Plus belle la vie : quand la télé devient réalité !

Alors qu’ont repris les tournages du feuilleton phocéen, ressuscité par TF1, Public a décidé de percer ses mystères. Au menu, des intrigues folles et un doux parfum de daube-pastaga : c’est Marseille, bébé !

On a cru qu’on ne les reverrait jamais ensemble, mais ce 11 oc tobre, ils étaient bel et bien réunis. Laurent Kerusoré, Cécilia Hornus, Sylvie Flepp, Stéphane Hénon, Lola Marois, Léa François – aka Thomas, Blanche, Mirta, Jean-Paul, Ariane, Barbara pour les fans de Plus belle la vie (PBLV) : tous avaient accouru dans le quartier marseillais de la Belle-de-Mai, pour visiter les nouveaux studios du feuilleton phocéen, bientôt sur TF1. Onze mois après son arrêt par France 3, c’était inespéré ! Autant dire que la joyeuse bande avait le sourire, enchaînant les selfies avec la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, venue de Paris pour l’occasion. Dès le lendemain, la bonne humeur serait balayée par une effroyable découverte, celle du cadavre de Marwan Berreni, retrouvé pendu dans une maison de Corcelles-en-Beaujolais dans le Rhône. L’interprète d’Abdel Fedala devait avoir un rôle prépondérant dans ce retour de la série : son personnage d’avocat parfois mafieux allait avoir un bébé avec son amour de lycée.

Mais après deux mois sans nouvelles de l’acteur, soupçonné par la police d’avoir renversé une femme en sortant de boîte de nuit, les équipes savent désormais que la réalité peut dynamiter toutes les intrigues. Dans PBLV, elles ont souvent été rocambolesques. Invraisemblables, même. Qu’une jumelle maléfique fasse des ravages, qu’un corbeau hypnotiseur sème la terreur ou que le Diable (carrément !) prenne les traits d’un businessman véreux : la place fictive du Mistral, inspirée du quartier du Panier, a été le théâtre des scénarios les plus fous. C’était pourtant loin d’être le cas au début. Le 30 août 2004, le premier épisode n’avait même rien de trépidant, retraçant le retour de la famille Marci après des vacances au Canada. “Tiens, le bar de ton père est fermé : il doit nous attendre avec les clés à la maison !” lance Blanche à son mari, en guise de première réplique. La dernière ce jour-là sera un cri de Ninon Chaumette, ado en fugue qui vient de se faire voler son sac à main sur la plage.

Quel suspense ! L’ambition est celle des soaps à l’américaine, malgré un pitch “transgénérationnel” et “non segmentant” : à l’exception du patron de bar, les personnages n’ont d’ailleurs pas l’accent marseillais, pour être plus universels. La recette n’entraîne toutefois que des chiffres décevants (6,1 % de parts d’audience pour la première semaine) et attire les railleries de toute la presse hexagonale. “On en a pris plein la tronche”, se rappelle dans un documentaire Rebecca Hampton, alias l’avocate Céline Frémont. “Les histoires n’étaient pas assez croustillantes. Il fallait du drame”, analyse de son côté Sylvie Flepp, l’hôtelière Mirta Torres.

Résultat : les scénaristes se décident à agir au bout d’un mois. Il était temps, on ne leur en a donné que six pour convaincre. Mais ils ont LA bonne idée : balancer de l’intrigue policière comme s’il en pleuvait et faire du commissariat un haut lieu du quartier, plus excitant que ce café fleurant autant l’aïoli que la naphtaline.

Des acteurs blacklistés

De placette tranquille, le Mistral se mue en coupe-gorge ! Serial killers assoiffés de sang et fous furieux en tout genre font une entrée en fanfare, rendant nettement moins belle la vie des héros de la série. Mais pour les téléspectateurs, c’est autrement plus palpitant ! Début 2005, ils sont 11,6 % en moyenne à se ruer sur la 3 chaque soir, à 20 h 20. Du côté des équipes, le rythme est éreintant : sortir un épisode de vingt minutes par jour (quand, au cinéma, on n’attend qu’un dixième de cette durée) n’est pas évident. “On tourne très vite”, avoue Cécilia Hornus (Blanche) au Point. Dans les colonnes de Public, Fabienne Carat (Samia) reconnaît même “parfois un peu d’abattage”. Les comédiens enchaînent les tournages de douze heures, avec du texte à apprendre pour le lendemain. Mais c’est la condition pour un épisode quotidien, qui colle à l’actu.

