Comment repérer et aider un proche en détresse psychologique ?
Le moral des Français.es continue de baisser : à l’aube d’un potentiel troisième confinement, notre santé mentale fait l’objet de sérieuses inquiétudes. Les chiffres de Santé Publique France pointent une “tendance à la hausse des états dépressifs” fin d’année 2020. “Une augmentation continue des états dépressifs est observée depuis [fin septembre] et le taux de personnes concernées a plus que doublé entre fin septembre et fin novembre”, peut-on ainsi lire sur le site.
Troubles du sommeil, surconsommation d’écrans, idées noires… Les symptômes se multiplient chez de nombreuses personnes, dont potentiellement, certains de nos proches. Comment leur venir en aide ? Pierre Nantas, psychothérapeute et membre de l’AFORPEL, association qui regroupe un vaste réseau de professionnels, nous livre ses conseils pour prendre soin de la santé mentale de ceux qu’on aime.
Marie Claire : D’après les différents rapports, les Français.es présentent de plus en plus de symptômes de détresse psychologique. Avez-vous observé une recrudescence de consultations à ce titre ?
Pierre Nantas : Oui, tout à fait. Il y a une véritable recrudescence des consultations pour des troubles psychologiques, notamment liés à des angoisses. L’angoisse qui revient par ailleurs le plus souvent, c’est celle de l’abandon. Elle est liée au fait qu’on ne peut plus retrouver ses amis, on passe ses soirées seul, cloîtré, à cause du couvre-feu, les lieux de rencontres restent par ailleurs fermés… Ce sentiment d’abandon a augmenté avec les fêtes de fin d’année, car de nombreuses personnes n’ont pas pu voir leurs proches, où ont dû choisir lesquels ils verraient, au détriment des autres.
L’angoisse qui revient le plus souvent, c’est celle de l’abandon. Elle est liée au fait qu’on ne peut plus retrouver ses amis, on passe ses soirées seul, cloîtré.
Ensuite, derrière cette notion d’abandon, il y a la peur de mourir qui est sous-jacente. C’est une peur qui a tendance à augmenter – hors crise sanitaire – durant les mois d’octobre, novembre, décembre, mais en 2020, cela a été d’autant plus fort. De manière générale, c’est une période compliquée pour les gens sensibles.
Y a-t-il des profils plus concernés que d’autres dernièrement ? On parle notamment de l’isolement des anciens, mais aussi des jeunes étudiants.
Pierre Nantas : Les jeunes sont en effet de plus en plus touchés par ces troubles psychiques. La moyenne d’âge des consultations en cabinet a drastiquement baissé. Ceux qui sont étudiants vivent parfois loin de leurs proches, dans des petits espaces : il y a un sentiment d’étouffement. Sans compter qu’ils ne peuvent pas se retrouver entre eux. Il y a une perte des contacts humains. Ils sont de fait beaucoup plus touchés que lors du premier confinement, qui a été un choc pour tout le monde.
La moyenne d’âge des consultations en cabinet a drastiquement baissé. (…) Les jeunes souffrent d’autant plus qu’ils ne peuvent pas vivre leur jeunesse.
Le second confinement, au contraire, a été plus difficile : il a réactivé un stress post-traumatique. Il y a eu une vraie perte de repères et le plus terrible, c’est qu’on ne sait pas quand cela va finir.
Les jeunes souffrent d’autant plus qu’ils ne peuvent pas vivre leur jeunesse. Ne pas pouvoir sortir et se retrouver quand on a entre 18 et 25 ans, c’est très difficile. C’est par ailleurs ce qui peut expliquer l’augmentation des comportements de désobéissance, les rassemblements sauvages. Il y a une forme de révolte, qui traduit en réalité un sentiment profond de désespoir.
Quels sont les causes de ce mal-être qui sont le plus souvent évoquées ? Et quels sont les symptômes les plus courants ?
Pierre Nantas : La cause principale de cette détresse psychologique, c’est l’arrêt des contacts humains. On ne sait plus pour qui on existe, on n’a plus envie de faire des courses. Aussi, les masques entravent le partage des émotions, tout comme les gestes barrières : on ne se touche plus, on ne s’embrasse plus.
