Margaret Qualley, muse énigmatique de "Stars at Noon" : "Je pleure tout le temps et je n'en ai pas honte"

Sous une pluie battante ou une chaleur écrasante, elle déambule, songeuse, dans un Nicaragua fantomatique, souvent seule, ou presque exclusivement entourée d’hommes plus ou moins hostiles. Une bande originale feutrée exceptionnelle du groupe anglais Tindersticks accompagne ses pas. Margaret Qualley est Trish, nymphe menue et impétueuse choisie la réalisatrice française Claire Denis dans Stars at Noon, Grand prix du Jury à Cannes en 2022.

Une histoire d’amour dangereuse

Le long-métrage, qui sort en salle le 14 juin 2023, frôle le film d’espionnage à l’ambiance brumeuse. Mais entre géopolitique et romance sulfureuse, il fait surtout le portrait cru d’une jeune femme esseulée et vulnérable. Pour autant, le personnage de Trish montre un certain courage et une grande détermination dans sa quête de liberté. Face à tous ces hommes qui l’entourent, et qui décident, elle navigue dangereusement entre les désirs et les égos de chacun, se prostituant pour sa survie alors que ses piges de journaliste sont retoquées et que l’argent vient à manquer.

Majestueusement incarnée par la fille de l’actrice et mannequin Andie McDowell, relève bouleversante dans les séries The Leftovers et Maid, Trish est une énigme au même titre que son amant Daniel, soi-disant businessman anglais qu’elle croise dans le hall d’un hôtel luxueux devenu le bastion de rares riches étrangers. Cette relation dont elle pense tirer parti dès le départ, l’éloigne rapidement de son objectif de quitter le pays et l’isole encore davantage. Tandis que, paradoxalement, elle s’abandonne partiellement à l’intimité partagée avec cet homme qu’elle a choisi. Ce coeur, qu’elle essaye ardemment d’enfouir derrière un mur robuste d’humour noir et de froideur, risque-t-il de prendre le pas sur sa raison ?

Jouer la violence et la résilience

Magnétique, Margaret Qualley tient ce rôle plein de contradictions dont la profondeur et la résistance à la violence l’interroge elle-même. Trish serait-elle cette femme impénétrable si elle n’était pas en péril ? Nous avons rencontré l’actrice de 28 ans, qui répond avec une certaine retenue et humilité concernant son personnage féminin encore rarement présenté au cinéma, à la limite de l’anti-héroïne.

Marie Claire : Avez-vous déjà connu des femmes qui, comme Trish, n’ont pas eu le choix que de se battre pour survivre ? Que vous ont-elles enseigné ?

Margaret Qualley : C’est marrant car je suis sûre d’en avoir croisées plein mais la première personne qui me vient à l’esprit est un autre personnage que j’ai joué : Stephanie Land [dont les mémoires ont inspiré la série Netflix Maid dans laquelle elle interprète Alex Russel, jeune mère célibataire victime de violences conjugales et en difficulté financière, ndlr].

Ça a été vraiment une histoire difficile à incarner, une histoire de persévérance. Celle-ci m’a surtout rappelé comme j’ai beaucoup de chance, à quel point je suis privilégiée. Pour n’importe qui, c’est assez unique de voir la façon dont ces femmes traversent les épreuves.

Quand tu baisses la garde, tu t’autorises à t’effondrer.

Que ce soit dans Stars at Noon ou bien dans la série Maid, justement, vous incarnez des femmes victimes d’abus. Ces rôles font-ils écho à des situations que vous avez personnellement connues ?

Non, merci mon dieu (rires). Mais dans Stars at Noon, ce qui m’a attiré dans le personnage de Trish c’est son écriture par Claire Denis. En fait j’étais impatiente de travailler avec elle, c’est une réalisatrice rêvée, une légende.

Ensuite, malgré le fait que mes deux personnages, ici Trish, ou Alex dans Maid, soient toutes les deux plongées dans des situations désespérées, elles gèrent cela très différemment. Trish, elle, n’a pas d’enfant à charge elle est donc dans une situation moins pesante. Certes, elle navigue dans un pays qui n’est pas le sien [le Nicaragua, ndlr] dans des circonstances compliquées [sans passeport et en instabilité financière, ndlr], mais elle a davantage le contrôle.

Elle est une femme instable, imprévisible et assez impolie, c’est aussi une femme qui subit des injustices et des violences. Comment ce personnage brise-t-il l’image d’une victime parfaite qui devrait être irréprochable pour obtenir de l’empathie ?

