Dans les archives de "Marie Claire" : cinquante ans d'engagement en faveur de la parité en politique
L’image [visible ci-dessous, ndlr] est un photomontage aux proportions aléatoires – Photoshop n’existe pas encore.
En février 1973, Marie Claire met en scène Georges Pompidou, président d’une France qui ne compte que huit députées au milieu de 479 hommes à l’Assemblée nationale, entouré d’un gouvernement 100 % féminin.
Aux excuses fallacieuses justifiant leur absence à des postes de pouvoir – « On n’a pas trouvé de candidates, on vise d’abord les compétences… »–, le magazine oppose et propose une femme « possédant l’autorité et la compétence nécessaire » à la tête de tous les ministères dont : Françoise Giroud, directrice de L’Express, porte-parole ; Anne Chopinet, sortie major de l’École polythechnique, à la Défense nationale ; Évelyne Sullerot, cofondatrice de la Maternité heureuse, à la Promotion des femmes ; Menie Grégoire, collaboratrice comme elle à Marie Claire, garde des Sceaux; la Première ministre est… Simone Veil.
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Le gouvernement de "Marie Claire" en 1973
Un coup médiatique bluffant : cinquante ans plus tard, on se dit que la rédaction a eu un sacré flair en choisissant celle qui deviendra une icône. Alors secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature, peu connue du grand public, Simone Veil est présentée comme une ancienne déportée courageuse dont l’autorité morale en fait l’une des grandes figures de l’administration.
La politique est un monde violent et le pouvoir ne se donne pas, il faut le conquérir.
Notre gouvernement idéal restera du domaine de la fiction, et un an plus tard, en août 1974, la rédaction récidive et titre en couverture : « Comment les femmes prendront le pouvoir en France en 1978. Le document dont tout le monde parle ». Le pitch : en 1994, un témoin du nom de Marc Guillebrand raconte comment après un raz-de-marée électoral, en mars 1978, la Ligue de l’émancipation féminine a pris en main l’avenir du pays.
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1997, les femmes dépassent le seuil de 10% à l’Assemblée
Un long récit qui se conclut par : « En s’émancipant, les femmes émanciperont toute l’humanité. » Qu’il faille publier un photomontage ou un thriller politique d’anticipation pour imaginer des femmes capables d’exercer le pouvoir en dit long sur l’époque.
Oui, il y aura des femmes potiches. C’est ça la véritable égalité !
« Le monopole masculin de la politique est une spécificité française. La loi salique, sous la monarchie, empêchait les femmes de régner, et nous avons été l’un des derniers pays européens à leur accorder le droit de vote et d’éligibilité en 1944, explique la politologue Mariette Sineau (co-autrice Femmes et République (Éd.La documentation française).
Elles partent dans la compétition avec un retard considérable, et les hommes ont eu longtemps en tête qu’ils étaient seuls légitimes sur la scène politique et parlementaire. Cela a été un combat très difficile.
Durant les vingt premières années de la Ve République, le pourcentage des femmes députées a tourné autour de 1 à 2 %, il a fallu attendre 1997 pour que la première fois, sous la gauche socialiste, les femmes dépassent le seuil de 10 % à l’Assemblée nationale. On part de très loin, les militantes féministes ont lutté pour sortir de ce blocage par la fameuse réforme paritaire. »
Sur la photo : 1973, le gouvernement 100% féminin proposé par la rédaction de Marie Claire au président Pompidou avec Simone Veil comme Première ministre.
Roselyne Bachelot et ses alliées pour la parité
L’ancienne ministre et éditorialiste Roselyne Bachelot, dans sa première interview publiée dans Marie Claire en mai 1999, défend la parité contrairement à son parti, le RPR, et pulvérise le danger brandi par ses opposants, celui d’élire des « potiches » à la place d’hommes méritants. « Le monde politique est rempli par des copains de Machin, des protégés de Truc… Et alors ? Oui, il y aura des femmes potiches. C’est ça la véritable égalité ! »
Les femmes se heurtent à des barrages de la part des hommes qui entendent prolonger leur monopole sur la chose publique.
Elle aura mené une bataille féroce avec des alliées de choix. « J’étais une militante féministe mais je n’avais pas conceptualisé la parité. Élue députée en 1988, l’Assemblée ne compte que 5 % de femmes, Gisèle Halimi me donne alors l’outil essentiel, une loi paritaire. Nous nous sommes mises à travailler ensemble. »
Juste avant les élections présidentielles de 1995, elles contactent tous les candidats; seul Édouard Balladur leur répond positivement. « Je me souviens très bien, nous sommes avec Gisèle dans son joli bureau de Premier ministre, il y avait un soleil magnifique et Simone Veil. » Elle est la ministre des Affaires sociales, et avec Balladur, ils prennent un engagement précis : « Si je suis élu,, il y aura un quota pour les femmes », promet-il.
