MacKenzie Scott, l'ex-femme de Jeff Bezos qui partageait ses milliards sans compter

En 2019, son divorce d’avec Jeff Bezos, fondateur et PDG d’Amazon, a fait d’elle la troisième femme la plus riche du monde. Sa fortune, estimée à 53 milliards de dollars, elle la partage sans compter, en toute discrétion. Pleins feux sur une révolutionnaire du don, qui est aussi romancière.

MacKenzie Scott s’est trouvée projetée sous les feux des projecteurs dans des circonstances plutôt douloureuses. Début 2019, un tabloïd américain, le National Enquirer, publiait les textos très privés de Jeff Bezos, le fondateur du géant de l’e-commerce Amazon, à destination de la journaliste Lauren Sánchez, avec qui il entretenait une liaison. Le couple Bezos, déjà séparé depuis plusieurs mois, annonçait alors officiellement sa séparation de manière très civile. MacKenzie n’est pas le genre de femme à régler son divorce au tribunal. Après plusieurs mois de négociations discrètes, elle obtenait 4% des titres Amazon. En l’espace d’une signature en bas d’un contrat, elle devenait la troisième femme la plus riche au monde.

Mais, contrairement à son ex-mari, qui aime les luxueuses vacances en yacht et les signes extérieurs de richesse de quelqu’un qui pèse plus de 100 milliards de dollars, MacKenzie Scott, 51 ans, a un tout autre projet. Elle signe immédiatement The Giving Pledge, le programme lancé par les milliardaires Bill Gates et Warren Buffett, dans lequel les hyperfortunés s’engagent à reverser à des œuvres philanthropiques, de leur vivant, la moitié de leur patrimoine. Une promesse que son ex-mari s’est jusqu’à présent refusé à faire.

Neuf causes délaissées

Elle va même aller beaucoup plus loin : l’arrivée de la pandémie accroît brutalement les inégalités économiques et l’urgence de donner aux plus démunis. En juillet 2020, MacKenzie Scott publie un premier post sur le site Medium, qui bouscule le monde de la philanthropie. Par les montants qu’elle annonce tout d’abord : seule, sans avoir créé de fondation ni de structure ad hoc, elle a déjà versé 1,7 milliard de dollars à 116 associations américaines en l’espace de quelques mois. Surtout, elle veut contribuer, par ses dons, à partager les avantages dont elle a bénéficié. «Il ne fait aucun doute dans mon esprit que la richesse d’une personne est le produit d’un effort collectif et de structures sociales qui offrent des opportunités à certains et présentent des obstacles à de nombreux autres», confie-t-elle. Elle explique avoir orienté ses dons sur neuf causes délaissées, dont l’équité raciale, l’égalité LGBTQ+, l’égalité femmes-hommes, la santé publique ou encore le changement climatique.

Enfin, MacKenzie Scott agit d’une manière totalement différente de ses congénères philanthropes : l’argent est donné sans aucune condition ni de compte à rendre sur la manière dont il est dépensé. S’ensuit un deuxième post en décembre 2020, où elle explique avoir recruté une petite équipe, avec qui elle a mené des recherches et sélectionné cette fois 384 associations, qu’elle nomme. Elles ont reçu plus de 4 milliards de dollars de dons, ce qui porte le montant total à 6 milliards de dollars en moins d’un an.

Des dons ciblés, immédiats et sans aucune condition

MacKenzie Scott est une révolutionnaire dans ce monde feutré et codifié. «Elle fait de la philanthropie de façon antipaternaliste. Elle ne dicte pas leurs priorités à ces associations, comme c’est souvent le cas de la part de donateurs individuels», analyse Rob Reich, professeur à Stanford et auteur du livre Just Giving: Why Philanthropy Is Failing Democracy and How It Can Do Better (Éditions Princeton University Press). «Ces dons sont uniques sous tant d’aspects : les objectifs, le volume et la transparence sur les bénéficiaires. Elle a fait ses recherches et montre sa confiance totale en faisant des dons non restrictifs», juge Debra Mesch, professeure du Women’s Philanthropy Institut à l’université d’Indiana. Alors que la Fondation Bill & Melinda Gates, la plus active au monde, a donné 5,1 milliards de dollars en 2019, une seule femme est parvenue à faire encore plus et plus vite, toute seule.