Trish n’a jamais eu le choix d’agir autrement, elle n’a jamais eu l’opportunité de montrer un caractère plus docile. Ses défauts sont ses mécanismes de défense, à travers eux elle veut faire croire qu’elle est forte. Dans ses plus gros moments de faiblesse et de désespoir, c’est là qu’elle s’enferme le plus sous sa carapace.

C’est plutôt commun chez beaucoup de gens. D’ailleurs la personne qui se conduit comme une ordure envers vous est souvent celle qui est a le moins confiance en elle-même. Si tu es bien dans ta peau, tu peux faire preuve de générosité autour de toi et…

Baisser la garde ?

Exactement. Tu peux alors pleurer et tu t’autorises même à t’effondrer. 

Je pense souvent à quel point ce doit être difficile d’être un homme sur cet aspect-là. Oui les femmes sont soumises à un ensemble différent d’injonctions, qui ne sont vraiment pas meilleures que les leurs, mais le défi spécifique que les hommes doivent relever, celui de ne montrer aucune émotions, c’est quelque chose qui constituerait un véritable casse-tête pour moi.

Je veux dire, je suis émotive, je pleure énormément. Et ce n’est pas grave ! Je n’en ai pas honte du tout, contrairement à Trish qui est gênée de le montrer aux gens, ce qui est assez rare pour un personnage féminin au cinéma.

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Margaret Qualley en anti-héroïne mystérieuse 

Et elle n’a pas besoin d’être un ange pour être crue…

Évidemment, elle reste une victime ! Trish m’inspire, je trouve qu’elle est très déterminée mais aussi particulièrement fière, sur ce dernier point je ne m’identifie pas du tout à elle en revanche. Cette fierté justement, elle me rappelle un peu celle de Claire Denis. Pour toutes les deux ce trait de caractère vient d’un point sensible.

Dans le film on réalise que, ce que dit Trish, elle en pense en fait le contraire. C’est là que se trouve son côté humoristique, sarcastique, mais c’est également là que se trouve son cœur.

Les jeunes femmes ne veulent pas fardeau pour les autres et encaissent en prétendant que quelque chose ne leur pose pas de problème.

Le film comporte de nombreuses scènes de nudité, notamment un rapport sexuel pendant les règles de Trish. Comment avez-vous abordé cette exposition intime à l’écran ? Est-ce que le female gaze de Claire Denis vous aidé sur ce point ?

Femme ou homme, peu importe à mes yeux à partir du moment où il y a une vraie confiance qui s’installe avec la personne qui réalise le film. J’ai entièrement foi en Claire et j’ai eu l’impression d’être dans de bonnes mains. 

Il se trouve qu’elle est en réalité très timide, donc quand il fallait tourner ces scènes elle était dans un coin de la pièce et il n’y avait personne d’autre sur le plateau à part le caméraman et le directeur de la photographie, Éric Gauthier, qui m’a vraiment fait me sentir en sécurité. Claire, elle, était du genre à regarder la scène derrière ses mains, d’un oeil à peine. Je ne me suis vraiment pas sentie exploitée sur ce tournage.

Pour garantir sa sécurité et subvenir à ses besoins, Trish doit se prostituer. Comprenez-vous ces femmes qui se réapproprient leur féminité et leur corps afin de l’utiliser et de reprendre une sorte de contrôle dans un monde dominé par les hommes ?

Je ne suis pas bien placée pour répondre, mais j’ai toutefois une inquiétude. Je crains que cette vision ne serve un récit purement masculin. Si, de façon générale, les femmes avaient la vie plus facile, davantage d’opportunités, je serais curieuse de savoir si quelqu’une serait vraiment intéressé par ça…

En ce qui concerne Trish, elle n’a simplement pas le choix et ça lui coûte bien plus que ce qu’elle ne laisse paraître. Il y a cette tendance qu’ont les jeunes femmes à encaisser, dans l’optique de ne pas être un fardeau pour les autres, et à prétendre que quelque chose ne leur pose pas de problème alors que c’est le cas.

C’est ce qu’il se passe avec Trish, ce n’est pas normal qu’elle doive faire cela et il n’y a en fait aucune partie d’elle qui est en accord avec cela. Pour autant, elle doit s’y résoudre pour s’en sortir, mais elle ne souhaite pas en faire toute une histoire.

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