Christian Bréchot : "On ne pourra pas éviter une troisième vague de Covid-19"
Couvre-feu national à 18h, nouveau confinement strict face à une troisième vague qui semble inévitable, vaccination et campagne de tests massives… En retard par rapport à certains pays voisins et inquiète face à la propagation de nouveaux variants de la Covid-19, la France étudie toutes les options pour se sortir d’une crise sanitaire qui dure depuis maintenant près d’un an.
Spécialiste des hépatites virales, ancien directeur général de l’Inserm, puis de l’Institut Pasteur et vice-président de l’Institut Mérieux, Christian Bréchot est aujourd’hui à la tête du Global Virus Network, réseau de recherche réunissant des virologues du monde entier, basé aux Etats-Unis. C’est depuis Tampa en Floride, où il enseigne la médecine au sein de la University of South Florida, qu’il a répondu à nos questions et fait quelques prévisions pour 2021.
Marie Claire : la vaccination dans de nombreux pays va-t-elle permettre de freiner rapidement le virus ?
Christian Bréchot : « La vaccination va permettre de contenir l’épidémie, mais on en verra vraiment les effets qu’à partir du printemps. Pour que cela ait un impact, il faut qu’un nombre suffisant de personnes soit vacciné et cela prend du temps. »
Les mutations, dont on parle beaucoup depuis l’apparition du variant anglais de la Covid-19, risquent-elles de remettre en cause l’efficacité des vaccins ?
« C’est une question essentielle. Il faut rappeler aux lecteur·rice·s que c’est normal pour un virus de muter. Jusqu’à présent, que ce soit le variant anglais, le B-1-1-7 ou ceux d’Afrique du Sud, du Japon ou du Brésil, leurs effets portent sur la contagiosité mais pas sur la sévérité. C’est important de le dire. Aussi, ces variants ne remettent pas en question l’efficacité de la vaccination.
Autrement dit, la réponse c’est vacciner, vacciner vite et de façon massive parce que vacciner lentement une proportion trop faible de la population pourrait conduire à sélectionner de nouveaux variants. Une surveillance très stricte s’impose. »
La vaccination va permettre de contenir l’épidémie, mais on en verra vraiment les effets qu’à partir du printemps.
Qu’entendez-vous par « sélectionner de nouveaux variants » ?
« Quand vous traitez des patients que ce soit avec des anticorps monoclonaux ou des vaccins, vous mettez une pression de sélection sur le virus. En gros et de façon imagée, le virus cherche à s’échapper de la réponse immune. Comment ? Il peut muter, mais si à chaque fois, vous lui opposez une vaccination massive, il ne pourra pas s’échapper. »
L’Organisation mondiale de la Santé estime qu’il n’y aura pas d’immunité collective en 2021, malgré le vaccin…
« L’OMS veut dire que pour atteindre, au niveau mondial, une immunité de 60 à 70 % de la population, il faut du temps. Donc, effectivement, on n’y arrivera pas avant la fin de 2021 ou le début de 2022. Mais cela ne signifie pas qu’on n’aura pas un effet sur l’épidémie dans des pays où la vaccination aura été réalisée de façon massive. »
Cela signifie que nous n’en avons pas fini avec les mesures de protection…
« Il faut toujours se rappeler qu’il y a deux mois à peine, on découvrait les annonces de Pfizer/BioNTech sur un possible vaccin. Je dirais donc : on sait qu’on va s’en sortir. On sait qu’on a malheureusement encore devant nous plusieurs mois compliqués. Et c’est la combinaison à la fois du vaccin, des précautions – on ne doit pas abandonner le masque, le lavage de mains, la distanciation- de nouveaux traitements en cours d’évaluation, et des tests de diagnostic en constante amélioration, qui nous permettront de nous en sortir. »
Connaissez-vous ces nouveaux traitements prometteurs ?
« Oui, mais c’est un peu trop tôt pour en parler. Je peux vous dire qu’une molécule est en cours de développement pour le traitement des formes sévères et une autre est en évaluation pour le traitement des formes plus mineures. Mais honnêtement, il faut attendre les résultats. »
On parle d’un spray nasal qui tuerait le virus…
« Oui, c’est aussi en cours de développement. Ils essaient de créer un spray dans lequel une molécule entrerait en compétition avec la liaison entre le virus et son récepteur. C’est assez intelligent, mais il faut encore démontrer son efficacité. »
Une molécule est en cours de développement pour le traitement des formes sévères et une autre est en évaluation pour le traitement des formes plus mineures.
