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Marion Cotillard sur l'écologie : "Je suis dépitée par le non-engagement et l’inaction"
Neuf heures tapantes un lundi matin d’octobre. La voix qui nous parle à l’autre bout du fil trahit un soupçon d’éraillement – l’anniversaire, peut- être, son 47e, qu’elle a fêté deux jours avant, le 30 septembre 2022 – mais rien de monocorde chez Marion Cotillard.
Certes, le ton est posé, le débit adagio, avec le temps qu’il faut pour que vienne le mot juste quand il s’agit de défendre les engagements socio-environnementaux qu’elle porte depuis deux décennies. Mais le ton monte vite dès qu’une colère la traverse, dès qu’un non-sens lui saute à la figure, actrice atterrée par l’incurie de nos dirigeants à l’endroit de l’écologie et par la persistance des inégalités femmes-hommes.
Marion Cotillard lance sa boîte de production engagée
Sur tous les fronts, on l’a vue dans une vidéo virale, à laquelle Binoche, Adjani, Huppert et autres célébrités ont aussi participé, se couper une mèche de cheveux en soutien aux Iraniennes qui luttent pour leur liberté – avec, en corollaire, des critiques qui ont surgi sur les réseaux sociaux quant à la portée potentiellement vaine du geste des actrices…
Sur l’écologie, Marion Cotillard dit souvent : « Il y a du boulot. » Et elle en prend sa part : en juin dernier, elle a fondé, avec ses camarades Cyril Dion – le réalisateur planet-friendly à qui l’on doit, coréalisé avec Mélanie Laurent, le documentaire à succès Demain – et Magali Payen – experte en mobilisations citoyennes –, la société de production Newtopia. Des films qui s’emparent d’un monde à changer, inclusifs, les plus vertueux possibles dans leurs conditions de réalisation… Voilà ce qui, de cette boîte de prod d’un nouveau genre, sortira (au programme, entre autres, une mini-série sur la pionnière de l’écoféminisme Françoise d’Eaubonne et une adaptation, par Cyril Dion, d’un roman utopiste de Pierre Ducrozet).
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Une Madame Tout-le-Monde qui a séduit Hollywood
Elle porte et compte, la voix de Marion Cotillard. Elle mute et se grime, aussi, se parant d’inflexions qu’on ne lui connaissait pas dans le film d’animation Charlotte, d’E´ric Warin et Tahir Rana : l’actrice y double Charlotte Salomon, jeune juive allemande martyrisée par le régime nazi, peintre prodige surtout, dont on redécouvre depuis peu les toiles foisonnantes, et c’est avec, dans la voix, des teintes automnales, angoissées, lumineuses, qu’elle lui donne chair.
C’est une actrice-icône, l’une des rares Françaises qui, à Hollywood, s’est fait un nom pérenne (James Gray, Christopher Nolan, Robert Zemeckis et d’autres l’ont enrôlée), qu’on interroge, rompue aux usages de l’interview, chez qui rien de trop privé ne filtre : sur sa séparation récente d’avec Guillaume Canet, elle nous fera comprendre en toute amabilité qu’elle restera coite.
En fond sonore de notre discussion, il y a un moteur qui ronronne, des clignotants qui s’allument, un tunnel parfois. Elle est sur le chemin de l’école, celle de son fils, intimant à celui-ci, en aparté, d’enfiler son manteau pour ne pas aggraver sa crève, puis riant, une fois la portière claquée par le garçon de 11 ans, du fait que, bientôt, il refusera qu’elle le dépose devant le collège.
Voix de superstar, voix de pasionaria, peut-être, mais dont les accents spontanés de Madame Tout-le-Monde nous charment par-dessus tout.
Derrière le calme apparent, une âme qui bouillonne
Que ressentez-vous face aux tableaux de Charlotte Salomon, cette peintre juive allemande des années 30-40 à laquelle vous prêtez votre voix ?
Il y a dans son travail un mélange de naïveté et de puissance que je trouve singulier, vibrant, et qui m’a bouleversée. J’aime aussi ces écritures qu’elle inscrit dans ses tableaux : comme dans les graffitis (quand ils sont bons), cette revendication par le mot me semble forte. Ceux qui écrivent sur les murs ou, comme elle sur la peinture, me touchent, sans que je sache expliquer pourquoi.
