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Simone Menezes : « La musique permet de se connecter à tous »
A 43 ans, la chef d’orchestre italo-brésilienne, à la carrière florissante, raconte un parcours sans fausse note et plein de projets. Pas si classique !
Devenir chef d’orchestre était-il un rêve de petite fille ?
Simone Menezes – Non. Il faut dire que je n’avais pas de modèle féminin auquel m’identifier, puisqu’il n’en existait tout simplement pas. Mais j’ai toujours tellement aimé la musique ! A 8 ans, j’ai décidé que je ne voulais pas jouer, seule, de la flûte à bec. Alors j’ai constitué mon premier orchestre avec les enfants musiciens qui habitaient la même résidence que moi, au Brésil, près de Sao Paulo. Ce que je voulais en priorité, c’était faire de la musique avec des gens. Ça a commencé ainsi.
J’étais fascinée par la façon d’être de la femme française.
Quelle formation avez-vous reçue ?
Simone Menezes – J’ai suivi un parcours traditionnel au Brésil. A 20 ans, j’ai dirigé un premier orchestre. A l’époque, je souhaitais plus que tout venir en Europe, mais c’était très difficile. A 28 ans, donc un peu tard quand même, j’ai fini par avoir assez d’argent pour poursuivre mes études à Paris et à Londres. Puis je suis retournée dans mon pays diriger un orchestre professionnel. J’ai été la deuxième femme au Brésil à occuper un tel poste. J’ai rencontré le chef d’orchestre [estonien] Paavo Järvi, qui est devenu mon mentor, et j’ai travaillé avec lui en tant qu’assistante dans divers orchestres. Ce fut une véritable école. Je suis ensuite retournée au Brésil, mais mon cœur voulait déjà revenir en Europe.
Pourquoi avoir choisi la France ?
Simone Menezes – Parce que c’est un pays central, proche de l’Allemagne, de l’Angleterre, du Benelux. Donc, pour un chef international, c’est parfait. Mais, surtout, parce que j’étais fascinée par la façon d’être de la femme française. Quand j’étais jeune, je pensais ne pas pouvoir concilier maternité et carrière. J’ai vu qu’ici les femmes y arrivaient très bien. Je me suis alors dit que ça allait être possible pour moi aussi. D’ailleurs, j’ai une fille de 11 ans.
Menez-vous également votre famille à la baguette ?
Simone Menezes – C’est une bonne question ! J’ai tendance à « gérer » tout en même temps, y compris à distance. Je suis chef aussi à la maison même si, bien sûr, on discute beaucoup avec mon mari, pour lequel, j’en suis consciente, ce n’est pas évident d’être l’époux d’une chef d’orchestre. Il est ingénieur mais également mélomane. Sinon ça ne serait pas possible.
J’ai vu des femmes très talentueuses disparaître.
Il n’y a que 4 % de femmes chefs en France. Qu’en pensez-vous ?
Simone Menezes – Le changement commence à se faire sentir. La première femme musicienne de l’orchestre de Vienne, c’était en 1977 ! Donc hier. Avant, il ne pouvait y avoir que des hommes. Les Etats-Unis, dans les années 70, ont créé la loi dite « du rideau ». Le jury sélectionnait un nouveau musicien qui jouait derrière un rideau, afin que l’on ne sache pas s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. Le pourcentage de musiciennes dans les orchestres est ainsi passé de 3 à 30 %. Aujourd’hui, il y a un changement qui s’accélère dans la musique classique, un milieu plus conservateur qu’ailleurs. Par exemple, les projets conduits par la Philharmonie de Paris sont très divers, cosmopolites, hyperouverts.
A quelle forme de sexisme avez-vous été confrontée ?
Simone Menezes – Je pense qu’au départ être une femme a été un handicap. Mais je n’ai jamais posé la question à quiconque pour savoir s’il était possible ou non que je dirige un jour un orchestre. J’ai suivi mon chemin et, à un moment, j’ai réalisé qu’il était impossible d’arriver au bout, mais j’étais déjà allée trop loin pour renoncer ! Si l’on imagine pouvoir faire carrière en tant que femme comme un homme, en enchaînant le Conservatoire puis les concours, et que l’on va finir par prendre la direction d’un orchestre, on se trompe. Les femmes chefs ont dû trouver leur propre voie. C’est ce que j’ai fait. Sinon, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. J’en suis certaine. J’ai vu des femmes très talentueuses disparaître. C’est triste. Mais il faut aussi savoir que ce type de carrière est dur pour les hommes et pour les femmes, car il exige une énergie, une force. Il y a un prix à payer et, parfois, les gens « lâchent ».
