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Rencontre d’avant minuit avec Olivier Norek
En période de couvre-feu confiné, 21 heures est le new minuit. Nous sonnons à l’interphone d’un immeuble moderne de trois étages. Olivier Norek, 44 ans, capitaine de police judiciaire en disponibilité converti au polar, vit à Pantin. Le 93. Terrain de chasse du flic depuis dix-neuf ans, unité de lieu de Code 93, Territoires, Surtensions*, ses trois premiers romans, qui l’ont d’emblée situé dans le game. Base de lancement de son héros, le capitaine Victor Coste.
Impact, son nouvel uppercut s’est déjà écoulé à cent vingt mille exemplaires : un éco-activiste, ex-policier, y kidnappe le patron de Total. Dans le petit appartement avec terrasse, béton du sol au plafond, têtes de morts et effigies de Batman tracent les contours d’une existence placée sous le signe du brutalisme – on ne parle pas d’architecture.
Écrivain, encore en service
Au centre, alpha et oméga de cette tanière cryptique, une table au plateau de bois massif, le bureau. Olivier Norek a écrit Code 93 alors qu’il était encore en service, en 2013. « Pendant plus de six mois, j’ai dormi quatre heures par nuit. J’écrivais de 22 heures à 4 heures du matin et j’allais bosser à 9 heures. »
Après Territoires, l’équipe de la série Engrenage l’a appelé. « Ça te dirait d’écrire avec nous ? » Il n’a jamais touché un scénario. « Pendant des nuits entières, j’en ai lu des dizaines, pour comprendre comment c’était foutu. » Sur le bureau, à côté du script, des bouts de papier griffonnés au feutre rose, écriture au cordeau, cursives sans défaut – la mère d’Olivier Norek est directrice d’école.
Il se lève pour tirer une porte coulissante. Un tableau blanc de deux mètres sur deux. Son murder board – tableau criminel, où s’affichent les scènes de crimes et les personnages qu’il est en train d’inventer.
Biberonné au danger
A-t-on peur la nuit quand on est flic ? « Oh oui ! Plus que les autres. Car le quotidien d’un policier, c’est se confronter à ce que l’humain recèle de pire en lui. Pour les prédateurs, la nuit est un terrain de chasse favorable. » La formule « Minuit, l’heure du crime » prend l’épaisseur du réel.
Biberonné au danger, l’écrivain en a assez vu, et « jamais du beau », pour que les scènes les plus trash de ses polars puent le vrai. « Sur des opérations complexes, on rentrait parfois du service en se disant : cette fois, on aurait vraiment pu y rester. »
Pour Entre deux mondes, son polar sur les migrants, l’auteur s’est immergé trois semaines dans la jungle de Calais. « La première nuit, vous êtes dans le noir, sous votre tente, parmi les autres tentes. Il y a des cris, ‘À l’aide !’, ça gueule dans tous les dialectes. Réaction immédiate : intervenir. Très mauvaise idée ! Le garde du camp m’a renvoyé direct sous ma tente : ‘Ici, la nuit, tu ne bouges pas.’ C’est très dur à vivre pour un type comme moi. »
Une confiance aux autres très relative
En inquiet de compétition, la sérénité nocturne ne lui est pas une évidence. Enfant, la peur de la mort lui est tombée dessus, accompagnée de crises de panique. Prier le soir a longtemps été un moyen de s’endormir. En 5e, ses parents l’ont collé en pension chez les jésuites : « Une éducation à l’ancienne, avec sévices corporels et chambrées de cent vingt lits. »
Sur le qui-vive, il parle en continu, sans virgules, digresse, tout en lui est à l’affût, le corps, les yeux, l’esprit.
Quand je rencontre quelqu’un, je me demande de quelle manière il va me décevoir ou me nuire.
Auteur et flic, le langage est son arme, un gilet pare-balles, à l’image de celui posé sur le dossier de sa chaise. « J’ai en l’autre une confiance toute relative. Quand je rencontre quelqu’un, je me demande de quelle manière il va me décevoir ou me nuire : ‘C’est quoi ta part d’ombre ?' » Un réflexe de policier : « Me dis-tu la vérité ? » Un réflexe d’anxieux.
