Doit-on écouter la petite voix dans sa tête ?

“Non mais tais-toi, tu vois pas que tu les ennuies avec tes blagues pas drôles ?”. “Ne va pas l’aborder, il va te rembarrer direct !”. “Vraiment ? Un trikini ?”. “Pourquoi tu te foules franchement ? Tu ne l’auras jamais cette promotion”. “Qu’est-ce que tu fais là ? Tu crois vraiment que tu peux réussir un marathon ? Quelle blague !” 

Bref, vous avez compris le topo. On a toutes en nous, non pas quelque chose de Tennessee, mais bien cette petite voix castratrice qui s’applique scrupuleusement à dégommer absolument tout ce que l’on dit, tout ce que l’on fait, et même parfois tout ce dont on a besoin. De notre envie de McDo à 4h du matin à celle de faire le tour du monde en solitaire, sans compter le refus de suivre une carrière qui rendrait nos parents si fiers ou celui de se résoudre à faire des enfants à l’approche des 35 ans : tout passe par ce tribunal intérieur aux jugements impitoyables, celui qui ferait passer Eric Zemmour pour un Télétubbies sous LSD.

Certes, parfois, notre petite voix intérieure est une amie qui nous veut du bien et qui tente, parfois vainement, de nous remettre sur le droit chemin. (“As-tu vraiment envie de cette cinquième Margarita un mardi soir ?”)

Ce que l’on sait moins en revanche, c’est le pourquoi du comment de cette petite voix un brin envahissante qui semble squatter notre espace mental depuis que vous savez formuler une phrase sujet-verbe-complément. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Quels sont ces réseaux ? Que dit-elle de nous et de notre “self-esteem” et, surtout, doit-on l’écouter ?

Des interrogations d’autant plus existentielles que l’on passerait approximativement un quart de notre temps éveillé à littéralement l’écouter, du moins selon une étude eLife de décembre 2017, rapportée par Slate.fr. 

Un couteau-suisse de la pensée

Et pour cause, plus qu’une simple pensée qui traverserait bruyamment nos neurones, notre voix intérieure activerait littéralement le cortex auditif, soit la zone cérébrale chargée de traiter les sons.

Ce n’est pas moi qui le dit mais des neuroscientifiques avisés du centre de recherche de Lyon et du CHU de Grenoble, dans un rapport de recherche datant de 2012. Rappelons d’ailleurs au passage que la “petite voix dans notre tête”, qu’elle soit notre plus grande fan ou notre pire bourreau, n’est pas à confondre avec certains troubles de santé mentale, comme la schizophrénie, qui comme le rappelle l’étude publiée par eLife, consiste moins à la capacité d’entendre des voix que l’incapacité à distinguer sa voix intérieur des voix extérieures.

“Nous, quand on se parle à nous-mêmes et même quand on a des pensées vagabondes, on va être capable de se dire, c’est notre voix. Le schizophrène, lui, aura une altération cérébrale qui fera en sorte qu’il ne sera plus capable de faire cette distinction. Il n’aura plus le contrôle de sa propre voix, il produira une voix qui lui donnera l’impression qu’elle est externe parce que son cerveau n’est plus capable de lui dire que la voix qu’il entend, c’est lui qui la produit », explique Lucile Rapin, spécialiste en sciences cognitives et post-doctorante en linguistique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), dans une interview au journal québécois Le Devoir.

Selon cette experte de la voix intérieure, cette dernière occupe deux fonctions dans notre quotidien : une fonction concrète, objective, visant à satisfaire nos besoins les plus primaires (“J’ai faim.” “J’ai soif.” “J’ai sommeil.” “Je veux un sac Prada et une maison à Marrakech.”) et une fonction plus abstraite, plus subjective, capable du meilleur comme du pire.

“C’est elle nous ancre dans notre personnalité et qui joue un grand rôle dans notre quotidien, en nous facilitant la vie ou en nous causant des problèmes », souligne la scientifique sur le site de l’UQAM, ajoutant que la parole intérieure contribue également à la résolution de problèmes, au calcul mental, à la mémorisation mais aussi à l’activation de parties du cerveau responsables de l’inhibition.

Et c’est là que ça devient intéressant. Car du self-control à l’auto-critique, il n’y a (souvent) qu’un tout petit pas.

