Musée du Luxembourg : quand les femmes peintres font leur révolution

Avant d’admirer les 70 œuvres de Peintres femmes, 1780-1830, au Musée du Luxembourg, à Paris, rencontre avec Martine Lacas, la commissaire d’exposition. Focus sur cette parenthèse enchantée où les femmes se sont mises à l’œuvre au grand jour.

Le Musée du Luxembourg raconte l’éclosion d’un phénomène nouveau, favorisé par la Révolution française, puis éteint par la Monarchie de Juillet en 1830. Docteur en histoire et théorie de l’art, Martine Lacas compose ici un tableau vif qui dépeint l’évolution des mœurs et la folle ténacité de ces femmes, pas toutes bien nées, pas toutes portées par le sérail de l’art. Cette chercheuse a dédié son catalogue à ses sept enfants «pour souligner qu’il ne faut pas choisir entre maternité et vocation». Elle s’attelle désormais à un vaste répertoire des femmes artistes au XIXe siècle.

Madame Figaro. – Vous dépeignez l’éclosion des peintres femmes dans le sillage de la Révolution. Pourquoi s’arrête-t-elle à la Monarchie de Juillet ?
Martine Lacas. –
Il y a une grande affluence d’artistes dans les salons, des rendez-vous culturels majeurs, qui y convoitent tous une éventuelle réussite. Dont nombre de femmes plus ou moins bien formées, et soumises à une critique bien plus sévère que les hommes. Mais la société de la Monarchie de Juillet tend à ramener les femmes au foyer.

Quelles sont les pionnières ?
La plus ancienne famille d’artistes, et la plus restreinte, regroupe les Académiciennes. Les premières sont admises en mai 1783 à l’Académie royale de peinture, et leur nombre est limité à 4. La plus célèbre, Élisabeth-Louise Vigée Le Brun, quitte la France dès 1789, parcourt avec grand succès les cours européennes, de l’Italie à la Russie : j’ai donc choisi l’Autoportrait de l’artiste peignant le portrait de l’impératrice Elisaveta Alexeevna, 1800, pour ouvrir l’exposition. Pour être admise, elle aussi, la pastelliste Adélaïde Labille-Guiard doit se former à l’huile auprès de l’académicien François-André Vincent, son ami d’enfance, et en fait poser d’autres, comme Joseph-Benoît Suvée. Certaines connurent une fin tragique comme Rosalie Filleul de Besnes, en 1794, qui abandonna la peinture après son mariage. «Hélas ! je me souviens qu’au moment où j’allais quitter la France pour fuir les horreurs que je prévoyais, Madame Filleul me dit : “Vous avez tort de partir, moi je reste, car je crois au bonheur que doit nous procurer la révolution.” Et cette révolution l’a conduite à l’échafaud», écrit Vigée Le Brun dans sa correspondance. Dans son Autoportrait peint en 1775, Rosalie Filleul de Besnes a 23 ans.

Quelles sont les typologies d’artistes femmes ?
Vers 1800, ce qui est nouveau, ce sont des femmes qui se lancent dans la carrière d’artistes sans pour autant appartenir à une famille d’artistes… Comme l’étaient en revanche Marguerite Gérard, dont la sœur Marie-Anne est miniaturiste et l’épouse de Jean-Honoré Fragonard. Ou Marie-Éléonore Godefroid, dont la grand-mère, la «veuve Godefroid», était la restauratrice du roi et dont le père, peintre comme aussi son frère, reprit l’atelier maternel. Ou encore Marie-Nicole Vestier, à la fois fille et épouse de peintre. J’aime particulièrement L’Auteur à ses occupations, son autoportrait peint en 1793, qui la montre symboliquement entre palette et berceau. Dans les ateliers qui se créent pour accueillir les femmes, les mères, sœurs et compagnes des maîtres sont souvent impliquées au quotidien pour le suivi des travaux.

D’où viennent ces générations spontanées d’artistes femmes ?
Elles sont un certain nombre ! Leur parcours ne se traduit pas forcément par une touche singulière, si ce n’est celle de leur apprentissage jusqu’à leur indépendance stylistique. Marie-Guillemine Benoist, formée par Élisabeth Vigée Le Brun, entre en 1786 à l’atelier de David, investi sous l’Empire dans la fonction de «Premier peintre» par Napoléon Ier. Hortense Haudebourt-Lescaut est fille d’un parfumeur et bourgeois de Paris : le Louvre a son Portrait de l’artiste, peint en 1800, qui clôt l’exposition. Pauline Auzou est élève de David après avoir fréquenté l’atelier de Jean-Baptiste Regnault. Marie-Joséphine-Angélique Mongez, épouse de l’archéologue Antoine Mongez, deviendra l’une des rares femmes peintres d’histoire sous le Directoire et le Ier Empire.

Pourquoi avoir choisi cette belle qui lace sa chaussure comme affiche ?
Le Portrait présumé de Madame Sostras laçant son chausson, peint en 1802 par Marie-Denise Villers, clin d’œil à l’Hermès rattachant sa sandale qui est entré au Louvre en 1798, est justement un dépôt du Louvre au Musée de la Chaussure de Romans-sur-Isère. «Nisa» Villers était une artiste assez fameuse pour qu’un voyageur anglais, faisant la tournée des ateliers parisiens, lui rende visite sur les conseils d’une peintre anglaise qui séjournait souvent à Paris. Les guides et leurs recommandations n’existaient pas encore.

Peintres femmes, 1780-1830. Naissance d’un combat, dès que la situation sanitaire le permettra jusqu’au 4 juillet, au Musée du Luxembourg, à Paris. Et, suivez en ligne le Mooc Peintres femmes, à travers les âges sur museeduluxembourg.fr

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