Casanier, il ne voit ses amis et sa famille qu’à petite dose. Sa solitude, il l’a choisie et la chérit. « Côté émotions, je suis extrême. Totalement dévoué à l’autre pendant deux ou trois semaines, puis j’étouffe et plus rien. »
Une empathie XXL difficile à domestiquer
Comme le capitaine Coste, le couple n’est pas sa came : « Entre bien bouffer et faire l’amour, je choisis la bouffe. Entre faire la cuisine et l’amour, je choisis l’amour, mais entre embrasser et faire l’amour, je préfère embrasser. Parce que c’est vrai, c’est bouleversant ». Résultat, quand une nouvelle rencontre se présente, il freine par précaution.
« Je calcule la dose d’emmerdement et de souffrance que je vais causer à l’autre. » Endosser l’uniforme était un rôle qui lui allait. « Très vite, j’ai su que si je n’étais pas utile, j’allais rater ma vie. » Écrire des polars pour dénoncer, sans angélisme, l’injustice, la corruption, l’abandon des banlieues ou les écocides était le rôle qu’il lui fallait.
Vulnérable est le mot qu’il préfère dans la langue française. Inconsolable pourrait être le mot qui lui va le mieux. Son empathie XXL, le flic a dû la domestiquer, car elle n’aide pas à trouver la vérité. Mais l’auteur en a fait une ressource fabuleuse dans l’écriture de ses romans.
Entre faire la cuisine et l’amour, je choisis l’amour, mais entre embrasser et faire l’amour, je préfère embrasser. Parce que c’est vrai, c’est bouleversant.
Croit-il aux fantômes ? « Un jour, à 1h15 du matin, j’ai eu un terrible accident de voiture à 50 km de chez mes parents. Au même instant, ma mère s’est réveillée en sursaut. Sa sœur, qui s’est tuée en voiture à 30 ans, lui parlait : ‘Ça recommence avec Olivier. Tout va bien, ne t’inquiète pas.’ La voiture était pliée. L’un des pompiers qui nous a désincarcérés m’a regardé : ‘Vous savez ce que c’est qu’un miracle ?’ Quand je suis rentré à 4 heures du matin, ma mère m’a demandé : ‘Qu’est-ce qui s’est passé à 1 heure et quart ?’ Alors oui, je crois aux fantômes. On peut trouver une explication rationnelle. J’ai hurlé ma trouille dans l’univers. Si les dauphins peuvent entendre des trucs à 800 km peut-être que ma mère a entendu mon cri. »
Régulièrement, il regarde le ciel. « Ça va ? Tu es fier de moi ? » Une adresse aux proches partis et à celui qu’il ne nomme pas Dieu, « celui qui a provoqué l’étincelle originelle ».
Impitoyable avec lui-même
Increvable bosseur, l’écrivain place la barre haut, dans des sphères d’altitude considérées comme utopiques et qui ont pour noms morale et justice. Très tôt, son père, énarque, a tracé la ligne : « Quoi que tu fasses, fais-le bien. » Il a beau être lu par un million de lecteurs, il est impitoyable avec lui-même. « Je suis dysmorphophobe. Je ne m’aime pas. »
Par peur du regard des autres, on n’est soi qu’à 20 %, nos ailes attachées dans le dos
Le succès n’a pas guéri la hantise du rejet. « Par peur du regard des autres, on n’est soi qu’à 20 %, nos ailes attachées dans le dos. De temps en temps, quand on a bu, qu’on est à l’aise, on les déploie et on est un peu plus nous-mêmes. À 70 %. Bon, celui qui dépasse 80 %, c’est le connard insupportable qui parle trop en soirée. »
En ce début de printemps, il fait – 1 °C, et fumer sur la terrasse en T-shirt serait une mission suicide. Le romancier attrape un pull. Un Christmas pull. S’y déploie le logo d’un célèbre justicier nocturne. Batman. Olivier Norek écrit bien les livres dont il est le héros. « Coste, oui, c’est moi à 90 %. »
14 questions d’avant minuit à Olivier Norek
Marie Claire : Dormez-vous bien la nuit ?
Olivier Norek : Oui, je dors très bien sans me réveiller.