Comment pourrait-on inverser les courbes, qui depuis des mois sont en plateau, et commencent même à grimper de nouveau après les fêtes ?
« C’est tout le problème, on peut inverser les choses en associant plusieurs approches. C’est ce qu’annonce le gouvernement en permanence en resserrant les mesures de confinement et en voulant étendre au niveau national le couvre-feu à 18 heures. Il ne faut pas baisser la garde sur tout ce qui est masques, absence aux rassemblement, et en vaccinant. »
Un troisième confinement strict permettra-t-il vraiment d’enrayer la propagation du virus ?
« Oui hélas, le confinement, ça fonctionne mais on le paye à un prix tellement fort au niveau économique, psychologique et sociologique. Je pense qu’on ne pourra pas éviter une troisième vague. C’est certes déprimant, mais à la différence des deux vagues précédentes, on sait maintenant qu’on va s’en sortir. »
Faut-il se préparer d’ici l’été à passer le premier semestre 2021 en stop & go comme la majorité de 2020 ?
« Moins si on augmente la vaccination. Le vaccin arrêtera le stop and go. La troisième vague, pas forcément aussi sévère que les premières, devrait être la dernière si on vaccine massivement. »
Peut-on mieux faire en terme de dépistage ?
« Oui. En ce qui concerne les tests, on ne se sert pas assez du progrès technologique. Autrement dit, est-ce qu’on pourrait tester d’une meilleure façon ? Oui. On pourrait tester avec des tests salivaires et profiter davantage des tests rapides.
Concrètement, même quand on aura contenu cette épidémie, la Covid-19 sera toujours là et de nouveaux virus apparaitront. L’idée est de faire un tout petit prélèvement quand on arrive au restaurant, au théâtre puis de réaliser des tests en 5 minutes. Des gens vous disent ‘C’est génial, mais c’est de la science-fiction’. Pas du tout.
La troisième vague, pas forcément aussi sévère que les premières, devrait être la dernière si on vaccine massivement.
Aux Etats-Unis, l’événement majeur n’est pas l’élection du président mais le Super Bowl, la finale du football américain. Il aura lieu à Tampa dans trois mois. 90 000 personnes dans un stade. Un cluster planétaire. Ils envisagent donc de tester de façon très, très rapide. Je note qu’en France, de nouveaux dépistages massifs sont mis en place par le gouvernement et par les régions. C’est bien, mais je pense qu’on doit avoir une réflexion sur les tests qu’on utilise. »
Pourquoi ces tests très rapides ne sont–ils pas encore sur le marché ?
« Il y a deux choses : les prélèvements et les tests rapides. Vous pouvez par exemple faire un test PCR classique sur des prélèvements salivaires. Les prélèvements salivaires ne sont pas sur le marché, je ne sais pas pourquoi, mais je peux vous dire qu’en tant que président du Global Virus Network, beaucoup de publications scientifiques démontrent qu’ils fonctionnent. Il faut combiner les tests diagnostics et parallèlement travailler sur des tests différents pour les mois qui viennent. La question est effectivement de savoir si on les aura en France ou pas. »
Vous êtes basé en Floride, comment expliquez-vous la flambée du virus aux États-Unis?
« Il n’y a pas eu de politique fédérale, et ça, c’est la responsabilité majeure de Donald Trump et de son administration. C’est effroyable ce qui se passe aux Etats-Unis. C’est un bon exemple : ils ont le vaccin, ils ont été beaucoup plus efficaces que nous, déjà plus de 6 millions de personnes ont été vaccinées et pourtant, la pandémie continue à flamber. Et elle flambera encore pendant plusieurs mois.
En Floride où je vis, le nombre de cas, d’hospitalisations et de morts ne cesse d’augmenter mais on vit un peu comme si de rien n’était, les restaurants, et les salles de sport restent ouverts. En dehors d’un tout petit nombre d’Etats, ils n’ont pas pris assez de précautions. Sans compter le taux très élevé d’obésité et de diabète, des facteurs de risque très importants… »
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