il.

Comme pour tous les actes médicaux, les complications restent possibles mais sont, dans ce cas, rarissimes et le plus souvent bénignes.

Pour éviter que du liquide céphalo-rachidien s’échappe, on pratique alors un « bloodpatch » en injectant un peu de sang pour boucher la fissure. Symptômes associés : nausées, vertige, vomissement, acouphène, troubles visuels, ou plus simplement des maux de tête, qui apparaissent 24 heures à sept jours après. Pour absorber ces effets, on s’accorde du repos au lit, une bonne hydratation et nec plus ultra, une séance ostéopathique dans les jours, semaines qui suivent. Toutefois, ce risque de ponction durale serait inférieur à 0,26%, d’après le professionnel. 

La frustration de n’avoir « rien ressenti » à l’accouchement

D’après la sage-femme libérale Aurélie Surmely, de plus en plus de femmes, pour leur seconde grossesse, ont envie de vivre autre chose. Profil type ? « Des déçues de la péri, souvent car elles n’ont rien ressenti. Elles se rendent compte que ce n’était pas ce qu’elles désiraient », précise l’auteure de l’ouvrage Accoucher sans péridurale** (Larousse). Après avoir longtemps travaillé en clinique, Aurélie Surmély accompagne désormais des futures mères en préparation à la naissance.

Allongée sur le côté, complètement passive, j’avais l’impression d’être à côté de ce qui se passait.

« Elles me contactent toutes via mon blog pour une naissance physiologique ; on sent la frustration, le sentiment d’avoir été dépossédée d’une partie de leur accouchement », confie la professionnelle. C’est Estelle, 37 ans, qui regrette la sensation d’avoir été comme « un peu shootée ». « Allongée sur le côté, complètement passive, j’avais l’impression d’être à côté de ce qui se passait, déconnectée de mon corps, prête à m’endormir. J’ai eu l’impression de laisser ma fille faire tout le boulot. »

Parfois, l’expérience se solde en complications, comme en témoigne Vanessa, dont la péridurale trop dosée déclenche un « déficit moteur et un prurit insomniant ». Échaudée, la trentenaire décide de se passer de l’injection miracle pour son deuxième. Grâce à l’accompagnement d’une sage-femme libérale et d’une doula, elle vit une naissance sans péridurale très intense. « J’ai été surprise par cette sorte d’état second qui m’a envahie au moment de l’expulsion. Je recommencerais sans aucun doute pour le troisième », affirme-t-elle, heureuse d’avoir fait fi de la pluie de désapprobations exprimées par son entourage.

Accoucher sans péridurale : une préparation solide de rigueur

Sur les réseaux sociaux, les débats font rage entre pro et contre. « Nos mères se sont battues pour l’avoir, c’est un retour en arrière » ; « Tu es masochiste ou quoi ? » ; « C’est un truc de bobo parisien » ; « En quoi ça te dérange que je veuille accoucher comme ma mère, ma grand-mère ? N’ai-je pas le droit d’avoir peur des aiguilles, des produits anesthésiants, de l’intervention du médical dans un processus naturel ? »…etc.

Les témoignages de naissances « sans » réussies bourgeonnent aussi… et donnent envie, même aux primipares. « Elles sont très renseignées par les réseaux sociaux et sont plus sensibles que leurs aînées à l’idée d’enfantement naturel », souligne Aurélie Surmély.

Ainsi, Olivia a envisagé l’option dès son premier rendez-vous prénatal, quand la sage-femme lui expose les différents types de préparation. Intriguée par l’approche neurophysiologique et hormonale de la méthode Bonapace, elle se lance. Respiration, yoga, relaxation, postures, massages, acupression, méditation, préparation psychologique… Ses efforts sont récompensés par une belle naissance sous le signe de la confiance en elle, en son compagnon et dans l’équipe médicale, assure-t-elle. 

Un choix à faire « en conscience »

« En France, on accouche à l’hôpital depuis environ l’après-guerre. On commence seulement à réaliser le contre coup d’une médicalisation des naissances qui verse de plus en plus dans l’hyper médicalisation. S’est mise en place une dépossession sur tous les plans du pouvoir de la femme à donner naissance », observe Aurélie Surmély.