En ce qui concerne les symptômes maintenant, on observe un enfermement sur soi, une envie de mourir, une décompensation notamment dans la drogue ou l’alcool… La consommation de cannabis est en augmentation, tout comme l’alcool. De plus, on boit désormais seul puisqu’on ne peut plus sortir comme avant. Enfin, il y a une hausse des tentatives de suicides, surtout les week-ends d’ailleurs, et ce, partout sur le territoire, pas forcément que dans les grandes villes.
Certains patients consultent-ils pour leurs proches, afin de trouver des clés pour leur venir en aide ?
Pierre Nantas : En effet, c’est très fréquent. D’autant plus lors de conférences à plusieurs, en visio par exemple. Les gens viennent parler de leurs proches qui ont peur de consulter, qui pensent que suivre une thérapie, c’est pour les “fous” ou les “faibles”. Ce sont généralement des parents, des conjoints qui viennent demander de l’aide : comment peuvent-ils aider leur proche en détresse ?
Comment repérer un proche en détresse psychologique ? Y a-t-il des signaux à surveiller ?
Pierre Nantas : Quand on vit sous le même toit qu’une personne en détresse psychologique, il faut prêter attention aux changements de comportement, notamment surveiller les comportements addictifs (boire, manger n’importe comment), mais aussi la perte de sommeil, les cauchemars, ou encore une surconsommation des écrans.
Ces personnes n’ont pas forcément envie de mourir, mais elles veulent que ça s’arrête.
Et si on est éloigné de nos proches, ce qui doit alerter, c’est le silence. Quand il ou elle n’a pas envie de parler, ou bien l’inverse, quand il fait tout pour ne pas raccrocher. Certains vont même lancer des appels au secours déguisés : “je ne passerai pas la semaine” ou encore une personne qui vit loin qui vous appelle pour vous dire qu’il/elle vous aime. Cela peut être le signe de pulsions suicidaires : ces personnes n’ont pas forcément envie de mourir, mais elles veulent que ça s’arrête.
Quels sont les premiers “gestes” pour lui venir en aide ? A l’inverse, y a-t-il des choses à ne surtout pas faire, au risque de détériorer encore la situation ?
Pierre Nantas : Avant toute chose, il faut prendre des nouvelles régulièrement et si possible en visio. Si possible, se fixer des rendez-vous réguliers. Ensuite, il faut faire attention à ne pas communiquer son angoisse : on essaye de partager avec ses proches dont le moral n’est pas au beau fixe, uniquement les bonnes nouvelles.
On peut aussi l’aider à se projeter sur l’après, le questionner sur ses projets, ses voyages à moyen-terme, etc
Jusqu’où apporter son aide, tout en se préservant aussi face à une telle situation ?
Pierre Nantas : C’est vraiment important en effet de ne pas s’oublier en voulant s’occuper des autres. D’ailleurs, il faut faire attention à ne pas vouloir régler les problèmes des autres pour ne pas penser à sa propre misère.
Attention également à ne pas tenter de se comparer, ni dans un sens ni dans l’autre : il ne faut surtout pas culpabiliser en se disant que l’on est moins à plaindre que d’autres.
Peut-on mettre en place des choses afin de prévenir cette détérioration de la santé mentale ? Pour soi et pour les autres ?
Pierre Nantas : Je plébiscite les séances de yoga, depuis le premier confinement, on trouve plein de cours en visio, c’est une vraie aide. Dans la même veine, les applications de méditation, 1 à 2 fois par jour, ça permet de se rencontrer, ça fait baisser l’anxiété.
Dans la mesure du possible, il faut s’obliger à faire du sport, sortir prendre l’air, et surtout éviter de tomber dans le piège des séries en boucle. On risque de perdre le sommeil. Mieux vaut se plonger dans un livre, ou à la limite un livre audio.
De manière plus globale, il faut prendre soin de son sommeil, maintenir le cycle circadien (c’est-à-dire se coucher avant 23h et ne pas dormir au-delà de 7h30/8h).
On peut s’orienter aussi vers des spécialistes qui proposent pour la grande majorité des consultations en ligne, ou se lancer dans un suivi coaching.
Enfin, et c’est nécessaire de le préciser, ces méthodes – méditation, cohérence cardiaque – permettent d’anticiper. Il faut s’y adonner quand tout va bien, pour éviter de se laisser avoir par la morosité ou la déprime. Mais en pleine crise d’anxiété ou quand le moral est vraiment bas, ce n’est pas très efficace…
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