Avec son album "Multitudes", Feist chante une joyeuse tristesse

Avec ses nombreux tubes, dont My Moon My Man et Mushaboom, la voix de Feist est devenue comme une amie chère, qui s’est délestée du poids de son propre jugement dans les dernières années. Son nouvel album est aussi celui où elle démultiplie sa voix et accepte sa multitude de vérités.

Feist face à elle-même

Marie Claire : L’album porte au départ des titres très optimistes, puis est gagné par des sujets plus graves… 

Feist : Les chansons sont très indépendantes les unes des autres et j’ai décidé seulement à la fin de la manière dont elles devaient s’agencer. Mais c’est une forme d’optimisme que de décider de se regarder avec honnêteté, et de s’appuyer sur ses imperfections. Autrefois, je préférais choisir de construire l’illusion la plus parfaite de ce que je souhaitais être plutôt que d’accepter qui j’étais vraiment au réveil le matin et de voir quelles étaient mes forces et mes failles.

J’ai voulu apprendre à devenir optimiste.

C’est aussi un album où, jusqu’aux chœurs, vous êtes seule avec vous-même.

J’ai souhaité être dans une démarche de vérité et produire l’album sans obscurcir les faits. Sans masquer non plus le pouvoir ni même la faiblesse de ma voix, par exemple. Dans le passé, j’ai utilisé beaucoup de méthodes et de matériel pour me donner des chances de me cacher dans la production.

Cette fois, j’ai voulu tout l’inverse  : dans les paroles aussi, j’ai voulu apprendre à devenir optimiste. C’est quelque chose qui doit devenir un choix car ça n’a jamais été mon état naturel de voir le verre à moitié plein. Le titre In Lightning est la personnification de ce choix, il m’a été inspiré par la carte du soleil dans le tarot  : dessus, c’est un enfant sur un cheval, nu et qui est dans la joie de se montrer.

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Une « mise à jour » de sa pensée

Avez-vous déjà eu l’impression d’être enfermée dans une image fausse de vous-même ?

Tous mes anciens problèmes ne sont jamais venus de l’extérieur, finalement… J’ai récemment appris beaucoup de choses sur le modèle philosophique du panoptisme [développé par Michel Foucault dans Surveiller et punir (Gallimard) à propos de l’architecture carcérale qui permet de voir sans être vu, ndlr], sur la manière dont on se contrôle nous-même. C’est être sur le fil du rasoir, pour un artiste, que de savoir comment poser ses limites tout en étant capable d’être vulnérable.

J’ai beaucoup d’admiration pour cette génération qui a nommé ces actes comme étant inacceptables.


Le mouvement #MeToo a-t-il débloqué quelque chose pour vous? [En août dernier, elle a quitté la tournée d’Arcade Fire après des allégations pour comportements sexuels déplacés visant son leader Win Butler, ndlr.]

J’ai beaucoup d’admiration pour cette génération qui a nommé ces actes comme étant inacceptables. Je ne sais quel conditionnement suicidaire a fait que la mienne a eu bien souvent une sorte d’aveuglement sur ces comportements… C’est peut-être une sur-simplification de dire qu’ils viennent seulement des hommes, mais disons que des abus ont été normalisés.

J’ai eu de la chance que ma fille naisse avant la pandémie, ma nounou et sa copine ont emménagé avec nous pendant le confinement et cela m’a permis de mieux comprendre différents mouvements, dont la culture queer, pour mettre à jour mon langage et ma manière de penser.

Multitudes (Polydor) sort le 14 avril 2023.

Cette interview a été initialement publiée dans le magazine Marie Claire numéro 848, daté mai 2023.

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