Comme si c’était la voix intérieure de l’artiste qui parlait ?
Il m’arrive non pas de peindre, mais de faire des collages : je n’oserai jamais appeler ça « œuvres d’art », mais disons que c’est une activité créative que je fais totalement dans mon coin, que je ne partagerai jamais avec personne et qui me fait du bien. Et sans que j’aie besoin que quiconque décrète que j’ai un talent particulier pour ça !
Et du coup, dans mes collages, j’insère moi aussi des mots : comme une partie de moi-même, oui, à qui je parlerais…
Comment avez-vous composé la voix de Charlotte, et comment, malgré son destin si tragique, elle qui a été assassinée à Auschwitz, fait-on pour ne pas tomber dans le pathos ?
Dans ce dessin animé, il y a à la fois la naïveté, la simplicité du trait et la dureté de ce qu’on raconte. Je pense qu’on entend tout ça dans ma voix : un calme apparent, même si à l’intérieur, ça bouillonne.
Charlotte a vécu des choses extrêmement violentes, mais toute cette violence, celle qu’a subie une jeune fille juive parce qu’elle était juive, elle l’a mise dans son art, elle s’est battue avec sa peinture. Elle, à l’inverse de ses toiles, n’avait rien d’une figure dramatique.
Vous avez fait beaucoup de doublages de dessins animés. C’est une liberté de n’incarner un personnage que par la parole, sans que votre visage ou votre corps n’entrent en jeu ?
C’est sûr que ça me prend moins de temps le matin pour me préparer ! Mais cet aspect-là est mineur : ce que le dessin animé me permet d’aborder, même si j’essaie toujours de trouver ma liberté quand j’incarne physiquement quelqu’un, ce sont des personnages plus fous que ceux que le cinéma me propose…
Elle était quand même un peu folle, dans Les fantômes d’Ismaël de Desplechin, cette Carlotta que vous interprétiez, qui revient dans la vie de son mari comme si de rien n’était alors qu’on la croyait disparue, non ?
Ah vous la voyez comme ça, vous, cette pauvre fille ? Zinzin, peut-être. Perdue, en tout cas. Mais on n’est pas non plus dans la méchante psychopathe, comme cette Scarlet Overkill que je doublais dans Les Minions et avec qui je m’étais éclatée. Pour elle, j’avais inventé un rire de sorcière folle, genre « AHAHAH » (elle mime le rire, le téléphone grésille, ndlr), j’avais complètement transformé ma voix, avec ce truc pété du casque que seul le dessin animé permet et que j’adore comme spectatrice – d’ailleurs, même avant d’avoir des enfants, je ne ratais pas un Pixar ni un Miyazaki.
L’actrice « révoltée » par les inégalités salariales persistantes
Charlotte nous raconte aussi la trajectoire d’une artiste femme dont l’œuvre a été invisibilisée par l’histoire. Vous êtes sensible à cet aspect-là ?
Ah oui ! On a tous à prendre conscience que dans l’art, mais aussi la science, la mode, la gastronomie, dans tous les domaines en fait, il y a eu un effacement des femmes. Ça s’explique par le patriarcat, le pouvoir que s’accaparent les hommes, l’accès à l’éducation, moins grand pour les femmes que pour les hommes, mais il faut continuer à creuser le pourquoi de cette mise à l’écart (il y a du boulot) pour qu’un jour, j’espère, on puisse regarder une œuvre au-delà du sexe de celui ou celle qui l’a créée.
Et puis, plus matériellement, parlons aussi des salaires : qu’on ait encore à se battre pour que les femmes, quel que soit leur métier, soient payées autant que les hommes, c’est révoltant.
Quand on est actrice, on traverse des choses magnifiques, mais d’autres extrêmement dures.
Vous avez déjà tapé du poing sur la table pour être payée au même niveau qu’un confrère acteur ?