Vos boisson et nourriture nocturnes ?
Lait et Chocopops ou Frosties. Tu en veux un bol ?
Votre mère vous embrassait-elle avant d’aller dormir ?
Bien sûr ! Après m’avoir lu une histoire. J’ai beaucoup embêté mes parents. Il y avait tout un cérémonial avant de me laisser dormir, il fallait qu’ils m’embrassent chacun leur tour.
Et une fois qu’ils étaient partis, je criais : « Bonne nuit » et ils me répondaient « bonne nuit « .
La nuit, c’est un vrai tribunal, le moment où l’accusé monte à la barre. Ça peut être moi ou quelqu’un qui m’a fait mal.
La nuit efface-t-elle les soucis du jour ?
Absolument pas ! La nuit, c’est un vrai tribunal, le moment où l’accusé monte à la barre. Ça peut être moi ou quelqu’un qui m’a fait mal. « T’as vu ce que t’as fait ? Tu es fier ? Tu n’aurais pas pu faire mieux ? »
Certaines nuits, je préfère franchement m’endormir devant la télé.
Que trouve-t-on sur votre table de nuit ?
Un cadre avec les portraits de ma mère, mon père, mon grand-père, un artiste jamais reconnu qui s’est défenestré, et plusieurs photos de moi à des âges différents. Comme un rappel : remplir chaque seconde de mes journées.
Un cliché, une vérité multipliée par mille.
Quels carburants après minuit ? Alcool, Xanax, sexe, drogue, sucre ?
Vodka polonaise – mon grand-père paternel était polonais – et bon vin sans sulfites. La drogue non, parce que c’est illégal et que je ne peux pas interdire les choses si je les fais. Les médicaments, j’ai essayé à un moment où je n’allais pas très bien. C’est une béquille, mais qui empêche de savoir si on va mieux. Sinon, le sexe de temps en temps, c’est cool.
Tout le monde a un ciel étoilé au-dessus de la tête, mais pour voir la bonne étoile, il faut lever la tête.
Vivez-vous sous une bonne étoile ?
Tellement ! À chaque fois que j’ai décidé de faire quelque chose, ça s’est mis devant moi. J’ai eu 5 sur 20 au bac français. Et un jour, je reçois un mail publicitaire : concours de nouvelles sur le site aufeminin.com.
Je l’ai effacé trois fois et je l’ai reçu une quatrième fois. Je gagne la troisième place et je rencontre tous les gens qui vont jouer un rôle capital dans ma carrière.
Tout le monde a un ciel étoilé au-dessus de la tête, mais pour voir la bonne étoile, il faut lever la tête. Et travailler. Se faire confiance. Parfois, une porte se ferme, on pète un carreau pour entrer.
La dernière fois que vous vous êtes couché tôt ?
Je ne sais plus. Il faut vraiment que je sois malade pour me coucher avant deux heures du matin.
Boule à facettes ?
En boîte de nuit, je suis assis. Le regard de l’autre, toujours. Mais je danse dans mon salon. Sur la 7e de Beethoven, Sepultura, Hans Zimmer.
Le parfum de la nuit ?
Vétiver, le parfum de mon père. Comme il rentrait tard, je lui avais demandé de me réveiller. Je prenais le lobe froid de son oreille entre mes doigts et je me rendormais.
Ma capitaine débarque, précédée par son ventre. À mesure qu’elle avançait, elle pacifiait tout.
La nuit la plus dingue ?
On va sur un homicide avec ma capitaine enceinte jusqu’au nez. Dans la cité, c’est chaud, ça hurle, ça commence à caillasser.
Ma capitaine débarque, précédée par son ventre. À mesure qu’elle avançait, elle pacifiait tout. On arrive sur la scène de crime et là, le type assis près du corps regarde le ventre. Il avoue.
Le plus trash, la nuit ?
La solitude. Quand tu vas mal et que tu es la seule lumière allumée de la ville.
Qu’aimez-vous le plus, la nuit ?
L’introspection. La nuit te force à être honnête, c’est un miroir.
Les mots de la nuit ?
Enfin seul.
(*) Les livres d’Olivier Norek sont édités chez Michel Lafon et en format poche aux éditions Pocket.
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