Aya Nakamura : "Je dis tout haut ce que les gens pensent tout bas"

Après s’être prêtée avec grâce et enthousiasme à l’exercice du shooting photo, Aya Nakamura nous retrouve sur la terrasse du lieu, en Seine-Saint-Denis. Durag (sorte de foulard porté pour protéger la coiffure) sur la tête, elle allume une cigarette pour décompresser après un après-midi – voire des semaines – intense : « La promo est dingue, ça ne s’arrête pas », nous dit-elle avec entrain. De fait, son nouvel album sobrement titré Aya (1), sorti une semaine plus tôt, a fait d’elle l’artiste française la plus écoutée au monde sur les plateformes en ligne (2).

« C’est un truc de ouf », lance-t-elle, sourire aux lèvres. Comme avec ses précédents disques, Journal intime et Nakamura, l’artiste de 25 ans balaie tout sur son passage, enchaînant les records de ventes et de streams, propulsée au coeur d’une attention médiatique particulière. Le New York Times (3) n’écrivait-il pas il y a quelques mois qu’elle était « l’un des plus importants évènements en Europe, musicalement et socialement » ?

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Un « role model » pour les adolescentes 

Aya Nakamura est aujourd’hui sans aucun doute l’artiste française la plus influente dans le monde. La chanteuse a imposé ses codes musicaux et culturels, son langage et sa personnalité. « J’ai juste envie d’être moi, précise-t-elle en haussant les épaules. Ce que je chante et montre reflète qui je suis. Pourquoi se créer un personnage de toutes pièces ? »

Née à Bamako en 1995, elle s’installe avec sa famille en France, à Aulnay-sous-Bois, alors qu’elle est encore enfant. Elle grandit dans un environnement populaire, avec un père ouvrier et une mère au foyer issue d’une famille de griots, caste de poètes musiciens d’Afrique de l’Ouest. Si rien ne la prédestinait à devenir la star qu’elle est aujourd’hui, la jeune femme avait néanmoins un petit quelque chose en plus.

Ce que je chante et montre reflète qui je suis. Pourquoi se créer un personnage de toutes pièces ?

Rhoda Tchokokam, critique culturelle et coauteure de Le dérangeur. Petit lexique en voie de décolonisation (4), confirme : « Son talent de topliner (artiste qui écrit la mélodie et les paroles à partir d’un beat existant, ndlr), sa plume, son utilisation de l’argot et les sonorités sur lesquelles elle pose sa voix font sa singularité. »

Un cocktail qui a fait naître une artiste ancrée dans la décennie 2020, représentative de la manière d’être et de vivre d’un large pan de la population. Car grâce à cette authenticité, Aya Nakamura est devenue l’emblème d’une génération de jeunes femmes, souvent issues des quartiers, qui se reconnaissent en elle. Elle est ce que l’on appelle un « role model », un exemple pour de nombreuses jeunes filles noires notamment.

« Aya, c’est un peu comme une grande soeur qui nous donne des conseils », nous dit Axelle, 16 ans, lycéenne en Essonne. « Elle nous ressemble. Quand on l’écoute, elle nous rappelle qu’on peut tout faire, tout réussir, et aussi qu’on ne doit pas se faire maltraiter par les garçons. Elle parle de manière franche, sans se soucier de ce qu’on peut dire sur elle, c’est inspirant. » Cette manière de montrer dans ses paroles de chansons que, face aux hommes, voire au monde, elle ne pliera pas : voilà qui marque les adolescentes. 

L’espoir de la jeunesse

Pourtant, la principale intéressée pose un regard distancié sur cette influence. « Plus jeune, je n’avais pas d’idole, je ne sais pas ce que ça peut leur procurer. Mais je peux comprendre que certaines voient en moi un exemple, comme si j’étais un espoir. »

Un espoir pour celles qui n’ont pas l’habitude de voir des femmes qui leur ressemblent sur le devant de la scène. « C’est la première fois que je vois une chanteuse noire de ma ville avoir autant de succès, relève Goundo, 15 ans, lycéenne résidant à Aulnay-sous-Bois. J’aimerais trop pouvoir réussir dans mon domaine plus tard comme elle, en se fichant de tout le monde. »

Aya Nakamura est donc, pour elles, un symbole de réussite. Un modèle d’empowerment, aussi. À travers son attitude, et surtout ses chansons, l’artiste affiche une autonomie, une force, comme si rien ne pouvait l’atteindre.

Sur son dernier disque, elle clame dans Biff gagner son argent seule : « J’fais mon biff et j’me débrouille toute seule. » Dans Djadja, elle demandait des comptes à un homme, réclamant à être mieux traitée. Mais cet empowerment n’est pas forcément revendiqué : « J’ai pas l’impression de revendiquer une force en moi. Je veux pas me jeter des fleurs mais c’est ce que je suis. Et si je peux aider ces jeunes filles à prendre le pouvoir sur leur vie, c’est tout bénef, non ? », commente la chanteuse.

Alors, pour beaucoup, ses paroles résonnent : « Elle me donne envie d’être puissante, de croire en moi et de n’écouter personne d’autre que moi. Aya nous montre qu’on peut dire “non”, qu’on peut rester nous-mêmes et qu’on doit être respectées », confirme Goundo.

