Accéder à une fin de vie digne, un enjeu éthique et politique qui effraie encore en France

Ce jeudi 8 avril, l’Assemblée nationale est censée votée une proposition de loi d’Olivier Falorni (Libertés et Territoires) « garantissant » le droit à « une fin de vie libre et choisie », et promettant « une mort rapide et sans douleur » à travers une « assistance médicalisée. »

Elle a été adoptée en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 1er avril dernier. Une première pour un texte sur l’euthanasie. 

Si cette loi sur la fin de vie est défendue par des associations militant pour la fin de vie, dont l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), et qu’elle trouve des soutiens dans tous les groupes parlementaires, fait rare, elle divise aussi : plus de 3000 amendements ont été déposés, et des députés LR tentent d’obstruer le vote. De quoi prévoir un nouveau report parlementaire.

De son côté, le gouvernement rechignerait à ce que cette loi soit votée dans un contexte sanitaire tendu, selon Le Figaro.

Pourtant, en 2017, Emmanuel Macron avait affirmé vouloir « choisir [s]a fin de vie ». « Il veut choisir pour lui-même », insiste Jean-Louis Touraine, député LREM du Rhône, porteur d’une autre proposition de loi similaire, et auteur de Donner la vie, choisir sa mort. Pour une bioéthique de liberté*. « Moi je pense que, comme tout bon président, il veut accorder les même droits que les siens à ses concitoyens. »

Pendant ce temps, les familles de personnes gravement malades, mais inéligibles à la loi actuelle, dite loi Leonetti, restent seules face à leur souffrance, et les médecins, poussés à des pratiques illégales.

La loi Claeys-Léonetti, un entre-deux qualifié d' »hypocrite » 

Promulguée en 2006, la loi Leonetti, du nom du député Jean Leonetti, autorise le « laisser-mourir », avec une « sédation profonde et continue jusqu’au décès ». Elle a aussi mis en place la possibilité, pour les adultes, de formuler des directives anticipées, c’est-à-dire, déclarer officiellement leurs dernières volontés sur les soins en fin de vie. 

Les militants pour le droit à une fin de vie digne reprochent surtout à cette loi cette technique, dont ils dénoncent l’hypocrisie. 

« Cette méthode consiste à interrompre tout traitement, mais aussi l’alimentation et l’hydratation », nous explique Jean-Louis Touraine, rapporteur de la mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique. « On crée en fait une insuffisance rénale pour que le patient sédaté décède au bout de deux semaines, parfois trois, selon la résistance de son corps. »

Pour l’élu, il serait « plus éthique de faire mourir ces gens en quelques minutes, à l’aide d’un produit létal, qui les endort et qui entraîne l’arrêt cardio-respiratoire ». 

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a également prôné, en conclusion d’un rapport rendu en avril 2018, la légalisation de la « sédation profonde explicitement létale » pour les personnes en fin de vie qui la demanderaient.

« Notre fils est mort dans des conditions abominables »

Huit ans de coma végétatif sur vingt-huit années de vie. Hervé Pierra a 20 ans en 1998 lorsqu’il est hospitalisé, dans ce coma végétatif irréversible, ses parents à son chevet. « Il faudra prendre vos dispositions, votre enfant va rester dans cet état-là », leur lâche-t-on, au bout d’un couloir.

De l’autre côté du téléphone, Danièle Pierra se souvient de tout : son fils nourri, « gavé », dit-elle, car il ne pouvait s’alimenter qu’à l’aide d’une sonde gastrique ; le bavoir attaché à son cou pour récolter ses glaires puisqu’il n’arrivait plus à déglutir ; les expectorations si puissantes qu’elle retrouvait des traces sur le mur face à son lit ; et ce pouce qui n’exerçait aucune pression quand elle lui parlait, et qui aurait été la preuve d’un « embryon de conscience ». Ne répondant ni aux sollicitations, ni aux stimulations, Hervé, son enfant, transitait de la veille au sommeil.

Une situation typique des restrictions de l’accès à fin de vie digne, soulevées tous les ans par le monde associatif le 2 novembre, date de la Journée mondiale pour le droit à mourir dans la dignité.

