Qu'y a t-il dans "Burn after Writing", le livre phénomène en tête des ventes?

Boosté par son succès sur les réseaux sociaux, Burn after Writing, de la Britannique Sharon Jones, trône en tête des ventes de livres dans le monde entier. Entre journal intime et bilan de compétences existentiel, décryptage d’un succès.

«La chose la plus folle que j’ai accomplie», «Mon premier animal de compagnie», «Mon top 5 des chansons de tous les temps»… La dernière fois que vous avez répondu à ces définitions, vous deviez avoir 14 ans. C’était dans votre journal intime, ou l’agenda de votre meilleure copine. A moins que ce ne soit plus récemment, dans le livre Burn after Writing (Brûler après l’avoir écrit, en français). Initialement publié en 2014 en Angleterre mais boosté en 2019 après qu’une influenceuse a vanté ses mérites sur TikTok, ce livre de développement personnel d’un nouveau genre, à la couverture bleue ou rose, au choix, trône actuellement en tête des ventes sur Amazon France et connaît un immense succès dans le monde entier.

Son auteure est une graphiste du nom de Sharon Jones. Elle est décrite sur le site de son éditeur français, Contre-Dires, (qui l’a publié début mars et, selon Ouest-France, a écoulé en un mois son stock de 120.000 exemplaires), comme «vivant dans le nord de l’Angleterre» et aimant «s’asseoir à la table de sa cuisine pour écrire des listes de tout et de rien, et trouver de nouvelles questions pour comprendre qui elle est et où elle va…» Dans une interview accordée au site psychcentral.com en 2015, Sharon Jones développait : «Le livre est venu à travers des discussions avec ma fille adolescente à propos des choses qui comptaient pour nous. J’étais consciente qu’elle tenait constamment en ligne des conversations sur une multitude de choses personnelles, la rétrospection, les rêves, les projets, la contemplation et la créativité, et exprimait tout cela ouvertement.»

À garder pour soi…

À l’inverse, c’est en privé que Sharon Jones propose, à travers son livre, d’aborder tous ces sujets. Dans une sorte « d’uberisation » du geste littéraire, Burn after Writing est un livre où l’on fait soi-même le travail, sans avoir besoin d’être écrivain. Et tout ça, à la main : dès les premières pages, l’auteur rappelle que «le stylo est plus puissant que le clavier». «À l’ère de la reproduction illimitée et instantanée, seul l’unique est encore beau. Croyez-vous que vos descendants liront un jour votre timeline sur Facebook? » Pas sûr (en tout cas, on ne l’espère pas pour eux). Pourtant les confidences que l’on inscrit noir sur blanc dans Burn after Writing ne sont pas non plus faites pour être lues par un tiers, comme l’indique le titre donc.

À l’heure ou chacun partage chaque instant de sa vie sur les réseaux, Burn after Writing, «dossier noir» qui n’appartient qu’à soi, a pour vocation de rester privé. Le prix à payer pour avoir le privilège de se «confronter aux grandes questions de la vie. Qui êtes-vous aujourd’hui ? Comment en êtes-vous arrivé là ? Où allez-vous ?» Rien que ça. Loin de la foule déchaînée, Burn after Writing entend pousser son lecteur-auteur à se détacher du regard des autres, et à répondre le plus franchement possible à des interrogations allant de «Où serai-je dans dix ans» aux «personnes que l’on aimerait frapper» en passant par «Si je pouvais aller dans le réfrigérateur maintenant et trouver quelque chose, ce serait…» Et tout ça sans tricher : «Si vous ne vous livrez pas avec sincérité et honnêteté, vous n’avancerez pas dans la découverte de vous-même».

Introspection ou narcissisme ?

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C’est aux réseaux sociaux que Burn after Writing doit son décollage fulgurant, et au nombre d’anonymes ou d’influenceurs en vue qui ont partagé leur enthousiasme pour ce genre de « bilan de compétences existentiel ». Si le hastag #burnafterwriting compte plus de 1000 occurrences sur Instagram, on dénombre près de 80 millions de vues sur TikTok, où l’on voit des fans du monde entier se filmer en train d’ouvrir le livre, et des mains soigneusement manucurées y consigner leurs pensées les plus secrètes, voire le brûler. Pour l’intimité si chèrement défendue par l’ouvrage, on repassera donc. Burn after Writing reste en cela symptomatique de l’époque : d’une pandémie qui nous a poussés à l’introspection. Et d’un narcissisme qui ose plus ou moins dire son nom.

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