Droit à l'avortement dans la Constitution : pourquoi le vote du Sénat est une "arnaque" ?
Nombreux.ses sont les parlementaires de tous bords politiques à s’être réjoui.es, mercredi 1er février 2023, de l’adoption par le Sénat d’un texte pour inscrire l’avortement dans la Constitution française. Cette proposition de loi, votée lors d’un scrutin très serré de 166 voix contre 152, s’inscrit dans la volonté de sacraliser le droit à l’IVG en France.
Cependant, le texte validé par les sénateurs, qu’ils avaient d’abord retoqué après de vifs débats le 19 octobre 2022, ne ressemble plus du tout à celui largement adopté en novembre 2022 par l’Assemblée nationale. En remplaçant des termes clés de la proposition de loi, les parlementaires l’auraient vidé de son sens.
Celui-ci doit encore repasser par la case Assemblée nationale avant d’être définitivement adopté mais selon sa nouvelle formulation. Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’Université Paris Nanterre et co-autrice de l’article juridique Pourquoi et comment constitutionnaliser le droit à l’avortement, explique à Marie Claire pourquoi en l’état, cette révision constitutionelle n’a rien de révolutionnaire.
Que vaut le texte voté par le Sénat ?
C’est de la poudre aux yeux, qui confine à l’arnaque. En l’état, le texte qualifié n’a pas du tout la même force de frappe que celui voté en novembre à l’Assemblée. Ce dernier disait « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse » et le Sénat a voté un texte écrivant « la loi détermine les modalités dans lesquelles les femmes exercent la liberté d’avorter ».
Il y a, en réalité, deux changements de mots.
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Vers un statu quo de la protection de l’avortement
Pour vous, le débat ne se situe pas sur la transformation du « droit » en « liberté ».
Je ne suis pas du tout convaincue par cette distinction présentée comme un « compromis » par des commentateurs qui assurent que le terme « liberté » serait soi-disant moins radical.
Du point de vue juridique, la distinction entre « droit » et « liberté » est très compliquée à établir. D’ailleurs, on ne peut pas dire que, de manière générale, les droits sont toujours plus forts, toujours plus radicaux, que les libertés. Par exemple, le droit à l’hébergement d’urgence est beaucoup moins bien protégé que la liberté d’expression.
Cette nouvelle formulation ne sert à rien…
Commenter à l’envi cette distinction en particulier est un piège. Le vrai changement sémantique qui est capital, c’est l’autre. Dire « la loi garantit », ce n’est pas du tout la même chose que de dire « la loi détermine les modalités selon lesquelles ».
En réalité, cette nouvelle formulation ne sert à rien. Pour l’instant, même si la Constitution ne le dit pas, le législateur a déjà déterminé de nombreuses fois les modalités de l’avortement : en 1975, en 1979, en 1982, en 1993, en 2001, en 2004, en 2022… Donc, on n’a pas besoin que la Constitution autorise le législateur à légiférer en matière d’avortement puisqu’il y a déjà une dizaine de textes qui le font.
En quoi le texte initial de l’Assemblée, contrairement à celui du Sénat, protégeait vraiment l’avortement ?
Quand on inscrit « la loi garantit » on crée une logique de non-régression. Cela exprime bien l’idée que, d’une certaine manière, l’intervention du législateur à partir de maintenant ne peut aller que dans le sens de la protection du droit. L’idée serait donc de prévenir tout recul.
En revanche, avec les termes « la loi détermine les modalités » le Parlement pourrait bien voter en faveur de rabaisser les délais légaux de l’IVG à deux semaines, ou bien tout simplement de supprimer la possibilité de recourir à l’avortement. Même dans ces cas, la Constitution amendée selon le texte sénatorial serait respectée.
Le Sénat joue sur les mots et ne présente pas son texte comme une modification franche, mais comme un « compromis ».
Ce petit jeu de navettes va continuer jusqu’à ce que les deux institutions se mettent d’accord à la virgule près.
En France, l’accès à l’IVG reste un droit fragile
Quel chemin reste-t-il à parcourir avant une possible constitutionnalisation de l’avortement en France ?
La proposition de révision constitutionnelle, qui vient des parlementaires, a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale avant d’aller au Sénat, qui n’a pas voté le même texte. Maintenant, celui-ci retourne à l’Assemblée nationale et ce petit jeu de navettes va continuer jusqu’à ce que les deux institutions se mettent d’accord à la virgule près sur un texte unique.
C’est seulement une fois cela accompli que les étapes suivantes de la révision constitutionnelle pourront avoir lieu, à savoir un référendum. Lui aussi pose toute une série de questions, et c’est la raison pour laquelle beaucoup d’acteurs sociaux et d’associations de défense des droits des femmes pensent qu’il est important que ce le gouvernement reprenne le sujet à son compte et dépose directement un projet de loi constitutionnel, permettant d’éviter le référendum.
Pourquoi ce n’est pas gagné ?
Ce que tout cela révèle, derrière les discours et l’émoi général causé par la révocation de Roe v Wade par la cour Suprême américaine en juin 2022, c’est que la question de l’avortement reste vraiment une décision très compliquée pour beaucoup de gens en France. On n’avait jamais vu, pourtant, un tel consensus politique se disant favorable à cette inscription dans la Constitution.
Pour le gouvernement, il n’y avait pas plus facile que de proposer cette révision constitutionnelle, mais ils ne veulent pas le faire. Ceci n’est certainement pas étranger au fait qu’ils ont, par ailleurs, besoin de l’appui des Républicains, groupe politique de droite plus réticent face à cette révision constitutionnelle.
Dans les faits, on constate des négociations à la petite semaine et une très grande résistance par rapport à l’idée assez simple selon laquelle les femmes ont une autonomie décisionnelle qui inclut notamment la possibilité d’interrompre une grossesse. On essaye de minimiser vraiment la chose, jusqu’à arriver à cette formule désolante votée par le Sénat.
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