Départ à la retraite : se préparer psychologiquement pour mieux le vivre
- Départ à la retraite : des fins de carrière parfois rudes
- Retrouver du sens à l’existence
- Le temps du bilan et des questions existentielles
- Poser des limites, oser dire non
- Depart à la retraite : gare à la crise de couple
- Clarifier, faire le tri… une reconfiguration symbolique et pratique
- Les femmes plus résilientes que les hommes
- Quitter la vie professionnelle peut éliminer jusqu’à 90% de nos relations
- Départ en retraite : une nouvelle vie à la clé
À son approche, une partie des actifs en rêve, l’autre la redoute, au point de la reporter de plusieurs années.
On peut aussi éprouver tout cela à la fois face à une retraite supposée merveilleuse qu’il va pourtant falloir « liquider ».
« Même si, beaucoup souhaitent partir plus tôt à la retraite, il y a un risque réel de crise existentielle car nos repères d’identité éclatent, et de crise d’adolescence, puisque le champ des possibles est ouvert », considère Hervé Sauzay, fondateur de l’Institut Français des Seniors.
Selon l’expert qui organise des stages de préparation à la retraite pour des salariés envoyés par leur entreprise, il reste entre 23 et 27 ans d’espérance de vie selon qu’on soit un homme ou une femme, une fois le passage administratif entériné.
Une période pendant laquelle on peut rester longtemps en bonne santé, alors qu’en 1945, à la création de l’assurance retraite, on tablait sur 3 ans d’espérance de vie – 8 ans en 1968.
« Cette troisième mi-temps de la vie est suffisamment longue pour faire de beaux projets. À condition de bien négocier le virage », observe-t-il. « C’est à l’image de la traversée d’une rivière. Malgré tout ce que les actifs en pensent, quand on est sur la berge du travail, on se sent utile, on réalise des choses, on a des relations humaines ».
Sur la rive d’en face, les gens se sentent bien une fois qu’ils sont installés dans leur nouvelle vie. Entre les deux, chacun.e vit la traversée à sa manière. Certains sentent tout de suite les turbulences, d’autres les vivent bien en amont, a fortiori quand la fin de carrière est subie.
Départ à la retraite : des fins de carrière parfois rudes
« La retraite s’organise à un âge moyen de 62 ans et 4 mois alors que l’on quitte l’entreprise plutôt vers 58 ans et demi », souligne Hervé Sauzay. « Un retraité sur deux vient de Pôle Emploi ».
Mise au placard ou mise au chômage sont extrêmement mal vécues par les seniors, avec un sentiment d’humiliation et d’ingratitude, surtout quand on a été viré par des plus jeunes. On finit à Pôle Emploi avec 70% de son salaire et l’impression cuisante de coûter trop cher, d’être nul.le en informatique, et même parfois de n’être plus rien.
« Le temps du passage est compliqué, souvent douloureux », abonde Anasthasia Blanché, psychologue, psychanalyste et psychothérapeute spécialisée sur la retraite et les transitions de vie. L’auteure de La retraite, une nouvelle vie, une odyssée personnelle et collective (Odile Jacob) évoque une euphorie illusoire des premiers temps.
Retrouver du sens à l’existence
« Au début c’est comme des grandes vacances. On revit une forme d’adolescence : se coucher et se lever tard, aller au cinéma ou jouer au tennis en pleine journée, enchaîner des voyages… Mais après quelques mois, on se lasse de la vie de loisirs ; la liberté nous donne le vertige. Il nous faut trouver du sens à l’existence ».
Ainsi, le temps du tourment a vite sonné chez Paul, fraîchement retraité. « Depuis plusieurs semaines, il tourne en rond, ne sait plus quoi faire de ses journées », décrit sa fille Emmanuelle, perplexe. « Il a donné tous ses costumes, comme pour entériner le fait qu’il ne travaillera plus. J’espère qu’il va trouver de quoi s’occuper, peut-être renouer avec des passions ».
