Rencontre avec Étienne Daho

Dans le salon de son appartement de la butte Montmartre, une ribambelle de grandes photos forme une étrange chenille colorée sur le sol. Étienne Daho est en pleine préparation de son exposition de décembre, à la Philharmonie de Paris. Il y racontera l’histoire de la pop française, au travers de 200 portraits d’artistes qui y ont contribué. « C’est une vision subjective, avec des coupes franches parfois, mais j’ai essayé de réunir tous ceux qui incarnent pour moi l’évolution de cette musique dans le temps. » Édith Piaf, Bashung, Marquis de Sade, Patrick Juvet, les Rita Mitsouko ou NTM… Ils sont tous pour l’instant allongés dans le salon, attendant sagement d’êtrepositionnés dans le parcours imaginé par celui qui, plus jeune, rêvait d’être photographe. Daho a finalement choisi la chanson. Personne ne s’en plaindra ; les disques d’or alignés au fond du salon l’attestent.À 61 ans, l’inoxydable dandy revient aujourd’hui avec un onzième album, Blitz, aux inattendus soubresauts psychédéliques.Une extravagance mûrement réfléchie. « C’était compliqué de donner une suite au disque précédent : Les Chansons de l’innocence retrouvée était d’une grande perfection formelle, presque classique. J’y ai atteint une vraie maturité d’écriture, L’homme qui marche est pour moi l’une de mes plus belles chansons. Je ne voulais pas surenchérir, mais plutôt casser cet académisme, aller ailleurs. »

C’est pour cela que vous êtes parti à Londres ?

J’ai toujours été dingue de l’Angleterre. Londres, c’est la ville de la musique, il y a une excitation permanente. J’aime m’imprégner de cette vitalité. Je loue une garçonnière du côté d’Earl’s Court. C’est une bulle de travail, où je me consacre exclusivement à la musique. Je suis immergé, en totale écoute de ce qui m’entoure. J’absorbe l’air du temps, et j’adore ça.

Vous êtes à l’affût, comme un chasseur ?

Complètement. Même quand je ne sais pas trop quelle direction emprunter, j’ai une confiance totale en mon destin, et en mon instinct. Je savais que la chanson déclic finirait par se faufiler jusqu’à moi. Et c’est arrivé le jour où j’ai entendu le groupe Unloved à la radio. J’étais sous le choc, c’était un condensé de tout ce que j’aime : Phil Spector et les Ronettes, avec un côté actuel,très David Lynch, inquiétant et intrigant… J’ai su qu’avec eux,j’avais trouvé la couleur de mes prochaines chansons.

Encore une fois, ce disque est donc un album de rencontres ?

C’est ma méthode : ramener du sang neuf, pour continuer à me réinventer. On écrit toujours sur les mêmes obsessions,ad vitam aeternam. Mes invités sont là pour apporter une couleur différente et dissimuler ainsi le fait que je tourne en rond ! Chaque album est une tentative. Cette fois, j’ai eu envie de retravailler avec le producteur Fabien Waltmann, avec qui j’avais collaboré en 1996 sur Éden. Je savais qu’avec lui, il y aurait un peu d’étrangeté dans le son. On habite le même quartier à Londres.Je n’ai pas pris ça pour une coïncidence…

Autre voisin surprise : le fantôme de Syd Barrett…

Vidéo: Radonjic : « J’ai besoin de jouer un peu plus » (Dailymotion)

Je suis un inconditionnel du chanteur de Pink Floyd. Avec Lou Reed, ce sont mes dieux. J’ai découvert en lisant un article que son mythique appartement était en fait à deux pas de chez moi.J’avais la grippe, mais je suis sorti et j’ai trouvé l’adresse. Je n’en revenais pas, j’étais fiévreux, hypnotisé. La dernière maison de Marilyn, la villa Malaparte… Les lieux mythiques sont très inspirants pour moi. Ce que les murs ont pu absorber du passé me trouble intensément.

Vous êtes entré ?

Bien sûr ! J’ai appris que le peintre Duggie Fields, le colocataire de Barrett à l’époque, habitait toujours sur place. Je l’ai rencontré, c’est un type exceptionnel, vraiment différent. Nous sommes devenus très amis, je l’ai même présenté à Bertrand Burgalat qui va lui faire enregistrer un disque. Il m’a autorisé à entrer dans la chambre de Syd Barrett ; j’y suis resté un quart d’heure seul, pour m’imprégner de l’atmosphère… Plus que sa musique, c’est le personnage de roman et son destin unique qui ont ensuite nourri le disque.


Malgré ses effluves psychédéliques, ce nouvel album n’est pourtant pas un simple exercice de style…

J’ai fui toute ma vie mes grandes influences pour éviter de les singer. C’est pour ça que j’ai choisi la pop comme identité, car c’est un format musical très libre. Le rock a des codes trop précis et cloisonnants. L’écrivain Hubert Artus a dit que « la pop est un élan, un mouvement de la marge vers le centre » : c’est mon ambition artistique depuis toujours.

Vos débuts sont au cœur d’un livre qui vient de paraître, Avant la vague. De quoi s’agit-il ?

C’est un beau texte et un recueil de photos de mes débuts à Rennes, avant que tout ne s’emballe. À l’époque, Pierre René-Worms me photographiait sans relâche alors que je n’avais encore rien fait. Il était là tout le temps. Ce n’était d’ailleurs pas très agréable, j’ai toujours eu un rapport compliqué avec l’objectif. Mais aujourd’hui, ses archives sont un trésor magnifique. Ça commence avec une photo de moi au lycée, en 1978, et ça se termine en 1981, au moment où va sortir mon premier disque, en compagnie d’Elli et Jacno.

Leur fille, Calypso Valois, est présente sur votre disque. Une évidence ?

Avec Elli et Jacno, on est amoureux pour la vie, ce sont eux qui m’ont donné le courage de me lancer, ils sont depuis présents par la pensée dans tous mes enregistrements. Calypso, je la promenais quand elle était bébé, et maintenant c’est une femme avec un talent et une personnalité aussi forte et singulière que celle de ses parents. C’est avant tout pour cela qu’elle est sur le disque. Et puis je commence à avoir l’habitude de cette drôle de situation, où je connais autant les parents que les enfants : Charlotte Gainsbourg et Lou Doillon, Thomas Dutronc…

Aujourd’hui, avec le livre, le disque et l’exposition qui se termine par un panorama de cette nouvelle génération de chanteurs, vous incarnez autant le passé, le présent, et l’avenir de la pop. C’est un bel exploit…

Je n’ai plus du tout de notion du temps. J’ai tout absorbé, tout mélangé. Vieillir ne me fait pas peur, je trouve ma vie mieux maintenant. Même si je ne la vois pas si différente d’autrefois :je suis toujours autant fou de musique, et j’ai toujours autant envie que ça ne s’arrête jamais !

Blitz (Virgin/Mercury). Avant la vague, Daho 78-81, de Pierre René-Wormset Sylvie Coma (éd. RVB Books). Daho l’aime pop, du 5 décembre au 29 avril,à la Philharmonie de Paris.

Source: Lire L’Article Complet