Affaire Dupont de Ligonnès : "La plupart des gens qui parlent craignent des représailles"
Interview.- Dix ans après la découverte des corps de sa femme et de ses quatre enfants, Xavier Dupont de Ligonnès demeure introuvable. Auteure de la série Dupont de Ligonnès, et s’il était encore en vie, Isabelle Quintard nous éclaire sur la psychologie de ce père de famille devenu tueur en série.
Madame Figaro.- Le 21 avril 2011, les corps de ses 4 enfants et de sa femme étaient retrouvés, sous la terrasse de leur maison à Nantes. Dix ans après, Xavier Dupont de Ligonnès demeure introuvable. Comment avez-vous construit le récit de cette histoire qui passionne toujours le public ?
Isabelle Quintard. – La série, qui se compose de trois épisodes, n’est pas construite comme un récit chronologique classique, mais comme une enquête de police. Notre but était vraiment de placer le public à la place de l’enquêteur. La série s’ouvre donc sur la scène de crime puis ensuite on présente les deux hypothèses sur lesquelles travaillent les enquêteurs, à savoir le suicide et la cavale. La première se justifie par le fait que Xavier Dupont de Ligonnès était un homme dépressif et financièrement au bord du gouffre. D’autres éléments penchent toutefois vers la cavale : son côté caméléon, les bornages téléphoniques montrant ses déplacements dans le sud de la France, l’éventuelle complicité d’un ami. Il reste beaucoup de zones d’ombre dans cette histoire.
Pourquoi aucun des proches de Xavier ou d’Agnès n’apparaît dans votre documentaire ?
Durant le travail de recherches qui a duré six mois, nous avons contacté près 250 personnes, plus ou moins proches de la famille, des collègues, des amis. Un tiers m’a répondu positivement et ont accepté de parler en «off». En effet, la plupart des gens pense que Xavier est toujours en vie et ils craignent des représailles. Quant à la famille, la mère de Xavier et Christine, l’une de ses sœurs, elles n’ont pas souhaité parler, si ce n’est par l’intermédiaire de leur avocat. Elles souhaitent oublier cette affaire et se réconcilier avec l’autre partie de la famille.
Agnès, l’épouse de Xavier Dupont de Ligonnès et leurs enfants Thomas, Arthur, Anne et Benoît
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Comment décririez-vous Xavier de Ligonnès ?
Vraiment complexe. En privé, ce n’est pas du tout quelqu’un de chaleureux, même s’il a beaucoup d’amis. Les amis de ses enfants me disaient que quand ils venaient chez les Ligonnès, Xavier ne disait pas un mot et s’enfermait dans la cave, qui était son bureau, son antre. L’autre trait de caractère très fort, c’est son côté narcissique et orgueilleux, qui ne se remet jamais en question. Il n’accepte pas les échecs, il ne les assume pas. C’est aussi un homme psychorigide, obsédé par l’argent, qui veut réussir, faire fortune. Il est passionné par les États-Unis et s’imagine en Bill Gates. Malheureusement, c’est un mauvais entrepreneur qui ne fait pas les choses avec discernement. Il y a chez lui une sorte de mégalomanie, un complexe de supériorité. Il veut dominer tout le monde.
Dans le documentaire, vous montrez un homme qui veut tout contrôler. Un des protagonistes dit de Xavier : «Lui et les siens, c’est la même chose». C’est-à-dire ?
Dans son esprit, il a donné vie à ses enfants, donc il a le droit de vie ou de mort sur eux. Pareil pour Agnès. Une des explications possibles de ce quintuple meurtre, c’est qu’il pense leur offrir quelque chose de mieux que la réalité. Il pense qu’ils vont être expulsés, qu’ils n’auront plus d’argent, qu’ils ne pourront plus maintenir leur niveau de vie. À aucun moment, il n’imagine que sa femme et ses enfants peuvent se débrouiller sans lui. Ce qu’il a de mieux à leur offrir, c’est la mort, comme ça ils ne souffriront pas, ils ne vivront pas cette déchéance sociale qui se profile.
Sa femme, Agnès, était-elle sous son emprise ?