Si tout le monde n’a pas besoin d’aller consulter un psychologue, un temps de réflexion permet cependant de se préparer.
Si quelques seniors anticipent les contingences techniques et financières du départ en retraite, la majorité sous-estime cet appel d’air et n’en abordent pas le versant psychique. Une personne sur deux s’imagine que les changements se mettront en place d’eux-mêmes.
« L’autre moitié se prépare au passage, notamment financier », évalue Hervé Sauzay. « Si tout le monde n’a pas besoin d’aller consulter un psychologue ou de fréquenter un groupe de parole, un temps de réflexion permet cependant de se préparer ».
Selon lui, une journée de stage en groupe permet déjà de poser des balises saines, d’entamer un travail sur d’identité, d’envisager une discussion avec le ou la partenaire. Un accompagnement individuel pourra approfondir le travail si on en ressent le besoin.
Le temps du bilan et des questions existentielles
« Je ne fais rien qui me motive, je m’ennuie… » : mieux vaut savoir repérer la petite musique dissonante qui s’installe en toile de fond.
« Quand il nous reste encore 20, 30, 40 ans à vivre, il est nécessaire de nous mettre en mode projet. Ce processus commence avec des questions existentielles », affirme Anasthasia Blanché.
Qui être désormais ? que faire de ma vie et quel sens lui donner ? que m’est-il permis d’espérer pour les années qui viennent ? « Se poser pour réfléchir est nécessaire. C’est un rendez-vous vital avec soi », éclaire-t-elle.
Tout d’un coup, plus personne ne vous demande rien, à part de l’aide pour les petits enfants.
D’après la psychologue, au cours des autres temps de la vie, la famille, le travail, les enfants nous maintiennent sur les rails, dictent nos choix et nos actions. « Tout d’un coup, plus personne ne vous demande rien, à part de l’aide pour les petits enfants. La société propose des modèles idéalisés du grand parent dévoué, du bénévole qui se tue à la tâche, ou de l’hyper consommateur qui fait le tour du monde 50 fois », résume Anasthasia Blanché.
Ces stéréotypes ne satisfont pas la personne que l’on est vraiment. À cet âge de l’essentiel ou le gros de la vie et fait, la question est de cerner ce qui est important pour soi, d’examiner la place qu’a pris le travail dans notre vie, de réinterroger notre rapport au monde, aux autres, à soi.
« Les réponses se trouvent en nous ! C’est l’heure de conquérir notre intériorité, ce qui demande du temps. Le point positif est que l’on a enfin la main sur un temps jusque-là contraint par l’extérieur », explique-t-elle. Continuer à grandir implique d’accepter l’ouverture, le questionnement.
Poser des limites, oser dire non
« La dernière personne que j’ai coachée sur le sujet était un directeur commercial qui avait reçu cet accompagnement comme un cadeau à la retraite de son équipe. J’ai fait vérifier à ses collègues qu’il n’allait pas subir ce présent et que ça allait coller entre nous. Nous avons ensuite travaillé à organiser un nouveau rythme de vie », se remémore Gladys Pignide, coach et formatrice à l’École Supérieure de Coaching.
Les appréhensions de son client : se retrouver en tête-à-tête avec son épouse, après avoir passé une vie en déplacement chaque semaine ; changer de cercle social… et aussi osez dire non à ses enfants sans passer pour le mauvais grand-père.
« Beaucoup de jeunes retraités n’ont aucune envie de devenir le baby-sitter officiel », pointe Hervé Sauzay. L’expert précise que le bénévolat des seniors représente près de 10 milliards d’euros et le nombre d’heures consacrées gratuitement à la garde des petits-enfants par les grands-parents est supérieur au nombre d’heures réalisé par les crèches.
