Nadia Tereszkiewicz : "Avec Rosalie, je me suis interrogée sur ma propre féminité"

Depuis un an, elle est devenue l’une des jeunes actrices les plus en vue du cinéma français. Impressionnante dans Les Amandiers, en compétition officielle en 2022, pour lequel elle a gagné le César 2023 du meilleur espoir féminin, irrésistible dans Mon crime, la comédie à succès de François Ozon, elle vient d’éblouir la Croisette avec Rosalie, de Stéphanie Di Giusto, présenté dans la catégorie Un Certain Regard.

Inspiré d’une histoire vraie, le rôle d’une « femme à barbe » à la fin du XIXème siècle, et une ode à la différence dans laquelle elle démontre une nouvelle fois toute la palette de son talent. Rencontre sur la plage Ondine, entre deux averses.

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Nadia Tereszkiewicz dans la peau d’une femme rejetée

Marie Claire : Est-ce qu’en lisant le scénario, le personnage de cette femme à barbe vous a tout de suite attirée ou a-t-il pu vous effrayer ?

Nadia Tereszkiewicz : J’ai été attirée en deux secondes. C’est le destin d’une femme, il y a quelque chose de grand et de romanesque dans ce récit, quelque chose qui vous emporte. Et puis c’est une histoire d’amour. Mais pas une histoire d’amour banale, une grande d’histoire d’amour. Enfin, Rosalie évoque des problématiques auxquelles on peut d’identifier.

Lesquelles ? En quoi vous êtes-vous sentie proche de cette femme différente ?

J’aime que ce film parle du regard des autres, et de la différence. Je me suis retrouvée dans l’envie de Rosalie de fonder une famille, l’envie d’être amoureuse, d’avoir des enfants. L’envie tout simplement d’être une femme. Elle veut l’être, en dehors des normes de la société. Cette volonté m’a beaucoup touchée.

Après, je n’ai même pas pensé en lisant le scénario qu’il faudrait faire heures de prépa le matin pour ce personnage…

Rosalie est rejetée pendant la moitié du film, et moi je l’ai été aussi par Benoît Magimel.

L’idée de cette apparence physique qui allait être la vôtre pendant des semaines, celle d’une femme avec une barbe et très poilue, ne vous a pas rebutée ?

Non, pas du tout, j’aime trop le cinéma pour ça. Au contraire, je suis heureuse de pouvoir me transformer. Même si cela n’a pas été facile tous les jours. Déjà, les conditions de tournage étaient assez dures. Je dormais sur le décor parce que les logements étaient à 40 minutes de là, et comme ma préparation physique commençait à 5 heures du matin, je ne pouvais pas me permettre de dormir loin.

Mais le décor était très austère, je dormais dans une sorte de petite cahute. C’était très bizarre ! Je me sentais seule et cela m’a aidé à construire le personnage. Heureusement, Stéphanie Di Giusto, la réalisatrice, a été d’une immense bienveillance avec moi, elle m’a soutenue de A à Z, m’accompagnant dans les moindres gestes difficiles de mon rôle.

Ensuite, ce qui a plus compliqué concrètement, c’est ma peau. Elle est très fragile et j’ai mis un mois et demi, presque deux mois, à m’en remettre. J’ai eu des problèmes de peau, des douleurs. J’avais une sorte de film protecteur sur le visage, qu’on devait arracher tous les soirs. La barbe était collée poil par poil dessus. C’est une grande spécialiste du poil à poil qui l’a réalisée, et son travail relève de l’art. Et puis il y avait beaucoup à faire aussi pour la coiffure, le maquillage, la conception du corset… un gros travail artistique de toute une équipe pour créer cette Rosalie.

Les scènes aussi étaient difficiles émotionnellement. Elle est rejetée pendant la moitié du film, et moi je l’ai été aussi par Benoît (ndlr : Benoît Magimel, son partenaire qui joue le rôle de son mari dans le film).

Que voulez-vous dire ? Quelle a été son attitude sur le tournage ?

J’ai compris après le tournage à quel point il m’avait fait un immense cadeau de jeu. Benoît travaille comme ça : pendant la moitié de l’histoire, il ne doit pas m’aimer, mais me rejeter. Du coup, on ne se parlait pas en dehors des prises, ni à la cantine, ni dans les loges. Et je me suis sentie rejetée et isolée pour de vrai.

J’avais envie de lui plaire, j’étais intimidée, je cherchais à attirer son attention. J’étais complètement Rosalie. Stéphanie Di Giusto recherchait cela aussi dans sa direction d’acteurs. Et Benoît fonctionne ainsi. Cest un immense acteur. Il ne peut pas faire semblant, il est obligé de créer quelque chose de vrai.

Quand son personnage a commencé à aimer Rosalie, j’ai vu qu’il y avait une vraie connexion qui se créait entre nous, et elle semblait sincère. Cela s’est construit dans le temps et je le remercie car sans cela, si on avait bu des coups entre les prises en rigolant, ça n’aurait pas été le même film.

Injonctions et désirabilité

Rosalie est une femme isolée par sa différence, et qui se révèle extrêmement courageuse quand elle essaye de se faire accepter malgré tout, pour vivre normalement. Est-ce cela qui vous a touchée chez elle ?