Elle me donne envie d’être puissante, de croire en moi et de n’écouter personne d’autre que moi

« Des jeunes femmes noires se projettent dans son parcours et la façon dont elle mène sa carrière, analyse Rhoda Tchokokam. Elle est attachée à son identité et à ne pas la lisser. Le fait est qu’elle revendique venir de banlieue et assume un argot. Elle ne veut pas changer son image pour plaire. Rien que ça, c’est inédit. »

Une identité propre, voilà ce qui plaît d’abord chez l’interprète de Doudou, comme nous le confirme Sabrina Herlory, directrice générale de M.A.C. Cosmetics France, qui l’a choisie pour égérie fin 2019 : « Elle incarne une certaine fraîcheur, et surtout de la modernité. Elle vit comme elle parle et parle comme elle vit. C’est ce qui fait qu’elle séduit le plus grand nombre, des plus jeunes aux plus âgés. »

Une artiste touchant tous les publics

En France, tout le monde connaît Aya Nakamura et son tube Djadja. « Elle touche plusieurs types de public. Cela explique son succès international, souligne Rhoda Tchokokam. Elle a débarqué, forte de cette personnalité détonante, offrant une musique qui mélange plusieurs genres. Ça a chamboulé les gens. » À sa manière, elle a bousculé les paysages médiatique et musical français.

Révolutionnaire ? La jeune femme n’en a pas l’impression : « Je ne me dis pas que je suis une révolution ou quoi. Je fais juste mon truc. Mais je vois bien que des personnes ne pensent pas comme moi et ne me ressemblent pas. Et en effet, ça peut les brusquer. Je dis tout haut ce que les gens pensent tout bas. J’ai toujours été comme ça, un peu je-m’en-foutiste. C’est surtout que j’aime bien ‘être bien’. À l’aise avec moi, les autres, mes convictions et mes pensées. Le reste ne me regarde pas. »

À tel point que parfois, ses prises de paroles peuvent gêner : « Le truc, c’est que je ne parle pas forcément que pour moi. Les gens se disent : pour qui elle se prend ? Alors que je prends aussi la parole en disant ce que d’autres pensent. » « Elle est sans gêne dans le bon sens du terme. Elle est à l’aise, prend la parole, elle est une voix et ne s’excuse jamais d’être là », rapporte Sabrina Herlory. Aya Nakamura ne peut que confirmer : « De toute manière, c’est quoi, s’excuser ? », commente-t-elle, un sourire en coin.

Ce phénomène Aya, personne ne l’attendait. Une femme noire, à la peau foncée, originaire de Seine-Saint-Denis… « C’est vrai que j’ai pas vu beaucoup de femmes médiatisées qui me ressemblaient en France, et encore moins dans la musique », confirme-t-elle.

Depuis plus de vingt ans, aucune femme noire française n’avait réussi à s’exporter autant, et à rencontrer un si grand succès musical : « Dans les années 90 et une partie des années 2000 existaient de nombreux profils différents de chanteuses noires, allant du zouk au R’n’B. Mais tout en faisant le même type de musique, personne n’a pu avoir un succès similaire à Aya  », appuie Rhoda Tchokokam.

Revers de la médaille, ce succès dérange

Car Aya Nakamura est la cible d’attaques de toutes parts  : réseaux sociaux, médias, personnalités politiques… Ses moindres faits et gestes sont scrutés, commentés, critiqués. Cela semble la toucher, puisque quand on aborde le sujet, elle prend une pause avant de se livrer  : « C’était pas vraiment le cas quand j’étais encore inconnue. J’étais seulement une petite meuf d’Instagram avec six abonnés qui faisait sa vie.  »

De nombreuses charges ont été lancées contre elle, notamment parce qu’elle est une femme noire. C’est ce que l’on appelle la « misogynoir  », concept sociologique inventé par l’universitaire afro-américaine Moya Bailey, qui définit une forme de misogynie envers les femmes noires, où la race et le genre jouent un rôle concomitant.

Dans le cas d’Aya Nakamura, cela se traduit par des attaques sur son apparence ou sa personnalité, beaucoup lui reprochant un comportement de diva : « »C’est quelque chose qui a changé quand j’ai eu du succès. Dès que j’ai été exposée, on m’a envoyé ça à la figure. J’étais critiquée sur tout ce que je faisais. Au début, je ne comprenais pas car je ne l’avais pratiquement jamais vécu. Je me suis pris toutes ces remarques d’un coup, et c’est brutal.  » Une manière de lui faire comprendre qu’elle n’est pas à sa place, ce dont elle n’avait pas forcément conscience auparavant.

Alors l’artiste se protège : « Quand on est une fille qui me ressemble, il faut donc se préparer à ça et se faire une raison… Soit on se dit  : c’est plus pour moi, j’ai plus envie, je veux plus être exposée pour vivre plus tranquillement. Soit on continue et on se protège.  » Elle a choisi la seconde option : « Maintenant, je fais attention à ce que je regarde et ce que je lis, et je ne calcule pas.  »

Exception  : il y a quelques semaines, quand une rumeur a tenté de discréditer sa love story avec son producteur Vladimir Boudnikoff, inspiration majeure de ce nouvel album qui transpire la confiance en soi, le sexe, l’amour et l’humour, elle dégaine sur Twitter un « c’est tellement dégueu d’inventer des trucs pareils #PuteAClique.  » Tandis que lui, sur Instagram, pose le mot de la fin : « Les rageux nous pistent / Longue est la liste.  » Un extrait déjà culte de son tube planétaire Doudou.

1. Label Rec.118. 2. Comme Spotify. 3. Le 22 mai 2019. 4. Éd. Hors d’atteinte.

Cet article a été initialement publié dans le n° 821 du magazine Marie Claire, daté de février 2021.

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