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Lyna Khoudri : “À 16 ans, j’avais déjà cette flamme qui m’a menée vers ce métier”
En quelques films, Lyna Khoudri s’est imposée comme la nouvelle sensation du cinéma français. Cette jeune actrice solaire a séduit Wes Anderson, qui l’a choisie pour jouer aux côtés de Timothée Chalamet dans The French Dispatch. Pour nous, elle sublime les plus belles silhouettes couture de la saison. Porte ouverte sur les rêves.
Ces derniers mois, son visage aurait dû sans cesse nous accompagner. Lyna Khoudri avait trois films à défendre : le très attendu The French Dispatch, de Wes Anderson ; Gagarine, de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, conte teinté de réalisme magique sélectionné à Cannes. Et Haute Couture, de Sylvie Ohayon, une plongée dans les ateliers de la maison Dior, avec Nathalie Baye, en janvier. À la place, Lyna Khoudri a attendu. Que la pandémie s’efface, que les restrictions soient levées. Que les salles de cinéma rouvrent, que le feu vert soit donné. Las, aucun de ces films n’a été dévoilé au public pour l’instant. Dans l’appartement proche de l’Arc de Triomphe où elle nous reçoit, prêté par une amie partie vivre à l’étranger, la jeune actrice confesse son désarroi : «Je n’arrive pas à me projeter, même dans la fiction. Cela me fait bizarre de voir des films de la vie d’avant, des gens qui se serrent la main, dansent en boîte de nuit… Ce n’est plus ma réalité. Et moi, j’aime que les films me rappellent ma vie, qu’ils me fassent réfléchir.»
En attendant que la «vraie» vie recommence, on se souvient que c’est avec un film au plus près du réel que l’on a découvert Lyna Khoudri, en 2019 : le formidable Papicha, récit vibrant d’une jeunesse algérienne confrontée à la montée de l’intégrisme, durant la guerre civile qui, dans les années 1990, a meurtri le pays. Un film fort, intense, qui a valu à l’actrice de 28 ans le César du meilleur espoir féminin en 2020 et au film le César du meilleur premier film. Sa réalisatrice, Mounia Meddour, se souvient : c’est ensemble qu’elles ont forgé le personnage de Nedjma, qui organise un défilé de mode pour tenir tête à ceux qui veulent anihiler les femmes. Ensemble qu’elles ont imaginé ses répliques, ses vêtements, son passé. Si la sœur de Nedjma est journaliste, c’est en référence au père de Lyna, qui, menacé, a dû fuir l’Algérie avec toute sa famille, direction Aubervilliers, alors que cette dernière n’avait qu’1 an et demi. «Je l’avais choisie en partie pour ce vécu, parce que son “algérianité” était liée à une histoire intime très forte, se souvient Mounia Meddour. Cela forge une personnalité.»
En vidéo, « The French Dispatch », la bande annonce
La réalisatrice loue le talent de son actrice, mais aussi sa soif de connaître ce qui sous-tend un rôle : «Lyna veut comprendre et chercher. Il y a beaucoup de bons comédiens. Mais les très bons le doivent à un mélange de travail et de curiosité.» L’acteur Finnegan Oldfield, qui lui donne la réplique dans Gagarine, souligne sa «grande capacité d’écoute.» Et Pascal Rambert, qui l’a mise en scène dans la pièce de théâtre Actrice en 2017, salue son instinct du jeu : «Lyna sait immédiatement quelle direction prendre, comment aller vers tel ou tel sentiment. C’est assez rare.»
Une flamme déjà présente
Quand elle lit un scénario, Lyna Khoudri sait d’emblée s’il lui correspond ou pas. Et tant mieux si le personnage est éloigné d’elle, au point de devoir l’apprivoiser pour s’y fondre et le rejoindre. «J’aime qu’il y ait un défi. Quand j’ai lu le scénario de Gagarine et découvert l’histoire de cette jeune fille rom, Diana, qui répare des ascenseurs et vend de la ferraille à 16 ans, j’ai immédiatement eu envie de jouer ce personnage. Diana nourrit un rêve, elle veut vivre à New York. Moi, à son âge, je n’avais pas son assurance, je n’arrivais même pas à formuler que je voulais être comédienne, mais j’avais déjà cette flamme qui m’a menée vers ce métier. Dans Haute Couture, Jade, mon personnage, vole le sac d’une couturière qui va lui ouvrir les portes de la mode : elle a 20 ans, fait des erreurs et se conduit comme une adolescente. Mais comme moi, elle est capable de tout sacrifier pour sa famille. Juliette, dans The French Dispatch, est une étudiante qui se bat pour les droits des jeunes, elle déteste l’injustice… Là aussi, il y a quelque chose de moi.»