Une méthode féminine

«Les femmes donnent avec le cœur, elles ne pensent pas aux avantages fiscaux mais à l’impact qu’elles peuvent avoir. Cette approche transformationnelle s’oppose à celle des hommes, plus transactionnelle», selon Debra Mesch. Cette dernière applaudit la décision de MacKenzie Scott de sortir de son silence. «En général, les femmes sont plus réticentes à parler de leurs actions philanthropiques, l’inconvénient est qu’elles ne peuvent pas servir de modèle à d’autres femmes», ajoute Debra Mesch. De son côté, la philanthrope explique avoir voulu tirer parti «d’un pouvoir que j’avais négligé : celui de mettre en lumière des organisations et des leaders du changement». Mais cette démarche très informelle fait aussi grincer des dents. «Il n’y a pas de site Web, de procédure d’application, d’informations sur ses prochaines actions. Elle exerce une forme de pouvoir avec cet argent, et une société démocratique devrait pouvoir aussi examiner son initiative, pas seulement être reconnaissante», juge Rob Reich.

Une passion précoce pour la littérature

Jeff Bezos et sa femme Mackenzie de passage à Hollywood, le 9 novembre 2004.

Avant de révolutionner la philanthropie moderne, MacKenzie Scott a longtemps vécu dans l’ombre de son mari. On sait d’ailleurs peu de choses sur cette grande brune au physique longiligne, difficile à cerner derrière son teint pâle et ses hautes pommettes. Née en 1970 à San Francisco, dans une famille aisée, elle écrit son premier livre à 6 ans, un manuscrit de 152 pages rédigé sur du papier brouillon récupéré à l’école. Elle se passionne très tôt pour la littérature et, dès le lycée, demande à échanger ses cours de sport pour ceux de fiction. La jeune femme a déjà un objectif précis : celui d’étudier l’écriture à Princeton avec le prix Nobel de littérature Toni Morrison. Mission accomplie : elle parvient à écrire son mémoire avec cette dernière, qui la décrit comme «l’une de mes meilleures étudiantes» et la recommande à des agents littéraires.

Fraîchement diplômée, MacKenzie Scott déménage à New York et, pour payer ses factures tout en travaillant à son premier roman, trouve un emploi au sein d’un fonds spéculatif. Elle y rencontre Jeff Bezos, qui occupe le bureau à côté du sien. Elle raconte être tombée amoureuse de son rire tonitruant. Trois mois plus tard, ils se fiancent et se marient en 1993, alors que la jeune femme n’a que 23 ans. Les opposés s’attirent : elle est la timide romancière, il est le jeune exécutif ultrasociable. Jeff Bezos lui parle de son idée de site Internet de vente de livres, et elle l’encourage à se lancer. «Je n’avais pas de connaissance en business, mais j’ai vu sa passion, son excitation», a-t-elle raconté. En 1994, le couple quitte en voiture New York pour Seattle, à l’autre bout du pays. Pendant que MacKenzie conduit, Jeff écrit le business plan de ce qui deviendra Amazon.

Première employée d’Amazon

Après 25 ans de mariage, l’homme le plus riche du monde se sépare de sa femme. (Hollywood, le 26 février 2017.)

MacKenzie poursuit l’écriture de son premier roman la nuit, et devient la première salariée d’Amazon le jour. Elle s’occupe de tâches administratives et comptables, et ne laisse rien paraître de ses ambitions littéraires. «Elle semblait parfaitement satisfaite de ce qu’elle faisait», raconte Jonathan Kochmer, un salarié d’Amazon entré en 1996. MacKenzie participe aussi aux réunions stratégiques et offre de précieux conseils à son mari. Le succès d’Amazon est rapide et fulgurant, le groupe entre en Bourse en 1997, s’étend à la musique. Dès 1999, Jeff Bezos est nommé Personne de l’année par le magazine Time . Selon les premiers salariés, c’est alors que s’opère un changement dans la culture d’entreprise. Le fondateur veut désormais révolutionner Internet et mettre à exécution une vision follement ambitieuse. Nul ne sait à quel moment MacKenzie Bezos sort de l’entreprise, elle prend progressivement du champ, afin de se concentrer sur son roman et sa famille.

