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Patrick Juvet : le chanteur regardait la mort sans appréhension
Quarante ans de carrière, une décennie de tubes, dont un I Love America qui le hissa en tête des ventes aux Etats-Unis… Patrick Juvet est mort à 70 ans. En 2016, pour la première fois chez lui, à Barcelone, il nous racontait l’envers du décor.
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Patrick Juvet
Ce jeudi 1er avril, Patrick Juvet est mort à l’âge de 70 ans, a annoncé son agent sur Twitter. Le célèbre interprète de la chanson Où sont les femmes ? et compositeur pour Claude François, a été retrouvé dans un appartement à Barcelone, où il avait élu domicile depuis plus de vingt ans. En 2016, deux ans avant la mort de sa mère adorée, Gala le rencontrait chez lui, à Barcelone.
(ARCHIVES) On le croyait immigré en Espagne pour des raisons fiscales. Il n’en est rien. Las de dix années passées dans le smog londonien, Patrick Juvet s’est installé à Barcelone, il y a seize ans, pour le climat, simplement. On avait donc jugé sans savoir. Une fois de plus pourrait-on dire, car les préjugés, en ce qui le concerne, on pourrait en faire un chapelet. Sans doute parce que cet homme qui a vendu vingt-cinq millions de disques et travaille actuellement sur une version américaine de Où sont les femmes ? (idée que lui a soufflée Pharell Williams), s’est toujours tenu dans un entre-deux : éducation calviniste, réussite dans le show-biz ; visage et manières de fille, mais habitant le lit des femmes, tout autant que celui des hommes… Funambule aussi perché que l’est sa voix, ne choisissant aucun camp, la légèreté qu’il pratiquait s’est vite transformée en identité. Patrick Juvet a souvent été réduit à l’image d’un chanteur à paillettes aussi lisse que le col de sa veste de satin ! Le petit provincial suisse a payé cher le fait d’oser aller tutoyer ses rêves. Il ne cache pas qu’il aurait pu y laisser sa peau. Tard, dans la lumière orangée d’un bar d’hôtel, à quelques rues de chez lui, attablé devant le troisième coca de la journée –il ne boit plus d’alcool-, il nous dit qu’à l’époque où il était à bout de tout, mais heureusement pas tout à fait de lui-même, c’est un petit livre qui lui a « sauvé la vie », et il cite Lettres à un jeune poète, de Rainer Maria Rilke. Patrick a donc cherché en lui-même à apprivoiser cette solitude que l’écrivain décrit comme « une demeure de douce lumière, loin de laquelle passera le bruit des autres ». Aujourd’hui il s’y sent bien. « Ici, je ne fous rien ! J’ai un vie cent pour cent contemplative ! La nuit, je visionne des films, parfois dix d’affilée, la journée, je mets des chaînes musicales, j’aime aussi regarder Thé ou café, l’émission de Catherine Ceylac, j’adorerais qu’elle m’y invite ! » Il vit seul aussi. « Ni femme, ni chien, ni chat », précise-t-il. Il aurait pu ajouter « Ni homme », n’ayant jamais fait tabou de sa bisexualité. Tous les soirs, à vingt-et-une heures, il appelle Janine, sa maman. Elle a quatre-vingt-huit ans et vit en Suisse. Elle s’inquiète de la solitude de son fils. Patrick, attendri, s’en amuse. Et puis il a ses galas. « Je pourrais très bien arrêter car en tant que compositeur (il a en effet composé toutes ses chansons, ainsi que Le Lundi au soleil, de Claude François, ndlr), j’ai des droits d’auteur et une retraite qui tombent. Habitant en Espagne, je pourrais bénéficier d’une fiscalité plus légère, mais comme je n’ai pas envie de m’embarrasser avec la paperasse, j’ai demandé à la Sacem de prélever l’impôt à la source et je vis avec ce qui reste. Mais si demain tu m’enlevais les galas, ma vie n’aurait plus aucun sens ! Aucun ! Moi je ne fais pas des « hold up » comme disent certains, j’ai un orchestre, et chaque fois, c’est comme si c’était la première. »
« Aux yeux de tous, j’étais foutu. »