« Une infantilisation flagrante s’installe dès la grossesse ; on est prise sur des rails, on suit cette sorte d’égrégore collectif qui suggère que tout accouchement se fait avec une péridurale qui n’a que quarante ans d’existence. » La sage-femme appelle à mieux informer les femmes sur toute la réalité de la péridurale, qui surprend trop souvent femmes en cours de délivrance. Sans parler de ses effets méconnus.

« Certains anesthésistes s’y reprennent plusieurs fois pendant la ponction. Nous assistons régulièrement à une décélération du rythme cardiaque fœtal un peu après l’injection. On demande alors aux femmes de se mettre sur le côté pour rattraper le taux d’oxygénation du bébé », expose la professionnelle. « La péridurale annihile en partie la dynamique utérine ; on compense ce phénomène par une perfusion d’ocytocine. »

Les femmes doivent être conscientes de ce qui se passe vraiment dans leur corps quand elles prennent ou non la péridurale.

Or, d’après elle, plus on a recours à ces hormones de synthèse, plus le corps est chamboulé. En découleraient des problèmes de délivrance du placenta, d’allaitement, de dépression aussi. « Je ne suis pas contre. J’estime simplement que les femmes doivent être conscientes de ce qui se passe vraiment dans leur corps quand elles prennent ou non l’option », pose la sage-femme. « Si elles font ce choix en conscience, elles seront en mesure de faire équipe avec le corps médical, avec ou sans. »

C’est le credo d’une majorité de « récalcitrantes », qui n’excluent pas d’en appeler à la solution miracle si elles le sentent au dernier moment. « Il s’agit aussi de faire la différence entre les péri de confort et celles à visée médicale », nuance Aurélie Surmély. La péridurale est évidemment une bénédiction en présence de certaines pathologies identifiées en fin de grossesse comme la toxémie gravidique.

La sage-femme évoque aussi le recours possible à la rachianesthésie, une injection unique, à efficacité rapide, qui fonctionne différemment de la péridurale. « On l’utilise en cas de césarienne en urgence ou si l’on doit instrumentaliser l’accouchement. Elle permet une utilisation intelligente de l’anesthésiant », détaille-t-elle. 

« La péridurale, c’est un progrès, pas une obligation »

« La péridurale est toujours proposée, jamais imposée », tempère le Pr Descamps, qui rappelle que le Collège des Gynécologues en 2017 recommande de répondre à la demande des femmes, de veiller à leur sécurité ainsi qu’à celle de leur enfant, et de respecter leurs souhaits.

Du côté de la Haute Autorité de Santé, on conseille de limiter les interventions techniques à leur minimum. « Nous respectons le choix de chacune, tout en nous assurant que la structure permette le recours à la péridurale à la demande. Dans de nombreux pays, les femmes rêvent d’un accès aussi simple, efficace et peu coûteux qu’en France ! Ce choix est une chance pour les femmes », rappelle le gynécologue.

Le professeur remet à sa place la péridurale comme une avancée technologique phénoménale qui permet de mieux gérer les complications (extraction du placenta en cas d’hémorragie par exemple…) ou les souffrances très importantes de certains accouchements. Selon lui, « il y a une tendance à vouloir une naissance naturelle coûte que coûte et à vouer la péridurale aux gémonies mais on ne parle jamais des femmes qui changent d’avis en cours de route, et la réclament en cours de travail. Le corps médical s’organise tout simplement pour répondre à tous ces cas de figures; »

Emma, qui a accouché deux fois sans péridurale, est sur la même longueur d’ondes : « Je n’irai jamais dire à aucune femme de faire comme moi », témoigne cette mère expérimentée qui juge ces questions personnelles intimes, à l’instar de l’allaitement. « La péridurale, c’est un progrès, pas une obligation ».

*Docteur, j’ai encore une question – Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la gynécologie sans jamais oser le demander : commander sur Place des Libraires ou Amazon
** Accoucher sans péridurale : commander sur Place des Libraires ou Amazon

  • Comment en est-on arrivées à accoucher à l’hôpital, jambes en l’air ?
  • Tout ce que l’on aurait aimé savoir (ou pas) avant d’accoucher

Source: Lire L’Article Complet