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PORTRAIT – Fabrice Luchini : le travail, son refuge…
Le formidable Fabrice Luchini est de retour au cinéma. Le comédien indomptable au talent certain va (encore) vous séduire. Par Laurent Del Bono.
Le travail, il baigne dedans depuis toujours. Au propre comme au figuré. Sans blague. Durant son enfance, ses parents tenaient un magasin de fruits et légumes dans le quartier de la rue Ramey, au pied du Sacré-Cœur, non pas dans le Montmartre des riches, aux alentours de l’avenue Junot, mais dans celui qui jouxte la Goutte d’Or. Un territoire de labeur. Les trois-huit. Tandis qu’elle servait les clients et tapait à la caisse, Hélène usait de pis-aller pour élever ses enfants : dans l’arrière-boutique, le petit dernier de ses trois fils faisait la sieste dans un cageot à légumes que sa maman avait transformé en berceau. Des gens humbles et honnêtes, les Luchini. Le père, un immigré italien méritant originaire d’Assise, la ville de saint François. La mère, une fille de l’Assistance publique. Dans sa prime enfance, Fabrice aura passé des heures innombrables à jouer, non pas sur, mais sous les tréteaux où s’amoncelait une création multicolore. « Un fils de commerçant, c’est un peu comme un animal, il ne doit pas gêner la clientèle« , dit-il. « Mes premiers souvenirs sont ceux d’un petit garçon caché sous de grandes tables […] J’étais constamment en dessous des nourritures. » Aujourd’hui encore, il s’émerveille d’avoir grandi dans « un immense jardin. » Un jardin d’Eden que ses parents ont fait sortir de terre à la sueur de leur front. Enchanté, sans doute. Mais bonifié à l’engrais du sacrifice. Fabrice n’a jamais oublié que, chaque jour, à 1 heure du matin, son père quittait leur minuscule deux-pièces sans sanitaire où ils s’entassaient à cinq. Adelmo descendait jusqu’aux halles de Saint-Eustache, s’en revenait par le boulevard Magenta, tirant à bout de bras son diable chargé jusqu’à la gueule. Le soir, lorsqu’il rentrait de l’école, son cadet livrait lui aussi les clients du quartier. « Il faut respecter les riches, lui assénait son père. C’est eux qui nous donnent du travail. » Fabrice n’oubliera jamais. Et lorsque la cause fut entendu qu’il n’était décidément pas fait pour l’enseignement classique ( ni bon, ni mauvais, absent dans sa tête, mais en toute innocence), ils lui trouvèrent un emploi de garçon coiffeur dans un salon huppé des beaux quartiers, proche des Champs-Elysées. Il aurait pu s’arrêter là. Changer de prénom, Fabrice au lieu de Robert à l’état civil. Et se satisfaire dans cet univers enchanté bis, peuplé d’imposantes matrones et de starlettes monstrueusement aguichantes, piqué par l’honneur de faire le brushing de Joe Dassin, qui sait, un jour de lui couper les cheveux ! Mais servir les nababs était-ce cela le vrai travail ? Quoiqu’il ait été élevé dans le respect des classes sociales, l’apprenti Figaro n’aura jamais réussi à s’en convaincre. C’est qu’à l’orée de l’adolescence, il avait sympathisé avec un blouson noir de la bande des Abbesses dont il était devenu la mascotte – des durs ceux-là, même que les flics évitaient de s’aventurer sur leur territoire… L’autre l’avait initié au Voyage au Bout de la Nuit de Louis Ferdinand Céline. Fatal. Tel Obélix dans la potion magique, Fabrice tombera dedans, passant son temps à le lire et le relire, les doigts collés aux pages sulfureuses de l’écrivain maudit, si bien qu’il finira vite par en connaître des passages par cœur, aimanté par l’oralité de son style ! La volubilité de ses saillies lyriques qu’il ponctue en s’humectant le pourtour de ses lèvres avec sa langue, à la manière d’un chat se léchant les babines ? Elles viennent de là, de son amour du Verbe. C’est son Graal, la source de son identité non pas honteuse, mais heureuse. Il explique : « Etre français, en ce qui me concerne, c’est reconnaître cette langue et lui appartenir. Les gens ne savent même plus quelle langue ils parlent. Sur ce point, à gauche comme à droite, la République a capitulé. Aimer la langue française passe pour du dandysme baudelairien. »
Dès lors, son irrésistible ascension n’est que la conséquence logique de sa vocation. A moins qu’il ne s’agisse de la singularité d’un obsessionnel qui, depuis plus de trente ans, soigne ses névroses à raison de trois séances par semaine sur le divan. Il a 18 ans lorsqu’il s’inscrit au cours de théâtre de Jean-Laurent Cochet, cette pépinière qui a vu éclore Gérard Depardieu, Isabelle Huppert, Daniel Auteuil, Jean Reno… Il y restera plusieurs années, chouchou d’un professeur génial, parfois tyrannique, qui le cite en exemple : « Il a très bien compris que le travail n’est pas un pensum. Quand un pianiste fait des gammes avec lenteur pendant six heures, c’est parce qu’il sait qu’il n’aura plus à y penser après. C’est pareil avec la langue, la respiration, la diction. » Parallèlement, il rencontre Eric Rohmer qui lui offre un cadeau empoisonné : le rôle principal de Perceval le Gallois, en 1978. Mais le film est un flop retentissant qui, au lieu de propulser le débutant, lui vaut moqueries et quolibets. « Ce n’est pas que vous êtes plus mauvais qu’un autre, lui lâche Daniel Toscan du Plantier. Mais c’est votre dernier film. » Finalement, il ne doit sa rédemption qu’à l’immense comédien Michel Bouquet, dont il devient le répétiteur et le factotum pendant un an après ce naufrage, et qui le prend sous son aile. Luchini en fera son miel : « Il était dans un travail intérieur constant, capable de passer toute une nuit à répéter 8500 fois “qu’est-ce qu’il a ce fouet”. Il essayait tous les registres d’une phrase pour en épuiser toutes les possibilités.«