Les époux Pierra, désormais retraités, se rappellent aussi de ces longues réunions entre médecins, qui ont débattu du sort de leur garçon durant seize mois, jusqu’au 6 novembre 2006, lorsque l’équipe médicale a retiré sa sonde d’alimentation.

Danièle, Paul, et leurs deux filles, ont assisté à l’agonie d’Hervé durant six long jours. « Ce 12 novembre, lorsqu’il est mort dans des conditions abominables, avec des crises de convulsions traumatisantes, nous nous sommes jurés, tous les quatre enlacés autour de lui, de nous battre pour qu’un tel drame n’arrive plus, pour aucune famille », rembobine le couple auprès de Marie Claire.

Nous nous sommes jurés, tous les quatre enlacés autour de lui, de nous battre pour qu’un tel drame n’arrive plus, pour aucune famille.

Pourtant, depuis la disparition de leur fils, d’autres familles ont dû faire face à des situations aussi désespérantes, et d’autres patients en fie de vie ont donné malgré eux leur nom à des « affaires » devenues aussi médiatiques que politiques.

Anne Bert, Chantal Sébire, Vincent Lambert, et plus récemment Alain Cocq. Atteint d’une maladie dégénérative et de souffrances réfractaires aux traitements depuis trois décennies, cet homme de 57 ans a voulu filmer son agonie et la diffuser en direct sur Facebook, qui a bloqué son contenu. Après avoir interrompu ses traitements, son alimentation et son hydratation, le 4 septembre 2020, Alain Cocq a accepté quatre jours plus tard de les reprendre, et a finalement consenti à des soins palliatifs.

Par ce geste fort et politique, ce quinquagénaire militant de l’ADMD, favorable à l’euthanasie mais aussi au suicide assisté, entendait alerter les internautes sur les ambiguïtés de la loi Claeys-Léonetti, adoptée en 2016. Il souhaitait notamment dénoncer le fait qu’elle n’autorise la sédation qu’aux personnes dont le pronostic vital est engagé « à court terme ». Ce qui n’est pas son cas.

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Une épreuve pour les proches et les soignants

La sédation, telle que permise à ce jour, est « une sorte de mort du corps avant la mort », insiste Jean-Louis Touraine. « Déshydraté, le corps souffre », dit l’homme politique par ailleurs professeur de médecine en transplantation et immunologie. « Effrayant pour les proches… », soupire-t-il. « Abominable », renchérit de son côté Danièle Pierra, qui a vu le corps de son fils se dégrader.

« Imaginez que vous êtes Rachel Lambert [épouse de Vincent Lambert, ndr]. Que reste-t-il de l’amour de votre vie après neuf jours de sédation ? », interroge Philippe Lohéac, délégué général de l’ADMD, qui s’empresse d’ajouter que « certaines personnes diront que les neufs derniers jours de Vincent Lambert furent le temps nécessaire des adieux ». « Mais on peut dire au-revoir avant, puis administrer un produit létal, qui ferait partir le patient en paix et en dix minutes », plaide-t-il.

Dans le film Blackbird** par exemple, Susan Sarandon joue Lily, grand-mère atteinte d’une maladie dégénérative incurable qui décide de réunir son mari, leurs enfants et petits-enfants le temps d’un week-end, avant d’être euthanasiée. C’est aussi pour ce type d’adieux apaisés que militent Philippe Lohéac et Jean-Louis Touraine, qui nous ont tous deux cité ce drame américain sorti en 2020.

Pour les soignants aussi, assister à l’agonie de leur patient est difficile à supporter.

« Pour les soignants aussi, assister à l’agonie de leur patient est difficile à supporter », pointe par ailleurs le député. La mère d’Hervé témoigne en ce sens : « Il m’est arrivé de prendre dans mes bras une jeune élève infirmière, qui était là en stage, et qui avait les yeux embués de larmes devant le lit de notre fils ».