Non, car je ne me suis jamais retrouvée en situation de l’exiger. Quand un homme a été mieux payé que moi, c’est qu’il avait un rôle plus important ou une notoriété plus grande et ça, je l’entends.
J’ai déjà été mieux payée qu’un homme pour les mêmes raisons. Mais à métier et à niveau égal, qu’une actrice soit moins payée qu’un acteur, ça n’a pas de sens et ça doit cesser.
Contrairement aux États-Unis, où Jennifer Lawrence ou Patricia Arquette s’expriment haut et fort sur le sujet, on entend peu de voix, ici, pour dénoncer les inégalités salariales…
On vit dans un pays qui n’a pas le même rapport à l’argent : parler de son salaire, en France, c’est beaucoup moins admis !
Il y a quelques années, dans une interview sur France Inter, vous regrettiez de n’avoir pas assez joué avec d’autres actrices. Qu’est-ce qui vous exalte si spécialement quand vous partagez l’affiche avec une autre ?
J’ai une passion pour les actrices. À chaque fois que j’ai travaillé avec l’une d’elles, un lien particulier, une sororité profonde se sont créés. Quand on est actrice, on traverse des choses magnifiques, mais d’autres extrêmement dures aussi, alors j’ai l’impression que sur la place du féminin dans ce métier, sur la manière dont on est regardées, sur ce qu’on vit, on se comprend, entre actrices.
Je viens de tourner avec Kate Winslet, Noémie Merlant et Zita Hanrot (dans Lee, biopic sur la photographe Lee Miller réalisé par Ellen Kuras, ndlr) et immédiatement, comme quelque chose qui éclate au grand jour, j’ai éprouvé un grand amour pour ces femmes. Oui, nous formions une sorte de groupe d’amour et c’était très beau.
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Newtopia veut ouvrir l’esprit des gens
Vous êtes coproductrice de Charlotte : qu’est-ce qui vous intéresse dans cette fonction-là ?
J’adore ça. Le rôle de la productrice, c’est de s’engager totalement sur un film, participer de façon globale à sa création, comme je l’ai fait pour le documentaire de Flore Vasseur (Bigger than us, mosaïque de portraits de jeunes activistes, ndlr).
C’est aussi être garante du rêve du réalisateur qui parfois peut se perdre, s’éloigner de ce qu’il souhaitait au départ, alors à moi de le ramener vers ses envies initiales, car je suis censée avoir le recul nécessaire. C’est une place très intéressante à occuper.
En juin dernier à Cannes, vous avez lancé, avec le réalisateur Cyril Dion et l’activiste Magali Payen, une société de production nommée Newtopia destinée à proposer « des récits ambitieux pour imaginer un monde soutenable et durable ». Qu’est-ce qui a motivé Newtopia, pour vous qui êtes très écoconsciente, la frustration face à un monde du cinéma qui ne se montre pas très concerné par la crise climatique ?
Pas la frustration, mais l’envie d’accompagner scénaristes, réalisateurs et réalisatrices pour qu’ils nous montrent un monde en mouvement, pour qu’ils imaginent une société nouvelle, évolutive, vertueuse, car force est de constater que celle dans laquelle on vit est autodestructrice.
Avec Newtopia, il y a une volonté enthousiasmante d’ouvrir l’esprit de ceux qui, par le cinéma, ont pour métier de nous raconter des histoires.
Le cinéma, une industrie polluante
Qu’est-ce qui vous enthousiasme chez Cyril Dion, le réalisateur comme l’activiste écologique, dont Newtopia va produire le premier film de fiction ?
C’est quelqu’un qui m’a beaucoup appris. Il a une expertise et une connaissance absolument remarquable de la manière dont l’être humain s’autodétruit. Mais il fait face à ses peurs intimes, et même les partage en toute générosité, les livre avec toute son émotion et son humanité, et c’est pour ça qu’il est très écouté.
La production d’un film, c’est souvent beaucoup de voyages en avion, des camions, du monde à nourrir, des tonnes de plastique… Comment peut-on verdir tout ça ?
Le cinéma est effectivement une industrie polluante. Mais il y a beaucoup de postes sur lesquels on peut intervenir.
