Comment décoder et interpréter le langage corporel ?

Le corps détient son propre langage. Ainsi, nous pouvons décoder les émotions et les sentiments de nos interlocuteurs en observant et questionnant leurs gestes. Mais où planter ses yeux et comment interpréter une main tendue ou un nez gratté ?

Qu’est-ce que le langage du corps, et faut-il l’écouter ?

Le langage du corps, quand il est étudié, porte un nom : la synergologie, un terme que nous devons à Philippe Turchet, le fondateur de cette discipline encore balbutiante. La synergologie décode les gestes afin de mieux cerner son interlocuteur. Est-il plutôt stressé, anxieux, heureux, amoureux ? Lire les pensées d’autrui à travers le corps, un vieux fantasme.

« Nous savons que notre corps et notre esprit sont liés et qu’une réelle interaction opère entre les deux. D’ailleurs, notre corps réagit souvent avant notre tête et nos gestes précèdent généralement nos paroles », souligne Véronique Millet, synergologue et conférencière, aussi à la tête d’une agence de communication depuis dix ans. Une assertion que la synergologue illustre par l’exemple de l’ours, en une question : « Un ours est devant vous et vous fuyez. Avez-vous pris conscience de votre peur puis fui, ou avez-vous fui puis pris conscience que oui, vous veniez d’avoir drôlement peur ? » On est tenté de répondre que la peur s’est invitée avant notre fuite, or « vous avez fui avant, puisque l’ours a agi comme un stimulus et a entraîné chez vous une réaction corporelle », indique l’experte. Voilà pourquoi considérer le langage du corps, ou la communication non verbale, a un intérêt : parce que notre corps est bavard et n’attend pas que nous traitions mentalement nos pensées et nos émotions pour nous exprimer.

Tous les gestes ne comptent pas

Selon Philippe Turchet, un synergologue apprend à « voir passer les ballons ». Autrement dit, tous les gestes de nos interlocuteurs ne sont pas intéressants à analyser : « Si vous faites un geste répétitif lorsque l’on discute, je ne le regarderais pas, il fait partie de votre identité corporelle, exprime Véronique Millet. Ce qui va m’interpeller, c’est le mouvement soudain et inhabituel de votre corps, tel un ballon qui apparaît dans le ciel et attire mon attention. Derrière ce geste, que l’on appelle le geste mi-conscient, il y a certainement un non-dit. » La synergologie, en étudiant le langage du corps, s’intéresse alors aux ballons qui « sortent de nulle part » et aux non-dits qui se cachent à l’intérieur. Mais attention, il ne faut pas confondre les non-dits et les mensonges : « En tant que synergologue, nous nous intéressons à la vérité. Nous écoutons, observons et questionnons pour créer une relation authentique. Cet examen du détail peut être une réelle valeur ajoutée dans le cadre d’une enquête de police par exemple », développe Véronique Millet.

Une fois le geste repéré, soit ce ballon qui surgit, l’étape suivante consiste à interpréter le geste, puis à questionner l’interlocuteur. « S’il y a un non-dit, c’est qu’une émotion est là. On va pouvoir orienter notre discussion avec la personne pour essayer de comprendre ce qu’elle ressent, information qui peut nous être utile pour poursuivre le dialogue », détaille Véronique Millet. Ça, c’est dans le cas où l’on souhaite décrypter la fille ou le garçon en face de nous pour savoir si cette personne est plutôt contente ou déçue, gênée ou détendue. Mais la synergologie peut intégrer de nombreux domaines professionnels : « Un médecin formé à la synergologie sera plus apte à discuter avec un patient qui peine à mettre des mots sur une douleur », précise la communicante.

Quelles sont les parties du corps qui expriment le mieux nos émotions ?

