Pourquoi il faut défendre notre matrimoine

De tous temps, les femmes ont investi la sphère culturelle, le plus souvent dans l’ombre. Rayé des dictionnaires, le matrimoine remonte en scène. On applaudit !

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Aurore Evain est chercheuse, metteuse en scène, actrice, autrice et dramaturge. C’est elle qui, au cours de ses recherches, a exhumé le mot « autrice » qui, depuis, a retrouvé ses lettres de noblesse. « Je suis tombée dans la marmite des mots féminins oubliés et effacés. J’ignorais leur existence, je suis tombé dessus par hasard. Je n’imaginais même pas que des femmes aient pu écrire du théâtre avant Marguerite Duras ! » explique celle qui a décroché un bac littéraire avec mention très bien avant de se spécialiser dans le théâtre. C’est dire le sort que réserve l’éducation nationale au matrimoine…

La langue française est misogyne et discriminatoire

« Le mot « autrice » existait depuis l’Antiquité, ce n’est pas un néologisme. Mais, comme d’autres mots dont le « matrimoine », l’Académie Française a empêché qu’il n’entre au dictionnaire. De la même façon, avant, le masculin ne l’emportait pas. Avec ses dictionnaires et ses grammaires, l’Académie Française a instauré des règles de masculinisation sous prétexte que « le masculin est le genre le plus noble ». Aujourd’hui, on défend une grammaire qui se veut neutre alors qu’elle a créé une langue élitiste. De la même façon que l’orthographe a été complexifiée à dessein« . Comme l’expliquent très bien ces deux professeurs dans une conférence TedX :

https://youtube.com/watch?v=5YO7Vg1ByA8%3Frel%3D0%26showinfo%3D1

On y apprend que la complexité de l’orthographe française a été choisie et voulue pour être discriminatoire et pour donner le sens de l’effort aux enfants. En 1694, dans les cahiers préparatoires du tout premier dictionnaire de l’Académie Française, il est écrit : « l’orthographe servira à distinguer les gens de lettres des ignorants et des simples femmes ». Oui oui, vous avez bien lu !

« C’est misogyne que le masculin l’emporte sur le féminin, il n’y a pas de doute !« , explique Yoann Lavabre, directeur de La Ferme de Bel Ebat, Théâtre de Guyancourt, qui ouvre sa scène au matrimoine. « Je ne suis pas toujours très fier d’être un homme quand je vois notre Histoire. La défense du matrimoine, comme le féminisme, c’est une lutte pour l’égalité des droits. Et c’est l’affaire de tous. Le féminisme n’est pas un mouvement pour l’éradication des hommes. Ça concerne aussi les hommes que les femmes aient les mêmes droits qu’eux, c’est une question de dignité partagée. » Et pour allier le geste à la parole, Aurore Evain et Yoann Lavabre ont créé le site edifiernotrematrimoine.org, un réseau coopératif de production qui vise à fédérer les théâtres des pays francophones pour s’engager à co-produire et à diffuser les spectacles du matrimoine. De son côté, Aurore Evain a lancé, avec le mouvement HF les premières journées du matrimoine en 2015.

Le cinéma, dernier bastion du patriarcat ?

« Au théâtre comme au cinéma, les pionniers sont des pionnières. C’est un constat amère, » reprend Yoann Lavabre. En effet, on ne le sait pas toujours mais, à ses débuts, le cinéma a été initié par les femmes. A l’image d’Alice Guy qui a inventé les films de fiction. « Elle était secrétaire chez Gaumont, qui fabriquait alors des caméras. Pour promouvoir la vente des caméras, elle a créé la Fée aux Choux, c’est le 1er film fantastique. Elle a aussi inventé le péplum en mettant en scène la vie du Christ. Elle a été la première à filmer des afro-américains, la première à créer une société de production cinématographique… » explique Yoann Lavabre.

https://youtube.com/watch?v=_0SHuseACTY%3Frel%3D0%26showinfo%3D1

Mais lorsque cet art s’est professionnalisé et que des studios sont sortis de terre pour créer des décors, les investissements n’ont bénéficiés qu’aux hommes. Les femmes ont été écartées sciemment par les hommes, les financiers masculins ne finançant que les projets portés par des hommes. C’est ce qu’explique le documentaire de Tom Donahue « Tout peut changer, Et si les femmes comptaient à Hollywood…  » diffusé sur Canal + et dans lequel vous pourrez retrouver Meryl Streep, Geena Davis ou encore Reese Witherspoon. Ces actrices témoignent du sexisme incroyable qui règne encore aujourd’hui dans le 7e art.

