Au travail, comment rester stimulé quand on ne rencontre plus personne ?

Plus de déjeuners, de rencontres, de cocktails, de conférences… Depuis un an, la pandémie a réduit notre espace professionnel à un écran d’ordinateur et un bureau peuplé de rares collègues. Soit autant de sources d’inspiration, de réflexion et d’idées neuves qui s’assèchent. Comment compenser ?

«L’imprévu, l’aventure, les moments où l’on tapote sur l’épaule de quelqu’un, tout ça n’existe plus», soupire Clothilde Chalot au téléphone depuis la Normandie. Habituellement parisienne, la cofondatrice et présidente de NomadPlay, lauréate de l’édition 2020 du prix Madame Figaro – Business with Attitude, a passé beaucoup de temps dans cette région depuis un an. Avant le début de la pandémie, ses journées débordaient de petits-déjeuners et dîners d’affaires, de cocktails, de festivals et de concerts. À la tête d’un label de musique classique et d’une application pour musiciens, elle est aussi membre du Syndicat des éditeurs de service de musique en ligne et du Conseil professionnel du Centre national de la musique. «Avec mon profil, j’assistais à tous les événements possibles et imaginables, raconte-t-elle. J’y rencontrait beaucoup, beaucoup de monde, de façon très spontanée. On entend quelqu’un parler, à un cocktail ou une table-ronde, on sent l’alchimie professionnelle et on engage la conversation. Cette spontanéité n’est plus possible.»

Sauf à crier dans son micro «je peux vous garder cinq minutes ?» à la fin d’une visio-conférence. Non seulement ça n’a pas le même panache ni la même chaleur qu’une rencontre en chair et en os, mais c’est de toute manière rarement possible. «Les éditeurs de musique, les fournisseurs de contenu, nos nouveaux partenaires… Tout le monde est très accaparé par la crise, raconte Clothilde Chalot. On s’habitue aux rendez-vous quasi chronométrés de 30 minutes.» .

Renoncer pour s’aérer

Le tableau n’est pas plus rose du côté des cadres, managers ou salariés. Même sans être chef d’entreprise, on a l’habitude de ces rencontres fugaces mais fécondes, à un cocktail professionnel comme à un dîner chez des amis. Au premier confinement, on a beaucoup dîné ou trinqué en visio. Un an plus tard, l’envie semble nous être passée. Peut-être faut-il renoncer à ce dont la pandémie nous prive, pour mieux tirer profit du reste ? Dans l’emploi du temps de Clothilde Chalot, les événements professionnels ont cédé leur place à des podcasts sur l’entrepreneuriat, à la lecture d’études de marché et, surtout, à des temps de calme. «On est sur sollicités en temps normal. On nous demande d’avoir des idées tout de suite, en permanence, regrette-t-elle. Les restrictions sanitaires m’offrent un calme précieux. C’est quand je me promène, quand je cuisine ou quand je m’ennuie que mon cerveau virevolte et que les idées viennent. J’ai finalement aujourd’hui le sentiment d’avoir davantage le temps de créer.»

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Une rupture nécessaire

Comme elle, beaucoup de Français ont réalisé combien ils étaient de moins en moins enclins à laisser le travail prendre toute la place. Le soir ou le week-end, 70% d’entre eux arrivent à s’en détacher psychologiquement, et 80%, à organiser leur temps libre, d’après une étude menée en mars 2021 par le cabinet Empreinte Humaine, spécialisé en prévention des risques psychosociaux. Débrancher est d’autant plus important que, les écoles fermées, les parents – et les mères avant tout, nous rappellent les chiffres – doivent jongler entre leur ordinateur et leurs enfants. Un goulot d’étranglement épuisant et dangereux.

Déconnecter n’est donc pas un caprice : c’est une nécessité pour tous. Et une bouffée d’air frais pour ceux qui ont besoin de nourrir leur créativité. «J’aime lire et écouter des choses qui n’ont rien à voir avec l’entrepreneuriat ou la mode», explique Jessica Troisfontaine, la fondatrice de la marque de mode Septem Paris. Ces derniers temps, elle s’est plongée dans le podcast et le dernier livre de Marie Robert, Philosophy is Sexy et Le Voyage de Pénélope, Boomerang, l’émission d’Augustin Trapenard sur France Inter, Une chambre à soi de Virginia Woolf, Une farouche liberté de Gisèle Halimi et Annick Cojean, Devenir Beauvoir de la philosophe Kate Kirkpatrick… «Je prends des notes, je repère des passages, des tournures que j’injecte dans ma marque, quand j’écris l’histoire des collections ou quand j’enregistre les entretiens du Septem Club», explique Jessica Troisfontaine.

Stratégie d’inspiration

Puisque l’inspiration ne vient plus d’elle-même, ne peut plus surgir au détour d’un dîner ou d’un événement, il faut s’organiser pour la chercher. Comme on pisterait la bonne recrue pour un poste, on cherche désormais le bon filon d’inspiration. «Il n’y a plus de hasard dans ma vie, je m’en rends compte, soupire Eléonore Baudry, présidente de Figaret Paris. La source s’est tarie, la sérendipité a disparu et notre inspiration s’est recroquevillée. On doit maintenant solliciter l’inattendu.» Après avoir écumé les galeries d’art jusqu’à leur fermeture récente, elle aussi cherche sa nourriture intellectuelle dans la littérature. L’intégrale d’Annie Ernaux, les romans d’Emmanuelle Bayamack-Tam – ou de son pseudonyme, Rebbecca Lighieri, d’Alexandre Dumas, des livres sur l’histoire de la mode… «J’ai besoin d’aventures et de livres qui m’embarquent, résume-t-elle. J’écoute aussi Bookmakers, le fabuleux podcast littéraire d’Arte Radio, et passe davantage de temps sur Instagram, à l’affût d’artistes ou de marques intéressantes.»

Certains poussent cette stratégie un cran au-dessus, jusqu’à organiser des rendez-vous réguliers. Jusqu’aux dernières restrictions sanitaires, les équipes du site de vente privée The Bradery se réunissaient chaque jeudi soir au bureau pour écouter un invité. «Des investisseurs, partenaires, entrepreneurs… On cherche des destins intéressants, explique Edouard Caraco, cofondateur de The Bradery. Des gens plus âgés, expérimentés, qui se mettent à nu, nous racontent leur parcours, leur expérience de la pandémie, leurs livres préférés… C’est une ouverture, ça élargit notre champ de vision.» Et l’horizon, un peu, en attendant qu’il retrouve une taille normale.

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