C’est pour fuir l’ennui de son enfance suisse et sa famille que Patrick Juvet s’est lancé tout gamin dans le show-biz –avec un bref détour par le mannequinat. Il voulait être « quelqu’un ». Il se sentait incompris de son père avec lequel il ne partageait que le piano (Patrick a suivi les cours du conservatoire de sept à dix-sept ans, ndlr). Il se sentait aussi à l’étroit dans sa campagne, lui, avec son solex jaune, ses cheveux décolorés et ses attirances sexuelles doubles. « On me traitait de « tapette », je le vivais très mal, mais au lieu de rentrer dans le rang, j’en rajoutais. J’avais besoin de montrer que j’existais. » Il l’a montré. En 1971, à Paris, il rencontre Florence Aboulker, attachée de presse de seize ans son aînée qui a alors le bras long, et qui va croire immédiatement en ce garçon si beau que Claude François dira « L’homme idéal, le plus parfait, c’est Patrick Juvet ». Ils seront partenaires. Jusque sous les draps. C’est elle qui lui fera des avances. « Au début, elle ne m’attirait pas, mais elle avait une telle élégance, un tel charme, une telle intelligence… », bref, il en tombe amoureux. Ce sera alors les tubes La musica, Rappelle-toi minette… Ce sera aussi un premier Olympia, aigrette de diamant dessinée sur le visage, look glam-rock réalisé par le maquilleur d’un certain David Bowie. Puis viendra l’époque Jean-Michel Jarre dont Patrick tombe éperdument amoureux –désir à sens unique- et qui verra naître Où sont les femmes ?, Faut pas rêver. Mais quand le chanteur électro lui annonce qu’il a trouvé l’amour avec Charlotte Rampling, Patrick vacillera. Malheureux, il fuira la France. Cherchera à panser ses bleus à l’âme dans la folie américaine. Ce seront les années Studio 54. Le titre I Love America le hisse en tête des ventes dans quinze pays, mais lui coule. S’il ne touche pas aux drogues et autres hallucinogènes (« Je crois que je suis trop suisse pour le LSD ! »), l’alcool devient son seul horizon. « Quand on commence à trembler dès le réveil, à avoir besoin d’une bière ou de n’importe quelle boisson alcolisée pour que ça passe, on a le choix entre continuer et sombrer ou se soigner et vivre. J’avais trente-deux ans et je n’avais pas de désir suicidaire. Il y a eu un long parcours à faire, avec forcément des rechutes plus violentes les unes que les autres. J’entendais les gens dire derrière mon dos : « C’est triste ! ». Aux yeux de tous, j’étais foutu. Cela m’a pris dix ans pour m’en sortir. Et dix ans pour me stabiliser. » Ressuscité, Patrick dit qu’il a toujours eu de la chance. Même quand il a fait un AVC sur la tournée de Age tendre et Têtes de bois, il y a quelques années, et qu’il en est sorti sans séquelles, il a remercié ce « quelque chose qui [le] protège ». La mort, il la regarde sans appréhension. Il a déjà tout réglé en Suisse. La vieillesse lui fait bien plus mal. « C’est vrai que maintenant je n’ai plus envie de faire de télé ou de photos. Quand je me vois par rapport à avant, c’est dur. Alors c’est sans doute du narcissisme, c’est tout ce qu’on veut, mais c’est difficile à accepter. » Lors de ses « années américaines », il s’est fait refaire les lèvres et « c’est raté ! On ne voit que ça ! A l’époque on utilisait de la silicone, je suis allé voir plusieurs médecins depuis, mais c’est irratrapable. On m’a conseillé dernièrement de me faire retendre le cou, mais est-ce que ça vaut la peine dans le fond ? Est-ce que ça me rendrait plus heureux ? Si demain on me propose le rôle de Dracula dans un film, ça pourrait être plus marrant avec ma tête, non ? Alors à quoi bon… »
« Que je passe à autre chose… »
Ce sens de l’autodérision, Patrick Juvet s’y drappe comme il le ferait d’une couverture de survie. Mais derrière, il y a une lucidité au vitriol. Quand on avance qu’il pourrait faire un retour à la Renaud, il lâche : « Renaud est un chanteur à texte, engagé, il était attendu. Ce n’est pas mon cas. D’ailleurs quand j’ai voulu revenir, en 1992, avec un album plus intime (Solitudes, ndlr), auquel ont contribué Luc Plamondon, Marc Lavoine et Françoise Hardy, il est resté confidentiel. On m’attend dans du disco, avec ma voix de tête. Je ne peux pas en sortir. » Et composer de nouveau ? « Ç’a été vital, mais ça ne l’est plus. Les concerts, oui, je m’ennuie énormément quand je n’en ai pas, mais je n’ai plus envie de créer. Et surtout je n’y arrive plus. Avant, quand je voyais un piano dans une pièce, c’était comme voir un gateau au chocolat, je me jetais dessus. Je jouais pour me détendre et puis, tout à coup, comme si un canal me reliait à je ne sais quoi, une mélodie naissait et ça devenait un tube. Maintenant, j’ai l’impression que quelque chose est cassé. Et je suis désolé de devoir dire que je ne sais ni pourquoi j’ai pu avoir pendant une dizaine d’années cette inspiration, ni pourquoi je ne l’ai plus. Peut être qu’il faudrait juste que je passe à autre chose… » Et sur l’écran noir de ses nuits blanches, des rêves de cinéma se dessinent.
Crédits photos : Patrice Lapoirie / Nice Matin / Bestimage
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