Jean-Louis Trintignant, qui l’a remplacé dans Art, la pièce mythique de Yasmina Reza, avait beau regretter à mots couverts sa tendance à tirer la couverture à lui, Fabrice n’a jamais pris la grosse tête. Trop perfectionniste pour succomber aux sirènes du succès. Presque janséniste sous ses dehors cabotin. « Il poursuit inlassablement la note juste, explique Jean- Dominique Brierre, son biographe, auteur du Mystère Luchini (Plon). Il peut en être à la 300e d’un spectacle, il est toujours vierge d’une certaine manière, il espère qu’il fera mieux que la veille… » Il est d’autant plus dans son élément au théâtre que, contrairement au cinéma, où cet acteur à 1 million d’euros le cachet se soumet de bonne grâce au réalisateur, ici, c’est lui le patron. «S’il y a bien quelque chose d’important chez lui, c’est l’argent, confie Jean-Dominique Brierre. Fabrice prétend que sans lui, on devient fou dans ce métier, que seul l’argent reconduit au réel. » Un repère qu’il doit à son père. Le soir, chez eux, les Luchini comptaient les billets. Fabrice a gardé cet esprit « petit commerçant ». Quand il arrive au théâtre, la première chose qu’il demande c’est : « A combien on ouvre ? » Autrement dit, où en sommes-nous dans le tiroir-caisse ? C’est pareil avec les médias. Il n’y va que quand il a quelque chose à vendre.
La star s’y montre époustouflant. C’est en triomphant de la corrida audiovisuelle qu’il est entré dans le cœur des français. Par sa capacité à transformer un plateau télé en un happening où chacun devient acteur de son propre rôle. Mais une fois les projecteurs éteints, une fois dissipés le bruit et la fureur, ce faux clown ronronne encore plus sobrement qu’un moteur écologique dernière génération. L’âge aidant, il s’est assagi jusque sur le terrain de l’amour. Ce contempteur du couple qui s’est vanté d’être allé des milliers de fois aux putes, dont la relation avec Cathy de Beauvais, la mère de sa fille unique, Emma, n’a jamais été conventionnelle quoiqu’il lui ait été fidèle à sa manière, a trouvé chez sa dernière compagne une stabilité qu’il jugeait impossible – il est vrai que le décès, en 2009, de sa mère, qu’il considérait comme la femme de vie, n’y est sans doute pas pour rien… Elle s’appelle Emmanuelle Garassino. Elle a vingt ans de moins que lui, a fait sa carrière dans l’industrie pharmaceutique avant d’accepter de devenir son attachée de presse et sa metteuse en scène. Elle est aussi discrète qu’il est pudique et secret sous ses dehors extravertis. Malgré la fascination de Fabrice pour les politiques, Sarkozy, Hollande, Macron, ces deux-là ne succombent ni au snobisme, ni aux courbettes. Malgré un bref exil dans le 9e arrondissement de Paris, ils se sont finalement remisés dare-dare dans le 18e de son enfance. A l’occasion, Alceste aime aussi à disparaître dans sa maison de campagne de la vallée de la Cisse, entre Blois et Tours. Au vert. Avec son chien et les fugues de Jean-Sébastien Bach. Il gère son patrimoine en bon père de famille, avec des placements financiers dont il se méfie et une passion pour le foncier. Récemment, cet as du Monopoly a également vendu sa maison de l’île de Ré – qu’il avait prêtée en son temps au candidat Macron afin qu’il y parachève la rédaction de son programmatique ouvrage Révolution (sic) – pour acheter un domaine dans le Sud, en Provence, une « grosse affaire« , plastronne-t-il ! Mais pas de Lamborghini, de costards Hermès et autres souliers Berlutti ! On ne leur connaît en guise de folie récente que l’aller et retour en hélicoptère de l’Andalousie jusqu’à Tanger. C’est maigre. « A part le langage, ça n’est pas un jouisseur Fabrice. Il est très frugal », confirme Jean-Dominique Brierre. «A mon âge que voulez-vous que je fasse sinon travailler ? Je n’ai pas d’autres plaisirs », hausse-t-il les épaules. Avec deux films à l’affiche en ce début d’année et la reprise de La Fontaine et le confinement au théâtre Montparnasse depuis le 1er novembre dernier, il a du pain sur la planche. Prophétique, Michel Bouquet lui avait un jour glissé en aparté : “Tu n’es pas fait pour le bonheur, Fabrice, tu es fait pour le travail… » A bon entendeur, salut !
Cet article est à retrouver dans Gala N°1549 dans les kiosques ce jeudi 16 février 2023.
Crédits photos : Photo : Philippe QUAISSE / PASCO
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