Deux romans, quatre enfants et une séparation

Pendant qu’Amazon conquiert le monde, MacKenzie Bezos élève quatre enfants, dont une petite fille adoptée en Chine, et sort en 2005 son premier roman, The Testing of Luther Albright, après dix ans de travail et «beaucoup de larmes», de son propre aveu. Elle replonge dans l’anonymat pendant huit ans. En 2013, elle publie un deuxième livre, Traps, le parcours croisé de quatre femmes. Elle y évoque le soutien de son mari dans sa carrière d’écrivaine, qui relit ses manuscrits : «Jeff est mon meilleur lecteur», dit-elle de lui, à l’époque. Et reprend sa vie de soccer mom, qui conduit les enfants à l’école dans son minivan. Une image de femme exemplaire, alors même que Jeff Bezos devient l’homme le plus riche du monde. Depuis son divorce, elle a gardé ce mode de vie très discret à Seattle, tout en travaillant d’arrache-pied pour réallouer son patrimoine de façon plus équitable.

Un monde associatif comblé

Mackenzie Scott et Dan Jewett, les nouveaux mariés.

Pour les bénéficiaires de son action philanthropique, en pleine pandémie, ces dons inattendus sont comme un cadeau tombé du ciel. «Nous avons de plus en plus de repas à livrer, et le timing est parfait pour nous, cela va nous permettre d’augmenter nos capacités», explique Joseph Tornello, président de Meals on Wheels of Staten Island, qui distribue des repas à domicile. «Ce don vient au moment où les organisations se reconstruisent et ont encore plus besoin de ressources, nous pouvons élargir notre action et accélérer», explique Katie Carter, PDG de Pride Foundation, qui soutient la cause LGBTQ+ à Seattle. Les associations concernées n’ont pas besoin de faire de rapport sur l’impact des dons et, surtout, peuvent les dépenser à leur discrétion, ce qui est totalement nouveau. «Nous avons prévu d’utiliser cet argent pour des initiatives qui ne sont habituellement pas financées par nos donateurs : étendre notre plateforme digitale, monter un fonds de retraite pour nos employés, mais aussi lancer de nouveaux programmes, comme des cartes de crédit pour les personnes non bancarisées», explique Dorri McWhorter de YWCA Metropolitan Chicago, association de lutte contre le racisme et pour la cause des femmes.

MacKenzie Scott ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, d’autant qu’elle est désormais accompagnée. Début mars, elle a annoncé s’être remariée avec Dan Jewett, un professeur de chimie du lycée de ses enfants. Ce dernier vient de signer lui aussi The Giving Pledge : «Par la plus heureuse des coïncidences, je suis marié avec l’une des plus généreuses et gentilles personnes que je connaisse, et je la rejoins dans l’engagement de transmettre une fortune colossale pour servir les autres.» Le couple en a les moyens : même après avoir donné 6 milliards de dollars, MacKenzie Scott reste plus riche qu’elle n’était début 2020, en raison du parcours boursier exceptionnel d’Amazon pendant la pandémie.

Les femmes philanthropes les plus actives

Melinda Gates. Avec son célèbre mari, Bill Gates, elle a créé la Fondation Bill & Melinda Gates en 2000, qui a pour objectif d’améliorer les soins de santé dans le monde et de réduire l’extrême pauvreté. Elle est dotée de 45 milliards de dollars. Melinda s’est aussi focalisée sur l’accès à la contraception des femmes.

Priscilla Chan. Pédiatre, la femme de Mark Zuckerberg dirige la Chan Zuckerberg Initiative .Créée en 2015, cette fondation a pour ambition d’éradiquer les maladies infantiles et de promouvoir l’éducation. Ils ont promis de lui transférer à terme 99 % de leur fortune, estimée à 45 milliards de dollars.

Laurene Powell Jobs. En 2011, après le décès de son mari, Steve Jobs, elle a hérité de près de 20 milliards de dollars. Elle a fondé Emerson Collective, une structure privée qui œuvre pour la justice sociale, l’éducation, l’immigration et les médias. Mais aussi l’association College Track, qui aide à améliorer l’éducation des défavorisés.

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