Pour la femme de 69 ans, cette loi est une euthanasie qui ne dit pas son nom. « Mais ce n’est pas une euthanasie pratiquée en quelques heures, plutôt une sorte de laisser-mourir », s’indigne-t-elle, avant de souligner la « totale hypocrisie » d’une législation qui permet une mort lente mais interdit une piqûre qui abrégerait la souffrance du patient et éviterait un traumatisme à ses proches.

Une autre « hypocrisie » est soulevée par Jean-Louis Touraine. Il rappelle que chaque année en France, de nombreux patients font bel et bien l’objet d’un traitement thérapeutique d’aide active à mourir. « En catimini, et puisque c’est illégal, sans l’avis de la personne concernée pour la majorité des cas. Une équipe médicale dit alors ‘C’est fini’, par compassion ou pour que cette personne libère un lit », résume-t-il.

Puis il s’insurge : « Dans le même pays où l’on interdit aux patients en fin de vie et en phase terminale qui le souhaitent d’être aidés à mourir, on injecte un produit létal à d’autres qui n’ont rien demandé. C’est là, pour moi, la suprême des incohérences et des hypocrisies. »

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Ne plus voir la mort d’un.e patient.e comme un échec

Si la loi Leonetti cumule tant d’absurdités, qui s’opposerait alors à sa modification ? Une partie des soignants, selon Jean-Louis Touraine et l’ADMD. Et cela ne changera pas « tant que dans les facs de médecine, on fera croire aux futurs professionnels que la mort est l’échec du médecin, estime le délégué général de l’association présidée par le socialiste et adjoint à la mairie de Paris Jean-Luc Romero-Michel. C’est cette culpabilité-là qui les pousse à maintenir en vie, malgré tout, le patient à l’état irréversible. »

« Spontanément, les médecins continuent de traiter des moribonds pour y gagner quelques heures de survie. Ce n’est pas de leur faute, cela traduit une carence de leur formation », estime également Jean-Louis Touraine. 

Ce dernier prend pour exemple ces chimiothérapies pratiquées sur des cancéreux dans leurs dix derniers jours de vie. Le professeur de médecine a « parfois [été] obligé de se battre pour faire respecter à certains collègues la loi sur l’interdiction de l’acharnement thérapeutique ».

« Certaines familles de patients en phase terminale d’un cancer ou d’autres atteints de la maladie de Charcot se sont vus objecter des choses hallucinantes comme ‘Il se nourrit donc c’est la preuve qu’il vit’, citent à leur tour les Pierra, en contact régulier avec d’autres familles ayant vécu la même épreuve qu’eux.

Ils ont eu peur d’être accusés d’euthanasie et ont essayé de mettre des garde-fous partout autour d’eux.

Danièle Pierra a l’impression que les médecins de son fils ont eux aussi refusé cet « échec ». « Tout en sachant que la cause était perdue, ils ont été le chercher pour le ramener dans cette sorte de non-vie », déplore-t-elle.

S’ajoute à cela, pour le cas d’Hervé Pierra, la frilosité du corps médical face à l’un des premiers patients dont la situation entrait dans le cadre de la loi Leonetti depuis son vote. « Je crois qu’ils ont eu peur d’être accusés d’euthanasie s’ils appliquaient le protocole Leonetti. Jusqu’au bout, cette crainte a pu transparaître dans leurs différentes démarches, leurs écrits, leur manière de s’adresser aux différents Conseils de l’Ordre régionaux… Ils ont essayé de mettre des garde-fous partout autour d’eux », analyse aujourd’hui la mère, sans aucune once de ressentiment dans la voix.

Des opposants aussi du côté des « hiérarchies religieuses »

Outre certains médecins, s’oppose aussi à cette loi la « hiérarchie religieuse », selon l’expression de Jean-Louis Touraine, qui tient à ne pas pointer du doigt les fidèles. 

Un sondage mené par l’Ifop, paru en janvier 2018 dans La Croix, relève que 72% des catholiques pratiquants se déclarent favorables à l’évolution de la loi sur la fin de vie, contre 96% de Français, selon, cette fois, le dernier sondage Ipsos, publié en 2019. « Et pourtant, si vous interrogez les archevêques, très peu se prononceront en ce sens, regrette l’élu. Parce que la doctrine officielle de l’Église catholique, comme de certaines autres religions, interdit fermement l’euthanasie. »

L’ADMD parle, elle, de « pression religieuse ». Et si son délégué général comprend qu’Emmanuel Macron consulte les représentants des religions monothéistes sur les dossiers relatifs à la bioéthique, il condamne ceux qui tentent d’imposer leur dogme.

