Apple vs Epic Games : Ce que nous révèlent les derniers documents du procès
Pas d’intervention à la Phoenix Wright: Ace Attorney, mais la première semaine du procès opposant Apple à Epic Games a tout de même apporté son lot d’informations. Voici ce que nous révèlent les éléments produits à ce jour.
Les premiers documents du procès avaient dévoilé des skins issus de grosses licences pouvant intégrer Fortnite dans l’avenir. Mais les informations les plus intéressantes de cette bataille juridique s’avèrent ne pas être de simples leaks. En effet, la révélation des chiffres d’Epic Games en 2018 et 2019 et la publication des échanges entre Epic Games et Sony à propos du cross-platform sont de loin les éléments les plus féconds de cette première semaine judiciaire. Découvrons ensemble pourquoi ces documents sont déterminants pour comprendre ce qui se joue dans l’industrie du jeu-vidéo en ce moment.
Enjeux et « coûts » des jeux gratuits pour l’Epic Games Store
En quelques années, Epic Games et son Epic Games Store (EGS) se sont imposés comme des acteurs majeurs du monde du gaming. Comme on peut le constater dans le document ci-dessous, une large majorité des revenus d’Epic Games proviennent de son titre phare Fortnite, malgré son bannissement de l’App Store. En effet, en 2018, le battle royal d’Epic Games générait 5,477M$ sur les 5,628M$ qu’engrangeait le studio, soit 97% des revenus totaux de 2018. Idem en 2019 où Fortnite représentait 3,709M$ sur les 4,221M$ gagnés par Epic Games, soit 88% des revenus totaux du studio.
En reposant sur un tel modèle économique, il devient primordial pour Epic Games de développer son propre store (Epic Games Store) afin de moins dépendre de Fortnite. Afin que l’EGS rencontre un vif succès auprès des joueurs, alors que le marché est ultra concurrentiel, Epic Games mise sur la cession de nombreux jeux gratuits (du moins pour les joueurs). Et à en croire le graphique dévoilé plus bas, cette stratégie s’avère plus efficace que des sorties exclusives ou des soldes pour engranger de nouveaux utilisateurs.
Avec ce système de gratuité, Epic Games espère attirer de très nombreux joueurs afin de les convertir en utilisateurs payants à l’avenir. Néanmoins, donner gratuitement aux joueurs Subnautica ou les Batman Arkham n’est pas sans conséquences sur l’industrie du jeu-vidéo. Grâce au procès d’Epic Games vs Apple, on sait désormais combien à payé Epic pour ces jeux « gratuits » et si le deal est intéressant pour les développeurs et éditeurs. Par exemple, pour offrir gratuitement Subnautica aux utilisateurs de l’EGS, le studio a déboursé 1,400,000$. Cette opération a permis à Epic d’obtenir 804,052 nouveaux utilisateurs.
Vous avez toujours rêvé savoir combien paye une plateforme à un éditeur pour offrir un jeu vidéo à ses utilisateurs ? Merci au procès Epic vs Apple qui nous révèle les chiffres de l’Epic Games Store en 2019, avec le nombre de téléchargements réaliséshttps://t.co/FBe9dUjBXD
Avec toutes ces informations en notre possession, il est temps de se demander en quoi ce type de pratique peut nuire ou avantager les développeurs, les éditeurs et les joueurs ? Pour les uns, la gratuité des jeux pose un réel problème car les éditeurs/développeurs ne touchent qu’une infime contrepartie financière en comparaison du nombre de copies de leur jeu qui seront écoulées. Si on reprend l’exemple de Subnautica : 1,400,000$ divisés par 804,052 copies écoulées, on obtient un prix unitaire de 1,74$ ce qui peut sembler dérisoire.
Toutefois, il est important de contrebalancer cette analyse. À l’instar de Super Meat Boy ou Limbo, beaucoup de jeux proposés gratuitement dans l’Epic Games Store sont sortis depuis plusieurs années. Et combien d’entre nous ont déjà téléchargé un jeu gratuit sur l’Epic Games Store en se disant simplement « j’aurais peut-être envie d’y jouer un jour » mais n’aurait jamais acheté le jeu en question ? Offrir un jeu peut donc avoir un réel intérêt pour ses créateurs, à savoir :
- Obtenir un complément de revenus longtemps après la sortie du jeu
- Acquérir de la notoriété auprès de nouveaux joueurs
- Mettre en place un premier contact avec Epic Games
Ainsi, les premiers documents issus du procès entre Epic Games et Apple nous permettent de mieux saisir les enjeux que représentent les jeux gratuits pour l’Epic Games Store, mais aussi pour l’ensemble du monde du gaming. Mais d’autres documents s’avèrent également très instructifs.
Des mails révèlent que Playstation est vivement opposé au cross-platform ?
Le fait que Sony ait tenté de retarder la mise en place du multiplateforme sur ses consoles n’est un secret pour personne. Toutefois, les échanges de mails entre Sony et Epic Games, qui ont récemment fuité lors du procès Epic vs Apple, montrent à quel point la firme japonaise était catégorique dans son refus. Dans un mail publié par le journal The Verge on découvre qu’Epic souhaitait instaurer le cross-play pour Fortnite sur PS4, mais s’est violemment heurté à Sony.
Dans ce message de Joe Kreiner (vice président du business development chez Epic Games), le cadre du studio explique qu’Epic va faire « tout son possible pour que Sony ressemble à des héros » lorsqu’ils annonceront la possibilité de jouer à Fortnite en cross-play. Joe Kreiner fait également diverses propositions alléchantes pour convaincre Playstation, notamment :
- Extension de la licence Unreal Engine 4 accordée à Sony
- Proposition de jeu développé en exclusivité pour le PS VR 2
- Offre d’un skin unique pour les joueurs qui utilisent le Playstation Plus
En dépit des efforts d’Epic Games, Playstation aurait refusé cette offre. Gio Corsi, l’ancien directeur sénior des relations chez Playstation, aurait répondu « Le jeu cross-platform n’est pas un carton assuré, peu importe l’envergure du titre. Comme vous le savez, de nombreuses sociétés explorent actuellement cette idée et aucune d’entre elles n’est en mesure d’expliquer en quoi le jeu cross-console améliore les affaires de Playstation. » Ce n’est qu’en août 2019 que Sony va changer de point de vue sur le cross-play. Et pour cause, un document confidentiel dévoile que la société obligerait les éditeurs à verser une redevance chaque fois que les joueurs Playstation contribuent pour plus d’un certain pourcentage au résultat net d’un jeu multiplateforme. Cela pour « compenser la réduction des revenus » de Sony permettant le cross-play.
Au tribunal, Tim Sweeney, le CEO d’Epic Games a bel et bien confirmé qu’à ce jour seul Sony réclame ce type de compensation pour le multiplateforme. Ainsi, les documents attestent qu’Epic Games a bien tenté de faire bouger les lignes du cross-platform, mais que le chemin reste encore long pour que tous les acteurs y adhèrent pleinement. Quoi qu’il en soit, Apple et Epic Games se livrent un incroyable procès et il ne fait aucun doute que les jours à venir continueront d’apporter de quoi mieux saisir l’industrie du gaming.
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