Agnès B. : “J’avais 12 ans, mon oncle est tombé fou amoureux de moi.”
« C’était l’oncle chéri de la famille, un homme avec une aura extraordinaire. Il avait 45 ans. Il est tombé fou amoureux de moi, qui en avais 12. Il m’a fait lire « Un amour de Swann« , m’habillait d’une autre manière. Je me souviens qu’il m’a emmenée m’acheter trois robes chez Marie Martine. Ma mère n’a rien dit, elle était contente que je ne porte plus celles de ma sœur aînée.
Je me sentais une proie
J’ai mis longtemps à me rendre compte que je n’avais pas été du tout protégée par ma mère. Elle était ambiguë, flattée parce qu’on lui disait que je lui ressemblais. J’adorais mon père, qui était loin d’imaginer une histoire pareille. Un inceste. Cet homme m’a envahie de son amour jusqu’à ce que je me fiance, à 16 ans, avec Christian Bourgois. J’ai voulu me marier, j’étais et je suis toujours chrétienne. Et je me sentais une proie.
Il a été fou de rage quand il a appris mes fiançailles, il m’a fait une scène épouvantable, je me revois courir dans l’escalier de service. Ma mère était dans la cuisine, elle touillait une sauce. J’ai crié: “Vous ne vous rendez pas compte, depuis que j’ai 12 ans il est après moi, et vous n’avez rien vu, rien entendu.” Elle a dit: “Oh, mais c’est abominable, épouvantable”, tout en continuant de touiller, et elle ne m’en a plus jamais parlé. A 18 ans, j’ai lu « Lolita » de Nabokov, et ça m’a bouleversée. Je me suis sentie moins seule. Quand on est petite et que la personne qu’on admire et respecte pratique des attouchements, un gouffre s’ouvre, on n’a plus jamais confiance.
Cela a marqué ma vie et changé mes relations avec les hommes pour toujours
Cela a marqué ma vie et changé mes relations avec les hommes pour toujours: je n’ai jamais eu d’amant de plus de 39 ans. J’ai 75 ans. Je ne supporte pas les hommes mûrs, je ne peux pas imaginer la moindre relation physique avec eux. C’est fou, cela a ruiné ma vie. Il y a douze ans, sur un bloc, j’ai écrit en deux jours l’histoire de mon film*. J’ai eu beaucoup de mal à trouver des financements, l’inceste est un sujet tabou. J’ai eu l’impression que les hommes se sentant visés sont solidaires entre eux. Mon film est un manifeste, le tourner a été un exorcisme. Je suis pour que l’on recule la prescription. Chaque cas est particulier mais, qu’on le fasse ou non, on doit pouvoir porter plainte même longtemps après. On ne protège pas assez les jeunes filles. C’est pour cela que mon film se termine par : “Je te protégerai toujours.” »
Signez le Manifeste pour l’allongement du délai de prescription pour les victimes mineures de viol : ici
(*) « Je m’appelle Hmmm... » d’Agnès Troublé, avec Lou-Lélia Demerliac, Sylvie Testud, Jacques Bonnaffé (DVD Potemkine).
Source: Lire L’Article Complet