Où avez-vous puisé votre motivation ?
Simone Menezes – Je pense que j’ai une mission avec la musique. Ce n’est plus juste un boulot. J’ai traversé des épreuves mais, à chaque fois, une porte s’est ouverte. Je crois que la musique permet de se connecter à tous les êtres humains. J’ai déjà vu des enfants des favelas complètement touchés à l’écoute des œuvres de Gustav Mahler. Le classique est un langage universel, mais c’est également l’un des plus petits marchés musicaux. Ma mission consiste à offrir cet univers à un public beaucoup plus large. Je considère que la musique apporte des valeurs qui vont au-delà du domaine artistique pur. Le but n’est pas d’être dans la perfection mais dans l’émotion. Une fois, une petite fille m’a demandé : « Simone, à quoi ça sert, la musique ? » Je lui ai répondu : « Tu sais, notre corps a besoin qu’on lui donne à manger. Sinon on meurt. C’est la même chose pour notre âme. Si l’on n’écoute pas de musique, si l’on ne se nourrit pas d’art, notre âme va mourir aussi. » On a tous besoin de beauté. La musique classique demande un niveau d’excellence atteint à la fois par un travail exigeant et par un trait de caractère très solide. Mais on perd la connexion avec les gens quand on est dans la rigidité. Cet équilibre est un défi.
Vous êtes réputée pour votre créativité…
Simone Menezes – Il est toujours nécessaire de trouver un projet qui a du sens selon moi. Il ne faut pas juste jouer Beethoven, mais avoir quelque chose à dire en plus. C’est le cas avec l’album Accents*, joué par l’Ensemble K, l’orchestre multiculturel que j’ai créé. Ou bien avec le spectacle musical et visuel Forêt d’Amazonie**, qui projette des photos de Sebastião Salgado [photographe brésilien] pendant que l’on interprète la musique d’Heitor Villa-Lobos. On a vraiment l’impression d’être dans cette forêt. Je suis sensible à l’écologie, les rapports de l’homme avec la nature sont un point essentiel de l’humanité.
Que se passe-t-il quand vous vous retrouvez face à l’orchestre ?
Simone Menezes – C’est d’abord très mental. Un musicien qui joue lit une ligne de la partition, alors qu’un chef en lit une vingtaine. Tout le cerveau est connecté et, en même temps, c’est très physique, car je pense que ma musique ne sort pas du cerveau mais du ventre, notre deuxième cerveau. Ce travail nécessite force et endurance. Après une semaine de répétitions, on perd en général 1 ou 2 kilos. Mais on les reprend vite !
Je pense qu’au départ être une femme a été un handicap.
Quels autres projets avez-vous ?
Simone Menezes – Je vais diriger le ballet les Ailes du désir à Strasbourg et à Mulhouse. Puis l’Orchestre national de Bretagne, avec notamment le pianiste Simon Ghraichy, et ensuite l’Orchestre Dijon-Bourgogne pour un hommage à Astor Piazzolla.
Qui sont vos compositeurs préférés ?
Simone Menezes – J’adore Beethoven, Debussy, Villa-Lobos, mais j’aime également le jazz, la musique populaire brésilienne. En revanche, je n’aime pas le rock. J’ai déjà beaucoup trop d’énergie en moi et en écouter risque de m’en donner encore plus. Je me réveille à 6 heures du matin, je me couche à minuit, je n’arrête jamais ! J’aime faire bouger tous les gens autour de moi. J’ai besoin de très peu de vacances : un jour ou deux me suffsent. C’est ma nature, j’ai 43 ans, mais on pense que j’en ai 28. Il faut que je commence à laisser apparaître mes cheveux blancs !
En quoi vous sentez-vous italienne ?
Simone Menezes – J’aime la bonne nourriture, l’opéra. La culture italienne, c’est aussi ce côté extraverti, cette capacité à parler, à s’exprimer avec les mains. D’ailleurs, c’est peut-être quand il m’arrive de diriger avec mes mains, et non avec une baguette, que l’on voit que je suis également italienne.
* Aparté, sortie le 15 janvier.
** A la Philharmonie de Paris, le 10 avril. Autres dates de concerts sur simonemenezes.com.
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