Voix intérieures et pensées limitantes 

C’est en tout cas l’analyse de Julie Arcoulin, spécialiste en développement personnel, qui estime que notre voix intérieure peut s’avérer un brillant outil d’auto-sabotage. “Notre petite voix est souvent plus critique que bienveillante”, explique-t-elle dans sa chronique du journal belge La Libre. “C’est cette petite voix-là qui nous empêche de nous lancer dans des projets, d’oser, etc. Il faut avouer qu’elle a tendance à voir le verre à moitié vide. Il n’est dès lors pas facile de faire abstraction de ses sabotages.”

En cause ? Les fameuses pensées limitantes, ces biais cognitifs engrangeant des croyances erronées et résultant généralement de préjugés et/ou de traumatismes passés, le tout nous empêchant de tirer pleinement profit de notre potentiel au quotidien. “Ces pensées sont en immense majorité des pensées apprises, empruntées ou héritées. C’est comme si on avait été programmé pour penser de telle ou telle manière. Et c’est le résultat de tout ça qui s’exprime dans notre ‘radio intérieur' », précise Clotilde Dusoulier, coach certifiée et créatrice du podcast Change Ma Vie.

Toutefois, selon cette experte en bien-être mental, la teneur de nos propos intérieurs n’est en rien immuable et fluctue généralement au gré de de nos humeurs. “Est-ce que vous avez remarqué que votre discours intérieur change de tonalité selon les circonstances et votre état d’esprit ? Tantôt enthousiaste, tantôt défaitiste ? Tantôt encourageante, tantôt exigeante ?”, fait-elle remarquer en introduction de son épisode intitulé Helga et Gigi.

Selon Clotilde Dusoulier, notre voix intérieure aura perpétuellement tendance à exprimer tour à tour un point de vue optimiste et un point de vue pessimiste, encourageant et intransigeant, relevant de la confiance en soi et de la peur, généreux ou purement comptable. Et pour cause, ces deux types de “petite voix” ne sont finalement que deux facettes de notre personnalité qu’il est important de faire cohabiter… et d’accepter. Chacune présente en effet une utilité, une pertinence, un rôle à jouer en fonction des circonstances, sans pour autant définir ce que nous sommes.

Redevenir le maître à bord

“Nous ne sommes pas nos pensées”, rappelle la coach de vie dans son podcast. “La personne que vous êtes n’est pas contenue dans les pensées qui tournent dans votre tête. On continue trop souvent de s’identifier à nos propres pensées, à s’en tenir responsable, à penser qu’elles disent quelque chose de nous”, prévient-elle.

Mais si nous ne sommes pas nos pensées, qu’est-ce que nous sommes au juste ? “(Nous sommes) le point de conscience qui a la possibilité de les examiner, de les questionner et de décider quoi en faire”, propose Clotilde Dusoulier.

Vous êtes le maître à bord et vous avez le pouvoir de choisir d’écouter cette petite voix ou pas.

Et il faut dire que l’idée a de quoi séduire. Apprendre à reconnaître la teneur de notre voix intérieure pour mieux choisir de l’écouter ou non et ainsi reprendre le pouvoir sur elle, au détriment du sien sur nous : tel serait le secret pour se débarrasser enfin de l’emprise parfois toxique de nos paroles les plus intimes. Comme le soulignent d’autres experts, s’il est effectivement difficile de les maîtriser ou de simplement les faire taire, il reste bon de se rappeler que nous avons également en nous un libre arbitre qui peut décider d’adhérer à cette voix, lui donner de la place, de l’influence… ou au contraire de la laisser de côté, de la désinvestir, de la laisser passer, jusqu’à ce qu’elle finisse par s’épuiser.

“Vous êtes le maître à bord et vous avez le pouvoir de choisir d’écouter cette petite voix ou pas”, décrète Julie Arcoulin dans La Libre, tout en rappelant également que tout n’est pas à jeter dans ces flots de paroles mentaux que certains appelleront aussi intuition. “Elle est parfois de bon conseil et ne mérite pas toujours que vous la mettez au placard. Mais discerner l’un et l’autre demande aussi de l’entraînement », prévient-elle.

Son astuce ? Prendre le temps de mettre sur papier ce que la petite voix dans notre tête nous dit, et vérifier si elle avait finalement raison ou tort : ce sera le moyen, à terme, de l’apprivoiser et d’apprendre comment vous en faire une indéfectible alliée.

  • Qui suis-je sans mon job ?
  • Comment atteindre la pleine conscience, ce graal du mieux-être ?

Source: Lire L’Article Complet