Elle a une rage de vivre qui lui permet d’affronter le regard des autres. Elle a besoin d’en faire presque trop pour pouvoir assumer sa différence dans la société. Elle est vraiment elle-même quand elle est barbue. Cela la révèle même en tant que femme de la porter, et ça c’est hyper beau. Elle est une femme avec sa barbe et ses poils, et c’est tout. Ce n’est pas un acte de rébellion.

J’arrivais tous les matins sur le plateau de Rosalie en étant mal dans mon corps.

J’ai adoré explorer le rapport au corps, c’est quelque chose qui me parle, j’aime approcher les rôles de façon très physique. J’ai fait quinze ans de danse classique, avec une vraie formation professionnelle. Je sais ce que c’est qu’un corps sans cesse mis à l’épreuve. Je travaillais toujours plus, j’avais toujours mal, je dansais avec des blessures, il y a une rigueur physique à tenir. La danse classique vous apprend à ne jamais vous aimer, ce n’est jamais assez bien. Il faut être insatisfait pour viser la perfection. Cela isole aussi, on travaille beaucoup seul.e. Et puis ce que raconte Rosalie, ce n’est pas juste une histoire de poils, c’est une histoire de différence, de jugement. J’ai vu à quel point on n’ose pas faire des choses à cause du regard des autres. Cela m’a beaucoup questionnée là-dessus, et aussi sur ma propre féminité, sur le désir dans un couple…

Qu’est-ce que cela vous a appris sur votre féminité ?

On peut tou.tes avoir des complexes, donc forcément il y a des résonances. Rosalie m’a déstabilisée. Déjà j’avais honte. Franchement, j’arrivais tous les matins sur le plateau, face à toute l’équipe, en étant mal dans mon corps. Même si tout le monde savait que c’était un artifice, il y a quelque chose de charnel.

Comme j’ai essayé d’être la plus vraie possible, j’ai eu l’impression de donner quand même quelque chose de moi-même. Au début, sur le tournage, je me sentais mal, pas féminine. À un moment il a fallu passer le cap, se sentir bien dans son corps. Mais cela pose plein de questions : à quel moment on se sent désirable ? Est-ce qu’elle l’est, est-ce qu’elle a le droit de l’être avec tous ses poils ? Qu’est-ce qui fait qu’on est une femme ? C’est déroutant…

Les poils ont été soit fétichisés, soit rejetés. Il y a même une expo à Paris en ce moment, Des cheveux et des poils, qui évoque cela.

Rosalie dit dans une scène du film : « Ce n’est jamais simple d’être une femme ». Une phrase qui résonne encore aujourd’hui selon vous ?

Complètement. La distance du film d’époque permet de réfléchir sur aujourd’hui. Le film est féministe dans ce sens où elle fait ce qu’elle veut.

Le soutien des marques au cinéma 

Depuis Les Amandiers l’année dernière, puis le César en février, et le succès du film de François Ozon dans la foulée, vous êtes partout et tout va très vite pour vous. Trop vite ?

Je suis juste heureuse de ce qui m’arrive. J’ai beaucoup de chance, j’ai rencontré des gens qui ont changé ma vie, ma vie professionnelle, ma vie tout court. Les tournages, ce sont aussi des moments de vie, des souvenirs, cela m’a construite. J’ai l’impression d’avoir mille vies en une, et de les vivre à toute vitesse. Je pense qu’il y a un moment pour chaque chose et que là, c’est une période où j’ai envie de ça. Je prends une pause cet été.

Bon, ce n’est peut-être pas une vraie pause non plus : je vais faire de la danse-théâtre à Berlin, avec notamment un danseur de Pina Bausch. C’est un workshop d’été avec des danseurs professionnels. Une sorte de pause-plaisir avant de commencer un nouveau tournage en septembre.

Être à Cannes pour y présenter un film, pour vous c’est plutôt du plaisir ou de la peur ?

C’est une chance immense. C’est le seul endroit où je peux déjeuner à côté de Mads Mikkelsen, lui dire tout le bien que je pense de son travail. J’en avais les larmes aux yeux parce qu’il a été danseur lui aussi…

Il y a beaucoup de stress évidemment par rapport à la façon dont le film qu’on présente va être reçu. Vis-à-vis de la mode aussi : je suis ambassadrice Dior, et Tiffany me suit aussi pour le Festival. Ce sont des marques immenses et qui me soutiennent, donc j’ai envie d’être à la hauteur. C’est important quand on est actrice de savoir comment on se présente, quelle facette de soi on montre aux autres, comment on aborde un tapis rouge etc… Ce qu’on ose ou pas… les choix ne sont pas anodins.

Pour votre génération, cela fait aujourd’hui partie intégrante du métier d’actrice d’être accompagnée par une maison de mode ?

Ce n’est pas une obligation, mais je ne sais pas comment on se débrouille sans. Dans mon cas, avant ,70% de mon stress était de savoir comment j’allais me présenter quand il y avait des occasions officielles…

Aujourd’hui, je n’ai plus trop à réfléchir à mon apparence, plus besoin de me regarder dans la glace. Je me sens accompagnée, en confiance, quel soulagement !

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