La loi dite « loi sur la parité » est votée le 6 juin 2000, les partis politiques doivent désormais présenter un nombre égal d’hommes et de femmes pour les élections régionales, municipales, sénatoriales et européennes. Dès novembre 2000, quelques mois avant les élections municipales de 2001, Marie Claire encourage les femmes : « Entrez en politique ! »
Parmi nos portraits de « combattante » : Aurélie Fillippetti. Une pionnière aux allures d’étudiante qui pose avec son vélo place du Panthéon. « J’étais d’accord pour être candidate sur la liste des Verts dans le 5e à Paris, mais je ne pensais pas être légitime pour être en tête de liste, explique l’ex-ministre. C’est grâce à la parité que ma vie politique a démarré. »
J’étais entre Noël Mamère et un autre vieux routard, je n’ai pas pu en placer une. (…) Ils avaient leur stock de petites phrases toutes faites.
Et c’est avec la naïveté d’une débutante qu’elle confie alors se faire ravir la parole par les hommes lors des conférences de presse. « J’étais entre Noël Mamère et un autre vieux routard, je n’ai pas pu en placer une. J’ai compris pourquoi : ils avaient leur stock de petites phrases toutes faites. »
La parité n’est plus un mirage mais se lancer à l’assaut de ce bastion masculin, c’est partir en guerre.
« La politique est un monde violent et le pouvoir ne se donne pas, il faut le conquérir, constate Mariette Sineau. Les femmes se heurtent à des barrages de la part des hommes qui entendent prolonger leur monopole sur la chose publique. Tout est bon pour les discréditer, on les renvoie souvent à leur corps pour leur signifier qu’elles sont des usurpatrices. »
Sur la photo : 2012, Palais de l’Élysée, le 17 mai 2012 : les femmes du premier gouvernement paritaire en France entourent le président François Hollande.
Quand "Marie Claire" créait une campagne contre le sexisme en politique
En 2000, à l’Université d’été du RPR à Nice, deux vieux militants s’esclaffent : « Elle est belle, Madame Pacs… enfin plutôt Madame Tampax ! » en voyant passer Roselyne Bachelot, rapporte Marie Claire. La présidente du RPR Michèle Alliot-Marie s’est abstenue lors du vote de la loi sur la parité, ses militants protestent contre ces « quotas dégradants pour les femmes ».
Ambiance d’une autre époque. « J’ai souvent raconté les avanies subies, comme ma première montée à la tribune saluée par un « Tiens, voilà le concert des vagins », raconte Roselyne Bachelot. Les dérapages étaient monnaie courante, ils le sont moins aujourd’hui avec 37,3 % de députées.
Celui qui dérape est sûr de recevoir une punition médiatique. » Comme celle administrée par Marie Claire au député Philippe Le Ray (LR) qui, le 8 octobre 2013, s’est mis à caqueter au sein de l’hémicycle, criant : « Cot, cot, cot, codec », pour faire taire et humilier la députée Véronique Massonneau (EELV), qui a réagi : « Arrêtez, quoi, je ne suis pas une poule ! ».
En mars 2015, choisissant une vraie poule comme emblème, Marie Claire lance une campagne portée par huit ambassadeurs – chefs, créateur, artistes… – avec ce gimmick : « Plus jamais la poule ! » pour ringardiser ce sexisme d’un autre âge.
Quand « Marie Claire » réunissait dix femmes politiques
Deux plus tard quand la vague #MeToo éclate, le monde politique féminisé et transformé a évolué. Le seuil de tolérance est au plus bas, la parole se libère dans les cercles de pouvoir comme sur les réseaux sociaux. Ainsi, en octobre 2018 dans Marie Claire, dix femmes politiques montent ensemble au front contre le sexisme.
Anne Hidalgo, Valérie Pécresse, Rachida Dati, Yaël Braun-Pivet dénoncent, sans victimisation, ce qu’elles subissent : réflexions sur le physique, regards insidieux, suspicion d’illégitimité. Ce qu’elles racontent est sidérant. Pour Mariette Sineau, le sexisme en politique n’a pas disparu mais il est de plus en plus encadré.
