Coup de blues sur le jazz, Marseille et Aix perdent deux grands clubs

  • Le JAM à Marseille et le Jazz Fola près d’Aix-en-Provence ont dû fermer définitivement leurs portes en raison de la crise sanitaire et économique liée au Covid-19.
  • Complémentaires, ces deux clubs de jazz attiraient un public fidèle, qui s’inquiète aujourd’hui de l’avenir, tout comme les musiciens.

Les musiciens de jazz les plus en vue en ce moment à New York ? Beaucoup sont passés là, au JAM, un petit club du quartier de la Plaine à
Marseille. Sullivan Fortner, sans doute le plus grand pianiste après Brad Mehldau, mais aussi le saxophoniste Marcus Strickland ou encore l’incontournable trompettiste Jeremy Pelt. « Lui, à cause des grèves, on a dû louer un camion, aller le chercher avec son quintet à Mâcon où il jouait la veille au soir, c’est un de mes plus beaux souvenirs », confie John Massa, programmateur du
JAM et lui-même musicien. « Aujourd’hui,
c’en est fini du JAM, on a été obligés de céder le bail », poursuit ce passionné, rappelant que le local accueillait de la musique depuis quarante ans à Marseille.

Avec la fermeture définitive du JAM, mais aussi du Jazz Fola près d’Aix-en-Provence, la région perd ses deux principaux clubs de jazz à cause de la crise sanitaire. « Quand on a vu en décembre que cela repartait dans le même esprit, sans visibilité, on a préféré jeter l’éponge, on ne peut pas travailler avec des changements de mesure toutes les semaines », explique le contrebassiste Jean-Paul Artero, qui avait ouvert le Jazz Fola en 2017. L’aide de 1.500 euros par mois pour le premier confinement ? Elle n’a pas suffi à compenser les 6.000 euros mensuels de frais fixe. « On a emprunté pour faire une trésorerie, on espérait que cela repartirait, mais la décision de ne pas rouvrir le 15 décembre a porté le coup de grâce », dit-il.

« L’économie fragile des limonadiers »

« C’est une économie fragile et menacée, rappelle le trompettiste Christophe Le Loil, un habitué des deux lieux. A moins d’être propriétaire des murs, les clubs de jazz ce sont des limonadiers, c’est comme ça qu’ils gagnent encore un peu leur vie, et encore pas bien. » « Ce sont de vraies maisons pour les musiciens, poursuit-il. Le JAM comme le Jazz Fola, ils avaient fidélisé un public. Il y avait ce truc joyeux, cette convivialité. C’est très rare les fois où on a joué et où ce n’était pas complet, les gens étaient prêts à payer 15 euros pour écouter de la musique live. »

« Au départ, le projet c’était de créer un lieu pour faire des jam-sessions, il n’y avait pas forcément l’ambition de faire une programmation pointue, rembobine John Massa. On s’est laissés déborder, on faisait quatre concerts par semaine, le monde entier est venu. Le but, c’était d’attraper les musiciens en tournée. » Contrairement au Jazz Fola, le JAM avait une structure associative et bénévole. « On avait un loyer de 1.000 euros par mois, au bout d’un an sans ouvrir, on est lessivés. Le propriétaire, un particulier retraité, a fait ce qu’il a pu pour attendre. »

« On se sent comme orphelin »

« On est un peu tous paumés, on échange entre nous et on se sent comme orphelin », déclare Marc Robert, passionné de jazz et de photo. Il a rarement manqué un concert. « Ces deux salles marchaient bien, il y avait une vraie dynamique, un public, et un brassage intéressant avec des jeunes et des moins jeunes. » « Elles étaient très complémentaires, observe-t-il. Le JAM, c’était la petite salle, avec un côté pépinière de talents et un jazz peut-être plus pointu. Le Jazz Fola, c’était un jazz plus ouvert, plus entertainment, il y avait aussi un petit resto pour manger. »

Il y a certes encore le Roll’Studio au Panier et le Rouge à la Belle de Mai, mais la fermeture de ces deux lieux, qui fonctionnaient bien, sonne comme un gros coup de blues. « C’est un mauvais signe, difficile à encaisser, dit Christophe Le Loil. Pour moi, musicien, le club de jazz fait partie de mon ADN, de mon fonctionnement, de ma pratique professionnelle. »

« Il y aura une étape de reconstruction »

« Le musicien de jazz, ce n’est pas un musicien de rock, il n’y a pas de grosses tournées, pas forcément d’albums, il a besoin de sortir jouer trois fois par semaine pour se confronter aux autres, rencontrer le public », abonde John Massa. Il ne pense pas que le projet de maison du jazz sur la Canebière va changer la donne pour l’avenir : « De ce que je comprends, c’est juste Marseille Jazz des Cinq Continents qui quitte la rue Beauvau pour s’installer sur la Canebière. J’adore leur travail, mais cela ne sera pas un club où il y aura des concerts tous les soirs. On avait nous une vraie vie de club de jazz. »

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« Sur Marseille, cela va mettre un gros temps avant de repartir, ça va être compliqué », craint-il, avant d’ajouter : « On parle de jazz, mais pratiquement tous les lieux associatifs sympas pour écouter de la musique live ont fermé sur la Plaine. Il y aura une étape de reconstruction. » Combien de temps cela prendra-t-il, dans quels lieux ? Impossible pour le moment de se projeter. Mais John Massa ne veut pas terminer sur une note triste : « On n’a pas envie de se laisser faire, on repartira. »

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