S’intéresser au langage du corps, c’est considérer le corps dans son ensemble. D’ailleurs, le premier regard que l’on jette sur « l’observé » a pour objectif de visualiser ce que l’on appelle la « statue », soit la posture globale. C’est très important : si quelqu’un se frotte les mains et que vous ne regardez pas « sa statue », vous penserez peut-être qu’il est stressé ou impatient, or son corps entier est crispé par les températures trop fraîches. Résultat, il se frotte les mains pour se réchauffer. Raté, donc.

Si le corps entier a son importance, le visage centralise un certain nombre de points à analyser. « Le visage est une porte d’entrée de la lecture. Ensuite, il faut mixer ce que l’on voit avec d’autres mouvements sur d’autres parties du corps, afin de pouvoir corroborer l’élément analysé », précise la synergologue, qui justifie son propos en combattant – au passage – une idée reçue sur le langage corporel : « On pense que les bras croisés sont synonymes de posture défensive ou d’une coupure à l’autre. En réalité, si vous croisez les bras et que je les croise aussi, cela veut dire que je suis plutôt à l’aise avec vous, que la communication est bonne. Et puis, même si je croise les bras sans vous imiter mais que vous voyez encore mes mains, alors non, je ne suis pas en retrait », développe l’experte. Comme quoi, chaque détail compte. Charge au synergologue – ou à celui qui s’y essaie par curiosité – de différencier un geste commun, ou réflexe, d’un geste mi-conscient.

Il se touche le nez, il croise les jambes, il se mord la lèvre… Ça veut dire quoi ?

Véronique Millet insiste : « Il est très difficile d’associer un geste à une émotion ou une pensée. Cela reviendrait à prendre des raccourcis. » On ajoute à ça qu’une lecture aussi simplifiée du langage corporel perdrait, de toute façon, de son sérieux – c’est d’ailleurs ce que dénoncent les opposants à cette discipline, prétextant qu’on ne peut pas interpréter un bras tendu ou une tête penchée de manière universelle. En réalité, il existe une table synergologique, appelée « éthogramme », qui recense 1200 items qu’il est parfois nécessaire de croiser pour parvenir à une analyse digne de ce nom. Chaque item est associé à un mouvement de notre corps. Cette grille de lecture est une référence précieuse pour les professionnels, puisqu’elle leur offre un langage commun. Cependant, tant d’interprétations possibles peuvent à l’inverse nous laisser penser que, effectivement, la synergologie n’a rien d’une science.

Toujours étant, pour revenir à nos moutons, nos hanches et nos mentons, qu’il est impossible de simplifier la lecture d’un geste pour maintes raisons. Par exemple, quelqu’un qui se ronge les ongles est (facile) stressé, mais quel doigt ronge-t-il particulièrement ? Et puis quelle main, aussi ? Véronique Millet rappelle que les gestes réalisés à notre gauche sont liés à l’émotion – car dépendants du cerveau droit, et que ceux réalisés à notre droite sont liés à l’extérieur. Si je me ronge la main gauche, il est probable que quelque chose de personnel me tracasse, tandis que si je me ronge la main droite, c’est plutôt le contexte qui me dérange ou me perturbe.

Le contexte, parlons-en aussi : l’environnement est très important dans l’interprétation du langage du corps. N’allez pas penser que quelqu’un qui tourne la tête à droite toutes les cinq minutes évite votre regard ; s’il y a là-bas une fenêtre, un gâteau, un clown, n’importe quoi capable d’attirer son attention, c’est normal, et d’autant plus – encore une fois – si le geste est répété.

Petit précis des gestes pour apprendre les bases du langage corporel

Les principaux codes à décrypter, d’après les livres de Joe Navarro* et Joseph Messinger** et les précisions de notre experte Véronique Millet.

Ce qu’il faut retenir… côté visage

Ce qu’il faut retenir… côté jambes croisées

Ce qu’il faut retenir… côté buste

Ce qu’il faut retenir… côté bras croisés

*« Ces gestes qui parlent à votre place », Joe Navarro, éditions Hugo Doc.

**« Le grand livre du décodage gestuel », Joseph Messinger, éditions J’ai Lu.

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