Oui, je le crois vraiment. L’exemple le plus frappant, c’est lorsqu’il apprend qu’Agnès le trompe avec son meilleur ami, Michel Rétif. Xavier écrit alors une lettre à ce dernier, en lui demandant de décrire leurs rapports sexuels. Il va même jusqu’à leur proposer une relation à trois. C’est quand même une réaction tout à fait atypique. On sent qu’il veut récupérer le contrôle. En fait, Agnès a calé sa vie sur lui, elle vivait un peu par procuration. Au départ, elle est très amoureuse, elle croit en la réussite de son mari, alors elle l’autorise à se servir de son héritage. Mais au fil des années, elle se rend compte que la réussite tarde à venir. À un moment, il y a une rupture et ils se séparent pendant quelques temps. À la fin, elle réalise que son mari est un looser qui a dilapidé tout son héritage. Agnès commence à avoir vraiment peur. Elle confie à des proches qu’elle est très inquiète pour leur situation financière, mais elle n’a jamais dit qu’elle avait peur de son mari.
La religion occupe une place importante dans la famille de Ligonnès, en particulier pour Xavier. Selon sa mère, il devait être «l’élu» qui survivrait à l’Apocalypse…
Ce qui est paradoxal, c’est qu’il affirme ne pas croire en Dieu, alors qu’il n’arrête pas de parler de religion. Il n’arrête pas d’écrire des messages sur le forum Cité catholique. Il envoie de nombreuses lettres à sa sœur Véronique, l’interrogeant sur les notions du bien et du mal. Ce pouvoir de vie ou de mort qu’il pense avoir s’est sûrement forgé dans son éducation, qui est tout de même très particulière. Tout le monde n’est pas élevé par une mère qui entend des voix, qui est à la tête d’un groupe de prière, qui croit en l’Apocalypse et qui persuade son fils qu’il est «l’élu». Mais à 35 ans, Xavier fait face à une vraie désillusion. Comme il le raconte dans plusieurs lettres, il découvre que l’Apocalypse annoncée par sa mère n’aura pas lieu et qu’il ne sera pas «l’élu», comme elle le lui avait affirmé. Agnès aussi était croyante. Elle faisait partie du groupe de prière (l’église de Philadelphie, NDLR) créée par la mère de Xavier.
Dans l’épisode sur la cavale, vous montrez la façon dont il nargue la police. On a l’impression que c’est sa façon à lui de démontrer sa supériorité…
On pourrait dire que c’est son fait de gloire. Il sait que tous les policiers sont à sa recherche et il leur dit «vous ne saurez jamais ce qui m’est arrivé». Il n’a pas réussi sa vie mais il a au moins réussi sa disparition.
Xavier Dupont de Ligonnès
Cela fait dix ans que Xavier de Ligonnès a disparu. Selon vous, quelles pistes faudrait-il explorer davantage ?
Il y a celles des monastères où il aurait pu être accueilli, comme on le raconte dans le troisième épisode. Or, les enquêteurs n’ont pas les moyens de fouiller tous les monastères. Et pour que les policiers se penchent à nouveau dessus, il faudrait un nouveau signalement, un nouvel élément. Peut-être que la diffusion du documentaire amènera quelque chose, je l’espère. Il y a aussi la possibilité d’une fuite au Texas. Il y a tous ces éléments troublants, ces indices laissés par Xavier dont on parle dans le film. Notamment le message envoyé à son ami Michel Rétif, avec lequel il a fait un long voyage aux États-Unis. Il lui dit «on se retrouvera là ou tu sais».
Vous parlez de cette affaire avec beaucoup de passion, est-ce que vous vous sentez encore habitée par cette histoire ?
J’ai encore envie d’en savoir plus, d’enquêter et de découvrir, peut-être un jour, la vérité. On a peu d’affaires comme celle-ci en France, non résolues. Plus les années passent et plus le mystère demeure. C’est troublant de se dire que c’est un père de famille ordinaire, chef d’entreprise, qui d’un coup se transforme en tueur en série. Ce genre d’histoire nous interroge quand même sur la nature humaine. On se dit tous qu’on peut reconnaître le visage du mal, et en fait non. Aucun des proches de Xavier n’a détecté quoi que ce soit avant son passage à l’acte.
(1) Une série documentaire en trois épisodes à voir sur BFM lundi 19 avril à 20h50 puis en replay sur www.bfmtv.com.
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