Le 25 décembre, les Mistraliens fêtent Noël avec les Français ; au début de l’été, eux aussi attendent les résultats du bac… Quand Notre-Dame prend feu ou Johnny décède, la série y fait mention illico. Et lors de la présidentielle, deux séquences sont même tournées pour garder celle qui correspondra à l’issue du vote… Bref, un autre regard sur l’info, à l’heure du journal télévisé ! Si les scénarios sont fantaisistes, le réalisme du calendrier est total, tout comme celui des décors de la place, où de fausses fientes de pigeon ont même été ajoutées. Dans les studios de 1 000 m2, chaque détail est pensé. Quant aux sujets abordés, ils reflètent la société. Alzheimer, euthanasie, chômage, handicap, harcèlement, viol… Les thèmes douloureux sont largement développés. Et de vraies avancées sociétales sont autorisées : lorsqu’en 2013, les personnages de Thomas et Gabriel se disent oui, c’est le premier mariage gay dans l’histoire de la télévision française. De même, la transidentité entre dans notre salon avec l’adolescente Clara qui décide de devenir Antoine. “C’est peut-être le meilleur objet de fiction engagée parce qu’il touche des millions de téléspectateurs”, estime dans Society la célèbre cinéaste Rebecca Zlotowski, un temps scénariste du show, sous pseudo. La série ne s’interdit rien, quitte à choquer en évoquant triolisme ou inceste.

En 2019, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, devenu l’Arcom, sera même saisi par des associations féministes, outrées par une histoire de gestation pour autrui. Les polémiques ont-elles décidé France 3 à arrêter les frais ? Ce sont surtout des audiences divisées par trois qui ont scellé le destin de la série sur le service public, face à la concurrence de Demain nous appartient (TF1) ou Un si grand soleil (France 2). En mai 2022, l’annonce est officielle : “Les attentes des téléspectateurs et la consommation des programmes ont évolué depuis 18 ans. Un renouvellement de l’offre créative est nécessaire”, argue la direction de France Télévisions dans un communiqué. Pour les acteurs, qui ont appris la nouvelle en même temps que le public, c’est la consternation. D’autant qu’il est compliqué de se recaser avec cette étiquette, malgré quelques reconversions réussies comme celle de Laëtitia Milot. Dans les castings, on fuit les acteurs de PBLV : s’ils sont devenus des stars populaires, à qui les fans envoient des demandes en mariage ou des poils pubiens, ils restent cheap pour beaucoup. “Avant d’être Roland, je passais 40 à 50 castings par an”, lançait le regretté Michel Cordes dans Society. “D’un coup, ça s’est réduit et il m’est arrivé d’être refusé par un producteur parce que je n’étais que ‘le Marseillais’ de service de Plus belle la vie.” “Où que j’aille, le Mistral se balade avec moi”, déplorait de même Laurent Kérusoré dans le livre Incarner une série, de Pierre Langlais (éd. Armand Colin). Désignant son job comme une “cage dorée”, il ajoutait : “C’est foutu : j’étais et je resterai Thomas Marci pour la plupart des spectateurs, des décideurs de chaîne et des producteurs.” La bonne nouvelle, c’est que TF1 lui a offert de garder le rôle de sa vie, avec des tournages qui viennent de reprendre et une diffusion prévue début 2024, réjouissant équipes et spectateurs. Plus belle, l’envie… 