Du tournage du film de Wes Anderson, l’actrice garde le souvenir d’une joyeuse colonie de vacances. D’un plateau où elle croisait Bill Murray s’accompagnant sans cesse d’une petite enceinte portative pour danser et offrant des chocolats à la volée. De répétitions en chambres d’hôtel avec Frances McDormand et Timothée Chalamet. De grandes tablées réunissant la tribu historique de Wes Anderson, à Adrian Brody ou Owen Wilson, de son équipe technique : «Ils sont tellement contents d’accueillir des nouveaux, comme Timothée et moi. À table, quelqu’un va toujours faire un petit discours qui finit par : “Vous êtes la nouvelle génération, c’est à vous de reprendre le flambeau. Bienvenue dans la famille !”»
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Une consécration pour celle qui dit avoir longtemps souffert de complexes : «Adolescente, je ne croyais pas du tout en moi. Je recherchais des modèles.» Isabelle Adjani en a été un, important : «Quand j’ai vu Camille Claudel, je me suis dit : “C’est incroyable, ça existe, de jouer comme ça ?” Ce qui est fou, c’est que je l’ai rencontrée, par hasard, à 16 ans, lors d’un entretien organisé par un magazine entre elle et des lycéens, à l’occasion de la sortie de La Journée de la jupe.» Ce n’est qu’ensuite qu’elle découvre les origines algériennes de l’actrice, et ses combats : «Ses prises de parole sont toujours d’une incroyable justesse. Elle met tellement de cœur dans tout ce qu’elle fait, cela me touche beaucoup.»
Lyna Khoudri est, elle aussi, en prise avec le monde qui l’entoure et l’exprime à travers ses rôles. «Tout est politique selon moi, même des comédies comme Nos jours heureux ou Papa ou maman : ces films racontent quelque chose de la société. Ce n’est pas un critère, mais quand, en lisant un script, je me dis : “Mais oui, il faut parler de ça !”, cela oriente mes choix.»
Entre souvenirs et fierté
«Lyna a beaucoup de profondeur, confirme Pascal Rambert. C’est raisonné, réfléchi, elle n’est pas engagée parce que c’est dans l’air du temps. Cela vient de choses qu’elle a vécues entièrement, irremplaçables.» Et de son père, en premier lieu. Lyna sourit en l’évoquant : «Je ne me définis par aucun courant politique, je n’en ai pas besoin. Mais si je dis à mon père que je suis autre chose que communiste, cela peut partir dans des discussions sans fin !» Elle évoque aussi sa jeunesse passée en banlieue : «J’ai voulu comprendre qui je suis, pourquoi nous sommes là. J’ai beaucoup lu : l’histoire de l’Algérie, des immigrés, la décolonisation, les ouvrages de Frantz Fanon ou d’Aimé Césaire… pour arriver à moi, Lyna.»
La force de ses rôles féminins ? Lyna Khoudri en trouve sans doute l’inspiration auprès de sa mère, à laquelle elle a rendu hommage en 2017 en recevant le Prix Orizzonti de la meilleure actrice, à la Mostra de Venise, pour Les Bienheureux. Sur scène, trophée à la main, la jeune actrice l’a remerciée à sa façon : «Merci d’avoir si souvent été un homme.»
«Ma mère a sacrifié sa vie pour moi, explique-t-elle aujourd’hui. En Algérie, elle était professeure de violon : quand nous sommes arrivés en France, elle n’en a plus jamais joué parce qu’il fallait payer le loyer. Elle a tout fait : des ménages, caissière, agent de sécurité… Mon père vivait quelque chose de beaucoup trop violent, il refusait de faire un autre métier que celui de journaliste. Je leur dois énormément à tous les deux, mais sans elle, mon père m’aurait appris à chanter L’Internationale, mais ne m’aurait pas donné de pain ! Ma mère a été plus forte. Jamais elle ne nous a montré combien c’était dur. Elle a été douce, aimante, câline, tout en travaillant toujours d’arrache-pied. Elle a vraiment tenu les deux rôles.» Ses parents ont vu Papicha : s’ils sont fiers de leur fille, ils n’ont jamais parlé avec elle du film, par pudeur, et parce qu’il remue trop de souvenirs douloureux.
Mais de son passé, elle refuse de faire quelque chose de dramatique. Tout comme ses origines ne doivent en rien déterminer les chemins de sa carrière. Avant toute chose, Lyna Khoudri est une actrice. Et même, une actrice en mouvement. Qui prépare ses rôles, malgré l’incertitude qui pèse sur les tournages à venir. Qui évolue, avec la même élégance et la même curiosité, dans des robes haute couture que dans les rues d’Alger. Qui s’engage auprès de l’association Solidarités Saint-Bernard, qui distribue, depuis le premier confinement, des denrées alimentaires aux populations défavorisées du XVIIIe arrondissement de Paris : «Cela m’a fait prendre conscience que de petites initiatives peuvent parfois davantage que de grandes décisions collectives. Cela redonne du sens à cette période.» Une jeune femme de son temps. Qui, on le sent, va nous accompagner longtemps.
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