« Il y aura encore des affaires mais elles deviendront des exceptions. La prise de risque est telle que tout prédateur s’y prendra à deux fois avant de commettre des violences envers une femme. La toute-puissance des hommes politiques connaît maintenant des limites, le mouvement #MeToo y a grandement contribué. »
Sur la photo : 2015, « Plus jamais la poule ! ». Marie Claire invite des personnalités connues – comme Chantal Jouanno (à gauche) et Niels Schneider (à droite) – à poser avec une poule, pour lutter contre le sexisme, en référence au « Cot, cot, cot, codec » qu’un député avait crié à l’Assemblée pour faire taire la députée Véronique Massonneau.
Le sexisme en politique sous l’ère #MeToo
Après l’affaire Damien Abad, celles de Julien Bayou et d’Adrien Quatennens divisent la classe politique alors que les « cellules d’écoute » se sont multipliées au sein des partis.
Membre du collectif #MeTooPolitique, Laurence Rossignol, vice-présidente du Sénat, ex-ministre des Familles, de l’enfance et des Droits des femmes, plaidait dans nos pages l’été dernier pour que le monde politique soit soumis à un code de déontologie.
« Renvoyer systématiquement à la justice la qualification des faits permet en réalité d’exonérer la majorité des comportements : 73 % des plaintes sont classées sans suite. Le monde politique doit avoir ses propres règles. Ce n’est pas juste une question de justice mais de déontologie et d’exemplarité dès lors que des femmes ont parlé, que les faits sont avérés et qu’ils n’entrent pas dans les exigences du Code pénal. »
« Chassez en meute » le patriarcat
Notre politologue est dubitative mais se réjouit du temps présent : « Il existe une espèce d’alignement des planètes puisqu’on a vu pour la première fois trois femmes occuper trois postes clés de la République : Élisabeth Borne, Première ministre; Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, première femme au perchoir dans l’histoire de la République; et Aurore Bergé, présidente du groupe majoritaire. L’une est mère de cinq enfants, l’autre, Aurore Bergé, est alors enceinte. Elles incarnent des nouveaux modèles de femmes, des femmes plurielles qui entendent tout cumuler, procréer et accéder au premier cercle du pouvoir. »
Vous avez l’impression d’être dans des assemblées paritaires, mais faites attention et chassez en meute contre le mansplaining et le manterrupting.
Roselyne Bachelot, qui se pose en « grand-mère de la parité », conseille les plus jeunes. « Je leur dis : ‘Vous avez l’impression d’être dans des assemblées paritaires, mais faites attention et chassez en meute contre le mansplaining et le manterrupting.’ Il est temps de passer d’une parité quantitative à une parité qualitative. »
Avortement, violences sexuelles, sexisme, même si depuis sa naissance, il y a quatre-vingt-cinq ans, l’horizon s’est éclairci pour les femmes, Marie Claire ne quitte pas son poste de vigie.
Sur le photo : 2022, Rassemblement féministe à Paris le 6 juin 2022, organisé par le collectif #NousToutes pour demander que les hommes accusés de violences sexistes et sexuelles ne soient pas mis à la tête de l’État.
L’analyse de Brigitte Grésy, experte des questions d’égalité
« Le sexisme renforce l’autocensure chez les femmes », explique Brigitte Grésy, experte des questions d’égalité.
« Quand la loi exige une parité réelle avec des quotas, ça marche. En termes quantitatifs. Mais dès qu’on entre dans la gouvernance, on retrouve les vieux schémas. 83 % des maires sont des hommes, idem pour les présidents des communautés d’agglomération. Dans les cabinets ministériels, même les femmes ministres prennent des directeurs de cabinet, comme si eux seuls étaient capables de gérer le rythme de travail hallucinant.
C’est le retour du refoulé. Et dans les collectivités locales, les adjointes au maire ou les conseillères sont dans les commissions Affaires sociales ou Culture, moins dans les Finances. Cette division sexuelle des missions reproduit les rôles sociaux de sexe.
Le sexisme qui renforce l’autocensure chez les femmes est aussi un instrument de mise à l’écart de la députée ou de la sénatrice d’une autre famille politique. La proposition de Laurence Rossignol d’instaurer un code de déontologie est une bonne idée s’il est travaillé interpartis. À chaque fois que nous poussons une muraille, un nouvel obstacle apparaît. D’où le rôle important de Marie Claire, qui va au-delà du magazine : vous faites résonner vos idées à travers vos Forums et votre Think Tank Agir pour l’Égalité pour passer de l’analyse à l’action. »
Cet article a été initialement publié dans le numéro Marie Claire numéro 844 daté janvier 2023.
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