De plus en plus d’entreprises proposent d’ailleurs des audits pour aider les productions de films à être plus vertueuses. Ça commence par de petites choses, comme réduire le gâchis, remplacer le plastique par des gourdes – à une époque, sur les tournages, on nous donnait des dizaines de gobelets d’eau par jour dès qu’on avait soif – porter une attention particulière à la cantine, trier les déchets sur le plateau…
On devrait imposer une charte de vertu dans la production cinématographique.
Les États-Unis, là-dessus, sont plus en avance que nous. Je me souviens, sur le tournage d’Inception (de Christopher Nolan, ndlr), où Leonardo DiCaprio, très engagé sur ces questions, était là, des panneaux solaires fournissaient l’énergie nécessaire à toutes les machines. Il y a plein de progrès possibles et on devrait d’ailleurs imposer une charte de vertu dans la production cinématographique – mais aussi dans la mode et dans toute industrie polluante. C’est toute une rééducation qu’il faut engager.
Comment réagissez-vous à l’inaction, ou du moins à l’action très insuffisante, en France notamment, de l’État et des gouvernements sur la question climatique ?
Je suis dépitée. Quand on s’engage en politique, j’imagine qu’on a le désir d’accompagner la société, de la transformer, de faire en sorte que les gens vivent bien, ensemble, dans cet air commun dont il faut prendre soin.
Mais le pouvoir abîme : quand on voit les guerres internes, les manipulations au sein des partis, la façon dont les politiques se fichent de ceux par qui ils sont élus, ça entame la beauté de leur fonction. Je suis dépitée par le non-engagement, par l’inaction et pire, par les actions qui vont à l’encontre de ce qu’il faudrait faire.
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Défendre la planète en identifiant ses propres contradictions
Comment éduquez-vous vos enfants aux enjeux écologiques ?
Le soir, au dîner, on parle beaucoup de cela. Ma fille est encore un peu petite (5 ans, ndlr) mais mon fils (11 ans, ndlr) est déjà très sensible aux questions environnementales, humaines, et réagit à l’actualité.
Par exemple, il est fan de foot et du PSG : j’ai été tellement choquée par ce qui s’est passé avec Kylian Mbappé et Christophe Galtier (qui, lors d’une conférence de presse, ont traité la question des voyages en jets de l’équipe avec désinvolture et ricanements, ndlr) que je lui ai montré la vidéo. Ça l’a mis très en colère. Il ne comprenait pas comment ces deux-là pouvaient se comporter comme ça… Bon, peut-être que je lui ai transmis ma colère tellement moi j’étais furieuse !
Je dois bien avouer que quand j’achète un vêtement, c’est plus pour me faire plaisir que par nécessité.
Ça veut dire que vous ne regarderez pas les matchs de la coupe du monde au Qatar ?
Certainement pas !
En matière de questions environnementales, on a tou·tes nos contradictions. Les vôtres, quelles sont-elles ?
L’avion, bien sûr. Mais je le prends beaucoup moins qu’à une époque.
Si on vous propose un tournage à l’autre bout du monde, il se peut que vous le refusiez ou quand même pas ?
Il se peut que je le refuse mais je dois être honnête : plus pour mes enfants que pour l’écologie… Sinon, j’ai mes contradictions, aussi, sur les vêtements. J’en consomme, là encore, beaucoup, beau- coup moins qu’avant, mais je dois bien avouer que quand j’achète aujourd’hui un vêtement, c’est plus pour me faire plaisir que par nécessité – tout en me questionnant quand même beaucoup !
Vous avez eu 47 ans il y a deux jours. Vous les avez fêtés dignement ?
Dignement, je ne sais pas si c’est le mot le plus approprié ! Mais j’aime faire la fête, j’aime réunir mes amis. Pas forcément pour être au centre de l’attention, ce n’est pas ça qui me plaît, mais pour avoir une occasion de rassembler. Et puis j’ai un rapport plutôt tranquille au fait de vieillir, donc oui, c’était bien !
Cette interview a été initialement publiée dans le Marie Claire numéro anniversaire 843, daté décembre 2022.
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