Christine, qui vient de s’offrir un coaching de préparation à la retraite à 61 ans, se réjouit d’avoir appris avec son accompagnante à poser des limites à sa fille. « Je suis toujours heureuse de la voir mais je suis désormais trop fatiguée pour gérer l’intendance des vacances. Elle vient avec son mari et mes deux petits-enfants, je dois faire les repas – avec bien sûr ses plats préférés qui demandent beaucoup de travail, le ménage, le linge après leur départ. C’est trop », confie la fonctionnaire à six mois de la retraite. « Je veux bien garder les petits deux jours, mais pas plus. Le dernier est trop ingérable ».
Autre bénéfice du coaching selon elle : la préparer à affronter le tête-à-tête avec son mari. « Il est déjà à la retraite depuis deux ans ; je l’ai vu s’enfoncer dans une déprime sans rien pouvoir faire. Il passe ses journées à regarder la télé alors qu’il y a tant à faire dans la maison et le jardin ; il est devenu bougon, limite agressif. J’ai réussi à provoquer quelques conversations qui fâchent et nous nous sommes remis à rêver ensemble », sourit-elle.
Depart à la retraite : gare à la crise de couple
Les études montrent une hausse des taux de divorce de 18% entre 50 et 65 ans, et de 8% après 65 ans. « À cette période où l’on se rapproche de ce qui fait notre ADN pour faire des choix essentiels, les ménages peuvent exploser », relève Hervé Sauzay.
Les jeunes retraités ont conscience qu’il est temps de réaliser ce qu’ils n’ont pas pu faire avant. Ils veulent trouver un.e partenaire qui leur convient mieux pour être heureux sur une période qu’ils savent qu’elle va durer.
« On se retrouve en tête à tête entre quatre murs, 24h sur 24 », commente Anasthasia Blanché. « Il faut faire un véritable Grenelle de son environnement, sur tous les plans, à commencer sur le versant matériel ».
Les 65% des retraités qui habitent en maison individuelle doivent s’interroger sur le bien-fondé de garder leur logement, notamment s’il se situe dans des campagnes isolées ou s’il est avec étage. La chambre de l’enfant qui est parti peut devenir l’atelier de l’un.e ou le bureau de l’autre. « Chacun peut avoir un lieu à soi qui peut même être interdit à l’autre », défend la psychologue.
Clarifier, faire le tri… une reconfiguration symbolique et pratique
Clarifier ses besoins et ses envies, ce l’on garde et ce que l’on laisse derrière soi… Il y a des choix à faire tant sur le plan symbolique (les relations sociales par exemple) que pratiques (tri des vêtements et objets…).
« Pas de panique », tempère Anasthasia Blanché. « Toutes ces questions seront résolues avec le temps, et d’autres remaniements se représenteront plus tard, mais ils seront moindres. Les personnes qui ont déjà fait un travail sur soi avant (thérapie, crise de milieu de vie…) le vivent mieux car elles ont moins peur de se remettre en cause et n’hésitent pas à se faire accompagner de nouveau ou à rejoindre des groupes de parole ».
« Si j’ai choisi de partir, que j’ai réfléchi un an avant à quels projets mettre en place, tout peut se passer pour le mieux. Quand on se sent angoissé ou que l’on subit ce passage comme une violence, être accompagné n’est pas un luxe« , expose Hervé Sauzay.
Certaines catégories socioprofessionnelles pourront faire cette transition avec beaucoup plus de douceur que d’autres. Les artistes transforment leurs pulsions en œuvre ; les intellectuels et universitaires poursuivent leurs activités passions. Fabienne, professeur d’arts plastiques, a repris ses activités de peinture et projette même d’organiser des expositions. Jérôme, ancien patron de presse, se consacre à ses romans. « J’ai installé une discipline d’écriture d’une heure chaque matin, de 7h à 8h, dès mes 55 ans », témoigne l’auteur qui publie aujourd’hui chez un grand éditeur parisien.
