Cyprien joue moins le jeu de YouTube pour faire « L’Epopée temporelle »

  • Chaque semaine, 20 Minutes propose à une personnalité de commenter un phénomène de société dans son rendez-vous « 20 Minutes avec… ».
  • Ce vendredi, Cyprien Iov sort le dessin animé « L’Épopée temporelle » dont il est le créateur, doubleur et producteur, faisant de la série son plus gros projet à ce jour.
  • Pour 20 Minutes, le Youtubeur qui n’en est plus vraiment un, ou pas que, revient sur cette aventure, le « YouTube game », et son avenir.

Avec ses 14 millions d’abonnés, près de 3 milliards de vues, et maintenant « une autre chaîne », Cyprien est un des YouTubeurs les plus connus et les plus influents de France. Mais ce n’est pas tout. Il a aussi animé Le Rewind sur 20 Minutes à ses débuts. Voilà, c’était pour les deux du fond qui ne savaient pas.
Cyprien Iov a surtout diversifié ses activités et créations au-delà des vidéos à succès (Les réunions, Les pubs vs la vie, Les instagrameuses), avec plusieurs courts métrages (dont Minori tourné au Japon), la bande dessinée Roger et ses humains, ou encore la saga MP3 L’Epopée temporelle, dans l’esprit du culte Donjon de Naheulbeuk.

Cette épopée continue aujourd’hui avec une adaptation animée dont il est le coauteur, doubleur et producteur et dont la première saison (avant d’autres ?) est disponible vendredi sur Adult Swim. Oui, la maison de Rick et Morty. On y retrouve une bande de losers magnifiques, partis retrouver l’inventeur de la machine à remonter le temps à travers les époques, de l’Allemagne nazie à une cité Maya. Un projet cher à Cyprien et l’occasion pour 20 Minutes de le rencontrer, lui qui se met en retrait de YouTube pour investir d’autres champs, d’autres écrans. Petit et grand.

Le dessin animé « L’Epopée temporelle » est votre plus gros projet à ce jour ?

En termes de budget, de temps, de personnes rencontrées, c’est en effet le plus gros et de loin. Il y a une différence entre produire des vidéos ou un court métrage de 20 minutes, et produire une série animée entière. De plus, j’ai la casquette de producteur sur L’Epopée temporelle, ce qui veut dire que chaque plan a été discuté, vérifié, validé. On parle de 10 mois, soit le temps de bien s’attacher au projet, aux personnages.

Il y avait déjà eu la série audio en 2017. Cette version animée est-elle une « simple » adaptation, ou peut-être la « vraie » série, votre vision d’origine ?

C’est une bonne question, et vous avez un peu raison. Quand j’ai créé la série audio, c’était une manière de pouvoir faire un dessin animé sans la production lourde et chère d’un « vrai » dessin animé. Quelques bruitages et l’imagination des gens faisait le reste. Elle a été conçue comme un dessin animé sans image plutôt que comme une série audio. Ce qui ne veut pas dire que l’on cache cet héritage audio, au contraire.

L’Epopée temporelle a une histoire, elle a commencé en audio, elle a juste des couleurs différentes. Si on me demandait de refaire la saison 1, je ne la ferais pas différemment. Les personnages, les blagues, le rythme, le potentiel, tout était déjà là. On a juste refait le mixage son, qui était à l’origine spécifique, et spatialisé, pour une écoute au casque. Mais cet héritage audio amène à des choses marrantes, le narrateur s’adresse aux « auditeurs », et on l’a gardé, de même que les personnages ont tendance à décrire les scènes, ce qui donne un rythme assez drôle en animation. Je suis assez fan.

La joyeuse bande de « L’Épopée temporelle »

On sent l’influence de « Futurama », « Rick et Morty » ou « South Park ».

Je voulais une aventure pour des gens comme vous, moi et mes auteurs, avec des surprises, des excès gore, des blagues trash. Donc, oui, il y a une certaine filiation avec Rick et Morty ou South Park, ces séries nous montraient où l’on pouvait mettre le curseur. La différence est que sur mes autres projets, je pars souvent d’un thème, d’une idée, pour développer une histoire.

Or, là, j’ai dit aux scénaristes Navo, Yacine Belhousse et François Descraques, de partir des personnages : Iris l’héroïne en Erasmus temporel, Eliot le robot machine à café, La Buse le pirate et Thomas le loser geek et naïf. Cette manière d’écrire, avec la même rigueur que pour un dessin animé, une série live ou toute fiction, a permis de se poser les bonnes questions, de garder les meilleures vannes.

Aviez-vous d’autres références, peut-être moins évidentes, pour la série ?

Sur la série animée, oui. Nous, auteurs et animateurs, connaissons bien les séries françaises et américaines, mais nous regardons aussi beaucoup d’animés japonais. Il y a ainsi pas mal d’effets, des color cards aux traits de vitesses, empruntés à l’animation japonaise. Cela remonte sûrement jusqu’à Astroboy d’
Osamu Tezuka, et donne un rythme original, un peu plus japonais, à L’Epopée temporelle.

Votre public YouTube est jeune, familial, et là, on croise un enfant nazi dans les premiers épisodes !

