Abolition de la police des mœurs en Iran : "Les manifestantes ne sont pas dupes, c'est juste une ruse du régime"

C’est cette police des mœurs, qui, pour quelques cheveux qui dépassaient de son voile, embarquait à Téhéran Mahsa Amini le 13 septembre 2022. Cette Kurde iranienne de 22 ans sera déclarée morte trois jours plus tard, après être tombée dans le coma au commissariat quelques heures après de son interpellation.

Voilà presque trois mois que son nom est devenu le symbole d’une jeunesse qui proteste dans la rue, retire son hijab, parfois le brûle… défie la répression, au péril de sa vie. Trois mois que cette unité, qui a pour rôle de faire vérifier que les règles vestimentaires strictes pour les femmes et d’autres lois islamiques soient respectées dans l’espace public, est vigoureusement dénoncée par les manifestant·es.

Dimanche 4 décembre 2022, l’Isna, l’agence de presse semi-officielle « des étudiants iraniens », a indiqué que le procureur général d’Iran Mohammad Jafar Montazeri a annoncé la veille au soir lors d’une discussion organisée dans la ville sainte de Qom, au centre du pays, que cette police des mœurs, la « Gasht-e Ershad », « a été abolie par ceux qui l’ont créée ».

Un geste du régime envers les manifestant·es ? Éclairage d’Azadeh Kian, sociologue franco-iranienne, professeure de sociologie et directrice du Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes de l’Université Paris-Diderot, aussi auteure de L’Iran, un mouvement sans révolution ? et Femmes et pouvoir en islam (Michalon). 

Une annonce jamais confirmée

Marie Claire : L’information a rapidement fait le tour du monde. Mais que sait-on précisément de cette annonce ?

Azadeh Kian : L’annonce de l’abolition de la police des mœurs provient du procureur général d’Iran, et non du ministre de l’Intérieur. Or, c’est lui qui est responsable de cette brigade. Il n’a pas encore confirmé cette information. Rien n’a été explicité et n’est, pour l’heure, clair.

Cette annonce ne signifie pas que la loi sur le port du voile obligatoire va être supprimée.

Dans cette même déclaration, le procureur a affirmé que le pouvoir judiciaire allait continuer de veiller au respect du port du voile, obligatoire en Iran depuis la révolution islamique de 1979. Rappelons que si les Iraniennes enfreignent cette loi, elles sont condamnées à trois mois d’emprisonnement ou à une amende.

Cette annonce ne signifie donc pas que la loi sur le port du voile obligatoire va être supprimée. D’abord, les électeurs ultra-conservateurs ne l’accepteraient pas. Et puis, si le pouvoir abolissait cette loi, c’est comme s’il abolissait l’idéologie politique du régime depuis la révolution islamique. 

Dans quelle visée une telle déclaration a-t-elle alors été faite par le procureur général d’Iran ?

Pour, je pense, tenter de calmer la colère des manifestant·es, leur dire : « On vous a écouté ». Il ne faut pas oublier que l’assassinat de Mahsa Amini a été perpétré par cette police des mœurs.

À partir de ce lundi 5 décembre en Iran, et pour ces trois prochains jours, le mort d’ordre est : « grève ». À travers cette annonce, l’idée était aussi, certainement, de contrer ces nouveaux mouvements de protestation.

Pour l’instant, nous en sommes là : le pouvoir semble observer comment la société réagit à ce petit gage qu’il lui donne.

Des manifestant·es pas convaincus

Comment l’opinion publique a-t-elle réagi à cette annonce ?

Cette annonce ne fait pas du tout illusion. Sur les réseaux sociaux, personne n’y croit vraiment. 

Les manifestant·es ne sont pas dupes. C’est juste une ruse du régime, une propagande, qu’ils refusent d’accepter. Les Iranien·nes dans la rue ne lui font pas confiance.

Les revendications ont largement dépassé la problématique du voile obligatoire. La société ne se contentera pas de ce gage-là.

Il ne faut pas penser que le régime est en train d’aller dans leur sens et oublier que, dans ce même temps, il condamne à la peine capitale un certain nombre des 18 000 personnes arrêtées dans les manifestations. La répression se poursuit. 

De plus, les revendications ont largement dépassé la problématique du voile obligatoire. La société ne se contentera pas de ce gage-là pour rentrer chez elle. Les manifestant·es vont protester, encore, déclencher des grèves. Ils veulent continuer, jusqu’au bout. Il s’agit d’un réel bras de fer entre cette société iranienne moderne, cette jeunesse qui revendique sa liberté de choix, et le régime. 

L’annonce de la suppression de la police des mœurs serait donc un écran de fumée, une opération de propagande. Que craignez-vous pour la suite ?

La police des mœurs, créée sous la présidence de l’ultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad, existe en Iran depuis 2007. Mais avant celle-ci, une autre structure, sou une autre appellation, patrouillait dans la rue.

Il y en avait une avant, et il y en aura une après, qui sera supposée veiller au respect des préceptes islamiques, dont le port du voile. On sait que de débats à ce sujet étaient déjà en cours en Iran avant cette déclaration, au sein des autorités. Je pense que la répression des femmes va continuer. Mais leur résistance aussi.

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