Au secours, ma meilleure amie est complotiste !

On l’adore mais, depuis quelque temps, notre copine nous tient des discours truffés de fake news. Contre cette épidémie d’inepties, aucun vaccin à espérer. Mieux vaut miser sur le dialogue et beaucoup (beaucoup) de patience !

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Il n’y a pas si longtemps, les théories complotistes semblaient évoluer dans un monde éloigné du nôtre. Des délires proférés par des allumés extrémistes ressassant l’arrivée prochaine des extraterrestres. Mais ces dernières années, les discours conspirationnistes se sont dangereusement rapprochés de notre cercle intime. Depuis les attentats du 11-Septembre, le sentiment de méfiance vis-à-vis des « élites » n’a cessé d’augmenter pendant qu’un imaginaire nourri de récits alternatifs a connu de belles envolées sur internet. La crise du Covid-19 a tout accéléré.

En soulignant les manquements de ceux qui nous gouvernent, exacerbant un sentiment de défiance, et en restreignant nos libertés, nous bloquant devant les réseaux sociaux, elle a fait le lit d’une « infodémie », une épidémie de fausses informations semant la confusion. De plus en plus de seniors y ont été sensibles, en raison notamment de leur présence sur Facebook, où les posts « confusionnistes » abondent. Résultat : on connaît presque tous un proche qui s’enfonce dans la spirale complotiste. Face à lui, on se sent souvent démuni. Comment réagir sans verser dans le conflit ? Comment garder le lien ? Comment se protéger soi-même ? Nos témoins racontent leur expérience de ce dialogue de sourds…

On tourne sept fois la langue dans sa bouche…

« La pandémie a agi comme un incubateur de crédulité », commente le sociologue Gérald Bronner, auteur d’Apocalypse cognitive (éd. Puf). En période de crise, les théories complotistes séduisent de plus en plus d’adeptes. Selon Olivier Klein*, professeur de psychologie sociale à l’Université libre de Bruxelles, elles agissent comme un anxiolytique : « Elles proposent des grilles d’analyse simples et manichéennes pour rendre compte de réalités complexes et angoissantes. De ce fait, elles attirent en premier lieu des personnes en situation de vulnérabilité qui cherchent à reprendre le contrôle de leur vie dans cette période d’incertitude. » Une de vos amies se passionne pour la chloroquine et a fait de Didier Raoult son héros ? Votre premier réflexe : railler sa crédulité. Ne tombez pas dans ce piège si vous tenez à votre amitié, cherchez plutôt à comprendre ce qui l’a menée sur ce chemin.

« Démonter les arguments ne suffit pas, il importe aussi de répondre au malaise qui a poussé votre proche vers ce type de discours, poursuit Olivier Klein. À travers le complotisme, nos contemporains cherchent des réponses à leurs questions, notamment les responsables de la situation angoissante qu’ils traversent. Mais ils trouvent aussi une nouvelle communauté. Dès lors, leur croyance organise leur vie sociale, donne du sens à leur existence et leur permet de se constituer une identité valorisante. » Une réalité qu’il faut toujours garder en ligne de mire lorsqu’on entame le dialogue.

On évite les mots qui font mal !

Olivier Klein déconseille ainsi fortement de traiter de complotiste un proche dès lors qu’on ne partage pas son analyse radicale de la pandémie. C’est le meilleur moyen de créer deux camps retranchés irréconciliables.

Ainsi, Arlette, 67 ans, en a fait l’amère expérience avec l’une de ses meilleures amies, Claudine. Depuis leur jeunesse hippie, elles se passionnent pour les plantes et la naturopathie. « Elle comme moi avons toujours remis en question l’abus de médicaments, préférant privilégier les médecines douces quand c’est possible. Mais, depuis une dizaine d’années, Claudine a été happée par le mouvement antivaccin. Elle passe son temps sur Facebook à relayer des infos approximatives voire mensongères. Et avec la pandémie de Covid-19, elle a complètement déraillé. Elle est partie dans un délire « Big Pharma » et 5 G qui me met terriblement mal à l’aise. C’est comme si elle avait perdu tout esprit critique – tout en se vantant par ailleurs d’être la seule à avoir un regard lucide sur la situation. C’est lorsqu’elle a relayé une vidéo d’Alexandra Henrion-Caude que ça a explosé entre nous. Cette ancienne généticienne de l’Inserm est une anti-avortement notoire. Sa vidéo a été publiée par une chaîne d’extrême droite. C’est tout ce contre quoi nous nous battons depuis toujours. Jusqu’ici, j’étais plus ou moins restée en retrait mais là, j’ai sorti tout ce que j’avais sur le cœur : qu’elle déconnait complètement, qu’elle s’était fait bouffer le cerveau par le complotisme, qu’elle avait trahi ses idéaux. Sa réaction a été de me poster : « Éteins ta télé et allume ton cerveau ! » Bon, je n’ai pas la télé… Après ça, silence radio. »