Ah ah ! En audio mais aussi en animation, avec des personnages un peu mignons, a priori inoffensifs, tu peux explorer des trucs plus borderline, sans tomber dans le mauvais goût. Un petit enfant nazi doublé par la
Brigitte Lecordier, la voix de Oui-Oui et Gohan, c’est quand même génial. Dès que je lui en ai parlé, elle était partante. Tous les comédiens se sont lâchés.

Ah oui, il y a aussi Hitler dans « L’Épopée temporelle »

Patrick Borg, la voix de Goku adulte, joue un conquistador qui vient buter des Mayas, il nous a fait exploser de rire avec des propositions plus farfelues les unes que les autres. Il y avait déjà de la folie dans les textes, des choses que je ne pouvais pas trop me permettre dans mes vidéos YouTube, et les doubleurs en ont rajouté une couche. Le projet a plu à tout le monde, chacun a ajouté sa pierre à l’édifice.

La série audio faisait appel à plusieurs dessinateurs et esthétiques différentes, comment avez-vous choisi celle du dessin animé ?

Je n’ai pas hésité. Lors de la première saison de la série audio, on avait 7-8 dessinateurs par épisode. Or, j’ai eu un crush pour l’un d’eux, le character designer Bertrand Todesco. Lorsque j’ai réfléchi à la série animée, je voulais que ce soit avec lui. C’est quand il a accepté, alors qu’il bosse pour Dreamworks et d’autres studios, qu’on a pu lancer la production. S’il n’avait pas pu, probablement que je ne l’aurais pas fait. Il a été le style qui a incarné cette adaptation : les persos, looks, les grimaces, les émotions…

La série audio avait démarré fort, à 5 millions de vues, pour terminer vers les 600.000 après deux saisons. Etiez-vous déçu ?

C’est surtout intéressant en termes d’utilisation des vidéos, de ce qui peut exister ou non sur YouTube. Ma chaîne reste mon laboratoire, où j’expérimente des choses. Je ne le fais pas pour le succès ou les vues, sinon, je ferais des vidéos tendance, des challenges, etc. La série audio, entre l’absence d’images et le côté feuilletonnant, cela n’avait a priori pas sa place sur la plateforme.

Mais je l’ai posté quand même, et il y a des gens qui l’ont suivi, d’autres qui ont arrêté, on peut dire que ça s’est tassé petit à petit. Alors, je ne dirais peut-être pas que c’est un succès d’estime, mais dans mon estime, c’est un vrai succès. (rires) L’adaptation animée redonne sa chance à la série, sous une autre forme, dans d’autres conditions, et sur une plateforme dédiée. YouTube évolue très vite, ce n’est pas forcément la place de la fiction, on y va pour d’autres contenus.

Pourquoi être allé sur Adult Swim, moins connu que Canal+ ou Netlix ?

Nous avons discuté avec différentes personnes, mais sur l’animation adulte, Adult Swim est incontestable. Ils ont l’expérience, l’exigence, et ce regard décalé. J’imaginais bien L’Epopée intemporelle entre le Eric André Show et Rick et Morty, plutôt qu’à côté d’autres dessins animés jeunesse. Adult Swim, c’est un humour recherché, je suis content de travailler avec une telle plateforme.

Vous semblez vous servir de votre succès sur YouTube pour décloisonner la pop culture : l’humour trash, l’animation japonaise…

C’est aussi parce que je ne suis plus vraiment un YouTubeur. Je ne joue plus le jeu de YouTube, ce qui me permet d’aller faire autre chose. Si j’avais gardé cette étiquette, avec des vidéos régulières, des formats à la mode, je n’aurais jamais pu lancer la production d’un dessin animé. Là, je travaille sur un projet de fiction, un long métrage, qui me prend énormément de temps. Je fais donc le choix de ne pas être très actif sur ma chaîne, j’y reviens quand je suis très inspiré. J’ai besoin de temps pour explorer les choses, pour raconter des histoires. Sur Adult Swim, au cinéma ou ailleurs. J’ai même sorti un jeu mobile. J’essaie d’exister de manières différentes.

Le passage du web à la télé ou au cinéma peut être difficile, vous l’avez un peu vécu avec la série « Presque adultes » sur TF1.

On imagine souvent que c’est l’un ou l’autre. Or, moi, mes auteurs préférés font plein de choses différentes. Alain Chabat fait des films, de la BD, Burger Quiz, sans oublier Les Nuls. De même, Kevin Smith réalise des films et anime un podcast. Ce sont les idées, et la rigueur, qui l’emportent sur le média. Après, il ne faut pas essayer de transposer de l’un à l’autre, cela ne marche pas. Il faut se poser des questions d’Internet si on bosse sur Internet, de série si on bosse sur une série, et bien sûr ne jamais oublier le public. Mais même si je développe un film, jamais de la vie je n’arrêterai YouTube. C’est une manière pour moi de m’exprimer, de tester des formats, pour mieux les développer ailleurs.

Pouvez-vous en dire plus sur ce projet de long métrage ?

C’est un film que j’aimerais réaliser mais ce n’est pas forcément moi qui choisis. Il s’agit de faire passer mes idées par la mise en scène, les personnages, plutôt que de l’incarner comme sur YouTube. Je crois que je préfère. Vous savez, je suis quelqu’un de pas si drôle dans la vie, car je travaille beaucoup. Alors, forcément, à un moment, les idées et les personnages sont plus mis en avant et prévalent sur ma personnalité, sur ma tronche.

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