L’amour sur un plateau

Serge Dupire & Rebecca Hampton

Alexandre Fabre, Marie Réache & Jules Fabre

Quand la réalité rejoint la fiction, et inversement… Dans Plus belle la vie, les couples d’acteurs se sont formés et défaits aussi vite que leurs personnages. Au rang des duos éphémères, on peut citer Serge Dupire (Vincent) et Rebecca Hampton (Céline), Stéphane Hénon (Jean-Paul) et Sacha Tarantovich (Irina) ou encore Dounia Coesens (Johanna) et Ambroise Michel (Rudy). D’autres ont en revanche duré : Cécilia Hornus et Thierry Ragueneau, les Blanche et François Marci de la série, mais aussi Avy Marciano (Sacha) et Diane Robert (Caroline), Juliette Chêne (Juliette) et Jean-Charles Chagachbanian (Franck), Élodie Varlet (Estelle) et Jérémie Poppe (Romain), ainsi qu’Emanuele Giorgi (Francesco) et Cécile Mazéas (Cécile). Quant à Marie Réache (Babeth) et Alexandre Fabre (Charles), ils étaient divorcés avant d’intégrer le show. Leur fils Jules y a d’ailleurs interprété Théo. Quelle grande famille que la télé !

Les rois du business

Pour la région marseillaise, Plus belle la vie est une vraie cash machine, attirant des centaines de milliers de touristes, faisant vivre d’énormes studios et employant des milliers de gens, dont 3 290 acteurs et 58 000 figurants à ce jour. Sans compter qu’au fil des ans, les produits dérivés se sont multipliés, notamment vendus dans une boutique située dans le quartier du Panier, qui a inspiré le Mistral. On dit merci qui ? Merci les Marci !

Des renvois en cascade

Au Mistral, les acteurs se sont parfois pris de bons gros vents, se faisant virer sans ménagement. Ainsi, Sara Mortensen (Coralie), a été remerciée pour avoir demandé quelques mois off, le temps de tourner Astrid et Raphaëlle, sur France 2. De même, Cécile Auclert (Vera) avait dénoncé avoir été “éjectée sans explication” ; Hélène Médigue (Charlotte) se serait fait évincer pendant son congé maternité et Céline Vitcoq (Wendy) n’a jamais compris pourquoi son personnage avait été tué. La loi des séries !

Des stars en coulisses

Benedicte Delmas

À l’écran, les guest-stars n’ont pas manqué, des chanteuses TAL et Joyce Jonathan à l’ex-tenniswoman Justine Hénin, en passant par le comédien Yves Rénier ou l’animatrice Adriana Karembeu. Dans les équipes techniques, se cachaient aussi quelques vedettes… dont la réalisatrice Bénédicte Delmas, qui jouait Laure dans Sous le Soleil. Et côté scénaristes, on trouvait une autre actrice de feuilleton, Karine Lollichon, la méchante Nathalie de Hélène et les Garçons.

Maëlle Brun

Chronologie

AOÛT 2004 : DES DÉBUTS COMPLIQUÉS

L’idée d’un show célébrant le vivre-ensemble était belle, mais les premiers épisodes ne parviennent pas à convaincre, avec 6,1 % de parts d’audience.

AUTOMNE 2004 : POLICE SECOURS

Face aux mauvais scores, les équipes choisissent de donner au feuilleton un tournant policier, avec des intrigues de plus en plus folles. Tremble, NCIS !

2013 : MARIAGE POUR TOUS

Avec l’union des personnages Thomas Marci et Gabriel Riva, la série est la première à célébrer un mariage gay en France. Une jolie avancée.

2015 : JAMAIS DEUX SANS TROIS

Une scène de triolisme sous poppers choque les foules. Mais les scénaristes assument, se disant décidés à parler de tout, sans tabou.

18 NOVEMBRE 2022 : CLAP DE FIN

Sur France 3, le dernier épisode prend la forme d’un bouquet final enchaînant les mariages improbables. Acteurs et fans ne sont pas à la noce.

DÉBUT 2024 : LE GRAND RETOUR

Bonne nouvelle : PBLV débarque sur TF1. Les tournages ont d’ailleurs repris à Marseille, dans des studios flambant neufs. Vent de changement sur le Mistral

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