L’actrice oscarisée Geena Davis y raconte comment, en regardant les dessins animés avec ses enfants, elle s’est rendu compte que seuls 30% des personnages parlants sont féminins. Elle a depuis créé un Institut sur le genre dans les médias. Une enquête de 2 ans qui lui a valu le prix Global Impact de Google. « Hollywood est notre machine à histoires. Les histoires font le peuple. Le rôle des femmes n’est pas représenté, il est exclu de nos histoires, de notre passé comme de notre futur« , explique-t-elle dans le documentaire. « Or, ce qui est bon pour les femmes est bon pour tout le monde » précise-t-elle.

Les autrices et compositrices spoliées par les hommes

« Les femmes ont toujours été conscientes du risque d’invisibilisation« , explique Yoann Delavre. « Dès le 12e siècle, l’immense poétesse Marie de France écrit dans son épilogue, « il se peut qu’un jour un clerc s’approprie mon travail mais fol est qui soi-même s’oublie ». A l’image de Camille Claudel et de Rodin, de nombreuses femmes se sont fait spolier leur œuvre par leur conjoint. » Et Aurore Evain de préciser : « Nous menons une entreprise de relégitimisation. Le but du jeu, c’est de remonter le plus loin possible, » « Montrer que Marie de France a écrit des fables qui inspireront Jean de la Fontaine 500 ans plus tard. Que « Le Favori « de Madame de Villedieu, interprété par Molière devant Louis XIV, l’a inspiré pour écrire « Le Misanthrope ».« 

Et Yoann Delavre de renchérir : « Hélène de Montgeroult, compositrice, a été la première femme professeur de piano au conservatoire national. Elle a écrit une extraordinaire méthode d’apprentissage du piano qui a façonné l’approche du piano des compositeurs de son siècle. Debussy a appris le piano sur sa méthode. Son étude 107 fait inévitablement penser à l’Étude « révolutionnaire » de Chopin écrite 30 ans plus tard. Certains musicologues défendent aussi que les suites pour violoncelles de Bach aurait été écrites par sa deuxième femme, Marie Madelena.« 

« C’est aussi la question du génie littéraire, qui s’est construit sur des œuvres choisies du trio Shakespeare, Molière, Corneille, » reprend Aurore Evain, « alors que les plus grands best sellers du XVIIe sont écrits par les femmes, dont Madeleine de Scudéry qui était une incroyable romancière. On dit que le grand génie du théâtre, c’est Shakespeare… qui est sans doute une femme. Cette thèse, qui paraît incroyable, est pourtant vraisemblable. Mary Sidney, qui a tenu le plus grand cercle littéraire d’Angleterre, se serait effacée d’elle-même. » C’est ce montrent les recherches de l’américaine Robin P. Williams, qu’Aurore Evain a mis en scène dans une conférence spectacle intitulée « Mary Sidney, alias Shakespeare ».

Le matrimoine a de l’avenir

« Les américains ont plus de 10 ans d’avance, ils connaissent mieux notre matrimoine que nous« , explique Aurore Evain. Ils exhument et mettent en lumière l’héritage culturel qui nous vient des femmes. Raillées il y a encore quelques année, les journées du matrimoine essaiment désormais partout en France. « Je reviens qu’une conférence lecture à la Bibliothèque Nationale de France, qui vient de créer un cycle sur les autrices oubliées. J’ai fait toutes mes recherches à la BNF. Jamais je n’aurais imaginé que ce programme aurait pu voir le jour. C’est très émouvant de voir le chemin parcouru, de me retrouver dans le temple patrimonial et faire résonner les mots des femmes, et d’entendre « autrice » et « matrimoine« . »

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