Les femmes plus résilientes que les hommes
Anasthasia Blanché note que de nombreuses femmes sont très heureuses de partir à la retraite : « elles ont déjà été confrontées plus tôt à la ménopause, qui est une expérience de changement profond, à la fois biologique psychologique et social. Et généralement, elles s’en sortent mieux que les hommes dans les passages existentiels ».
Même son de cloche chez Gladys Pignide, coach et formatrice à l’École Supérieure de Coaching. « Alors que j’accompagne majoritairement des femmes en évolution de carrière, j’ai surtout accueilli une clientèle masculine pour le passage à la retraite », constate la pro.
« Ils arrivent avec des problématiques de besoin de sécurité financière, de bazar administratif à affronter mais en réalité, nous travaillons en filigrane la transition de vie dans son ensemble ».
Quitter la vie professionnelle peut éliminer jusqu’à 90% de nos relations
Le scénario le plus sensible selon Gladys Pignide : les cadres supérieurs hommes qui s’identifient totalement à leur profession. Lorsque, pendant 40 ans, le travail – a fortiori très valorisant- a structuré l’identité, qui être après, quand le téléphone ne sonne plus, qu’on ne reçoit plus de mails ? Personne ne vous indique le chemin pour vous définir une nouvelle place dans la société.
Pas de fiche de poste… mais un gros risque d’isolement : quitter la vie professionnelle peut éliminer jusqu’à 90% de nos relations. « L’heure venue, ces profils succombent à la peur du vide, avec des effondrements psychiques possibles, voir des maladies qui se déclenchent en décompensation » remarque Gladys Pignide.
Christophe, haut cadre dans l’armée chargé du suivi des forces spéciales, se souvient avoir profité un maximum des premiers mois de sa retraite avant de sombrer. « Je n’avais plus goût à rien. Plus une once d’énergie ».
Après quelques semaines de marasme, l’homme de décision s’engage dans une formation complète en coaching pour reprendre du service en qualité de consultant pour l’armée. « Je pratique à mon rythme, pas plus de quelques jours par mois », expose-t-il. « Le travail d’introspection réalisé pendant ma formation m’a permis de révéler et de respecter mon désir de me consacrer à mon épouse ; on ne s’est pas beaucoup vu pendant toute ma carrière ».
Départ en retraite : une nouvelle vie à la clé
Pour avoir de nouveau envie de se lever le matin, les pros conseillent d’explorer tout ce qu’on s’est toujours interdit de faire par manque de temps, d’accepter de faire enfin des choses pour soi, de se faire plaisir sans culpabiliser. « Il est aussi question de se valoriser. Le temps qui passe n’est agréable pour personne, mais nous avons la chance d’être là, de vivre cette tranche d’âge », considère Gladys Pignide.
La coach invite à regarder dans le rétroviseur tout ce qu’on a accompli ; à méditer sur ce que l’on a envie de transmettre – le mentoring et au cœur de cet âge-là ; à accepter qu’on ne fera plus certaines choses comme lorsqu’on avait 20 ans, mais qu’on en fera d’autres et à notre rythme.
Il est nécessaire de « re-traiter » notre vie, reprendre toute notre histoire ; trouver, aussi, les ressources qui nous ont permis de passer les épreuves jusqu’à maintenant… « C’est un moment où il faut aussi accepter de perdre quelque chose pour en gagner d’autres », indique Anasthasia Blanché.
Une problématique de deuil, donc, sans parler de la perte de la jeunesse ! « C’est le dernier grand chapitre de la vie. Au bout du chemin, on sait qu’il y a la mort. Vieillir et mourir restent les deux grands tabous de notre société obsédée par le jeunisme », ouvre la psychologue.
Accepter de se confronter à ces questions est la promesse d’une métamorphose psychique extraordinaire. « Une fois le cap passé, on accède à une période de grande créativité », décrit la pro.
On s’autorise à être soi, à faire ce qui nous réjouit, à tâtonner ou changer de cap, selon son budget ou sa santé. Enfin libres !
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