On préfère les terrains d’entente aux terrains minés

Plutôt que de pointer ce qui nous oppose, mieux vaut essayer de mettre en lumière ce qui nous rassemble, conseille Olivier Klein. « Pour discuter avec une personne qui adhère à une théorie complotiste, il faut d’abord créer un terrain d’entente, mettre en commun ce qui nous unit plutôt que ce qui nous différencie. C’est sur cette base que l’on pourra discuter. C’est pourquoi il est primordial de reconnaître la source même de l’adhésion : une interrogation légitime, un sentiment d’injustice, un mouvement de révolte. On est tous d’accord sur certains points, par exemple que la pandémie n’a pas toujours été bien gérée. Là-dessus on peut souvent s’entendre. »

C’est l’attitude pour laquelle a opté Arlette lorsqu’elle a voulu renouer le dialogue avec Claudine. « Je me suis dit qu’elle devait être en grande souffrance pour s’isoler à ce point. Elle s’est même fâchée avec son fils adoré. Si moi je ne cherche pas à l’aider, qui le fera ? D’ailleurs, j’ai bien conscience que c’est après le départ de son compagnon qu’elle s’est lancée dans sa croisade antivaccin. Du coup, j’ai tenté de recréer le lien à partir de ce sur quoi on s’accordait. On le sait, l’industrie pharmaceutique a des comptes à rendre vis-à-vis des femmes : Distilbène, Lévothyrox, traitement hormonal de substitution… Je crois que ma bonne volonté a touché quelque chose en elle. On a pu discuter un peu plus sereinement des vaccins : les risques auxquels ils sont associés, mais aussi l’espoir qu’ils représentent. Surtout, je lui ai proposé qu’on quitte les écrans et les réseaux sociaux pour aller randonner dans la montagne, comme on en avait l’habitude. Avec pour postulat : ne jamais évoquer la pandémie. On a passé un chouette week-end. On est revenues à nos fondamentaux : la nature, la marche, les plantes… Même si je sais que tout n’est pas réglé entre nous, c’est toujours ça de pris sur le complotisme. »

On réécrit l’histoire… ensemble

Lorsqu’un proche vous envoie une vidéo conspirationniste sur les réseaux sociaux, lui adresser d’emblée un lien la démontant assorti d’un message méprisant ne fonctionne pas. « Ne présentez pas les infos contradictoires comme une vérité mais demandez-lui de les lire attentivement et de faire savoir ce qu’il en pense, explique Olivier Klein. L’idée est de faire réfléchir votre interlocuteur en lui proposant un récit différent. S’il les disqualifie dans leur ensemble (par exemple, le média est financé par tel ou tel milliardaire), je suggérerais de discuter d’un point particulier du  »démontage » et de chercher d’autres sources, plus dignes de confiance, qui le corroborent.

Jacques, 72 ans, cadre à la retraite, s’efforce ainsi de ramener à la raison son ami François « On se connaît depuis l’enfance. On a eu des parcours différents : moi j’ai vécu à Paris et lui est resté en Charentes. Ce qui nous unit, c’est le cyclisme : on a sillonné la région sur nos vélos. À la faveur de l’épidémie de Covid, et particulièrement lorsque le gouvernement a parlé de ne confiner que les personnes âgées, François a développé une obsession. S’informant uniquement via des sites internet partisans, il parle en boucle de la mauvaise gestion de la pandémie. Toujours dans une grande confusion : un jour, il se plaint que le gouvernement nous confine (« C’est pour restreindre nos libertés ! »), un autre qu’il ne nous confine pas (« C’est pour protéger les entreprises du Medef ! ») ». Surtout, il fait preuve d’une forte agressivité dès lors qu’on ne partage pas sa vision : le Covid est une grippette, porter un masque ne sert à rien… Mais je continue de m’efforcer de discuter avec lui. Sans condescendance. J’ai regardé Hold-up : retour sur un chaos pour pouvoir en débattre point par point avec lui. En fait, dans nos discussions, je ne cherche pas tant à démonter les thèses complotistes qui l’attirent qu’à lui demander de m’en prouver l’existence. Et parfois, devant l’absurdité de ses propres arguments, je sens qu’il les remet en question. C’est ce qui est arrivé au sujet des prétendues nanoparticules qui seraient présentes dans les vaccins et reliées à la 5G : il a fini par éclater de rire devant sa propre crédulité. Ça a été pour nous un grand moment d’amitié ! »

Pour un Jacques et François qui parviennent à communiquer, combien échouent ? « Si la personne en question est très impliquée dans des groupes complotistes et qu’elle a développé une identité forte par rapport à ces questions, il y a peu d’espoir qu’un échange s’avère fructueux, tempère Olivier Klein. Dans ce cas, il est préférable de… changer de sujet  ! » Voire d’amis ?

* Auteur du blog nous-et-les-autres.blogspot.com.

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