Macha Méril : "Michel Legrand et moi avons incarné l'espoir que l'amour existe"

L’actrice, qui a vécu une histoire tardive mais intense avec le compositeur Michel Legrand, nous a reçus chez elle, pour parler théâtre, musique et amour.

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Vous avez récemment donné une série de représentations de Sorcière, d’après Marguerite Duras, avec la musique de Michel Legrand. La combinaison de deux passions ?

J’ai toujours pensé que les musiques de Michel étaient formidables pour le théâtre et je rêvais de les associer à un auteur. Je me suis replongée dans Marguerite Duras, notamment des textes peu connus tirés d’une revue qui s’appelait Sorcière, qui traitent de la parole féminine. J’ai voulu non pas faire une simple lecture, mais interpréter ces écrits poussés par les musiques. Ce ne sont pas de simples accompagnements mais des ponts d’une idée à l’autre. Ce spectacle donne la parole à vingt femmes différentes et je dois passer de l’une à l’autre avec beaucoup de rapidité, c’est très acrobatique. Michel me disait toujours : « Quand on monte sur scène il faut réaliser un exploit. Il faut que ce soit difficile, qu’on se surpasse. » Je ne m’imaginais pas capable de faire ça. J’ai eu beaucoup de bonheur : tous les soirs j’étais avec Michel.

Vous vous êtes donné pour mission de perpétuer son héritage musical. De quelle façon ?

Nous allons créer un festival Michel-Legrand, ici, dans son château. Nous allons le faire en une soirée avec un concert et la remise des deux prix Michel-Legrand : l’un pour récompenser une musique de film, l’autre pour un spectacle musical. Le jury sera composé de réalisateurs comme Damien Chazelle, Bertrand Tavernier, Jean-Jacques Annaud, Jean-Paul Rappeneau… Par ailleurs, il y a également beaucoup de partitions inédites : un opéra dont j’ai écrit les paroles, un oratorio, deux concertos, des chansons jamais publiées. J’ai demandé à de grands écrivains d’écrire des paroles sur ces musiques où il chante la mélodie. Quand j‘ai appelé Éric-Emmanuel Schmitt, Patrick Modiano, Philippe Grimbert, Michel Onfray ou Régis Debray, je me suis aperçue qu’ils étaient tous fans de Michel Legrand.

Est-il sous-estimé ?

Ce n’était pas qu’un musicien de cinéma, c’était un immense compositeur. Le cinéma l’a attrapé parce que le milieu du classique était bouché. Quand il est sorti du conservatoire, Pierre Boulez et la musique contemporaine régnaient en maître. Michel n’aimait pas ça. Il est donc parti aux États-Unis. Ce qu’il écrivait pour les films, c’était de la musique symphonique. Son but était d’avoir sa place parmi les grands compositeurs français.

Craignez-vous, comme beaucoup, la disparition de la culture à cause de la crise sanitaire ?

Je suis assez optimiste. Le virus va peut-être nettoyer le monde de ce que Michel appelait les faux-monnayeurs. Tous les mauvais qui font des succès passagers qui occupent le devant de la scène. Ne résisteront à cette crise que ceux capables de donner leur vie à leur art. Il y avait peut-être besoin d’un grand nettoyage. Tous ces métiers qui nécessitent de la passion et du sacrifice sont encombrés par des gens qui profitent de cette vitrine. C’est un peu cruel de dire ça mais c’est peut-être quelque chose qui va être bénéfique.

La maladie vous effraie-t-elle, à titre personnel ?

Pas plus qu’autre chose. Je vais vous dire, la vieillesse, c’est formidable. C’est un âge absolument unique. On a la connaissance, le tri qu’a fait la mémoire et un petit compte à rebours qui vous donne une envie de vivre démultipliée. Avec en plus une sorte de liberté naturelle. Ce qu’on peut dire de moi, je m’en fous ! Il n’y a plus qu’une seule chose, le présent et la jouissance.

Donc 80 ans, c’est le bel âge.

Vraiment ! Parce que j’ai une mission qui est de faire vivre l’œuvre de Michel mais aussi de continuer d’être l’exemple que nous étions ensemble. Au nom de cet amour que nous avons vécu. Nous avons compris que c’était prioritaire, nous devions faire quelque chose qui ressemble à la qualité de cet amour. Donc une œuvre. C’est plus réjouissant que de gagner de l’argent ou de faire famille, c’est exaltant. Il ne faut pas avoir peur d’avoir des grands projets. Ce sont les petits projets qui usent. Pas les grandes entreprises.

En quoi estimez-vous que votre couple était un exemple ?

Michel et moi avons incarné l’espoir que l’amour existe. On irradiait. Un jour nous étions dans la rue, et il y avait cette dame qui sortait d’une boulangerie. Elle était pétrifiée. Elle m’a offert sa baguette. Elle avait reconnu l’amour et vu que nous étions quelque chose dont elle avait besoin. C’était fou. Les gens nous touchaient comme si nous étions des dieux vivants. Et c’est parce que nous avions cet âge que c’était si évident. Nous étions inscrits dans un livre d’or éternel.

Vous dites que Michel Legrand est toujours avec vous. Croyez-vous à l’au-delà ?

Oui, on peut avoir une spiritualité sans avoir de religion. Un esprit ne peut pas disparaître comme ça, ce n’est pas possible. Il y a une continuité. J’en ai des preuves tout le temps, il me laisse des signes. Michel aussi croyait à cette permanence de l’existence après la mort. Elle ne nous sépare pas. Je vis une vie autre avec lui, je n’ai pas besoin qu’on me plaigne et je ne suis pas à plaindre. Les petits chagrins humains n’ont pas tant d’importance.

Avec « Vania, Vassia et la fille de Vassia » (éd. Liana Lévy), Macha Méril signe un roman historique qui raconte le destin de trois émigrés russes en France. Une fresque historique et lyrique qui fait écho à l’histoire de la propre famille de l’actrice, issue de la noblesse chassée par la révolution bolchévique en 1917, qui a trouvé refuge sur la Côte d’Azur.

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