La famille Pierra a fait face à ces détracteurs religieux. Paul Pierra, à l’époque capitaine à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, a su sauver in extremis son fils, découvert pendu. Mais son cœur ayant été trop privé d’oxygène, le jeune homme a dû être plongé dans un coma végétatif irréversible. « L’intelligentsia des catholiques intégristes s’en est fait les gorges chaudes, se souvient douloureusement son épouse. Un enfant qui tente de se suicider, déjà, vous êtes discrédités d’emblée en tant que parents. »

Danièle Pierra cite, parmi ceux « capables de tout », Alliance-VITA, une association du mouvement qui se qualifie de « pro-vie », et qui milite principalement contre l’avortement et l’euthanasie, ainsi que « Monsieur Remontada ». Elle a surnommé ainsi Maître Jean Paillot, l’avocat des parents de Vincent Lambert, qui avait fait polémique en mai 2019, en euphorisant sur l’antenne de BFM TV « C’est la remontada ! », alors qu’il venait d’apprendre la suspension de l’arrêt des soins sur le fils de ses clients.

Des pays voisins favorables à l’euthanasie

Face à la réticence de certains médecins et l’opposition des autorités religieuses, la France avance à pas prudents. Au point qu’elle est désormais en retard sur beaucoup d’autres pays d’Europe occidentale, des Pays-Bas à l’Espagne.

« Cette grande prudence a son avantage : on peut observer ce qui se fait ailleurs, savoir alors exactement de quelle manière encadrer le projet pour qu’il n’y aie pas de dérapages, quelle commission créer… », énumère Jean-Louis Touraine. Qui nuance aussitôt : « Mais c’est vrai que pendant ce temps-là, nombreux en France sont morts dans des conditions pitoyables. »

D’autres patients éprouvés ont pu partir à l’étranger, à l’instar de l’écrivaine française Anne Bert, atteinte de la maladie de Charcot, qui a reçu une injection létale dans un hôpital belge le 2 octobre 2017. « Mais quand vous êtes si malade, en fin de vie, vous n’êtes souvent plus suffisamment mobile pour vous y rendre, pointe le député LREM. Et puis, mourir à l’étranger, ajoute-t-il, ce n’est pas un cadeau que l’on fait à ses proches qui doivent rapatrier le corps. »

Les Belges par exemple, qui utilisent le terme d' »euthanasie » plus facilement que les Français, a remarqué Jean-Louis Touraine. « Pour eux, ‘euthanasie’ signifie simplement ‘mort douce’, mais ici, en France, le mot a une connotation négative. Il est souvent employé pour parler d’une mort induite pour une personne qui ne l’aurait pas demandée. Le terme est juste, mais j’emploie plutôt l’expression ‘aide active médicalisée à mourir’, pour que l’on comprenne bien que je milite pour que le patient choisisse », développe-t-il.

Les Pierra auraient-ils pu faire le voyage vers la Belgique ou la Suisse avec Hervé ? Impossible, car il était inconscient. Mais le directeur de l’hôpital lui-même leur avait glissé que « si c’était [s]on fils, [il] partirait à l’étranger ».

Nous avons eu tellement de déceptions, à chaque gouvernement, que je ne veux pas avoir de fausses joies.

« Nous avons eu tellement de déceptions, à chaque gouvernement, que je ne veux pas avoir de fausses joies », explique Danièle Pierra. Elle analyse : « Il faut quand même un recul et un certain apaisement pour aborder cette question. Au vu de la situation actuelle de la France, en proie à ce virus et à ses conséquences, je ne crois pas que le débat sur la fin de vie fasse partie des priorités du Président. »

* Donner la vie, choisir sa mort. Pour une bioéthique de liberté, éditions Érès, 2019

**Blackbird, de Roger Michell, avec Susan Sarandon et Kate Winslet

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