Louise Bourgoin : "Mes histoires d'amour préférées sont toujours empêchées"

Ces choses que nous sommes prêt·es à faire par amour. Un thème si intime qu’il en devient universel, sur lequel elle pourrait longuement philosopher, la voix posée, le regard ému, plongé dans ses pensées exprimées avec fluidité.

Depuis le mercredi 5 avril, les salles obscures projettent C’est mon homme de Guillaume Bureau, un grand film d’amour, dans lequel Louise Bourgoin apparaît, en deuxième partie du film, pour, comme elle s’en amuse, « semer le spectateur ». Alors que Leïla Behkti retrouve son époux (Karim Leklou), revenu amnésique du champ de bataille de la guerre 14-18, l’épaule dans sa rééducation du cœur, Louise Bourgoin débarque à l’écran, et présente à Karim Leklou comme au public, des preuves solides qu’il est en fait son homme.

Rencontre.

Aimer noblement, aimer librement

Marie Claire : Comment vous êtes-vous préparée à ce rôle d’époque ? 

Louise Bourgoin : Mon personnage se travestit, chante des opérettes des années 1920, désuètes et charmantes, et danse dans un cabaret exclusivement féminin. Pour ce rôle, j’ai eu la chance d’être préparée par deux coachs. Les costumes, comme le théâtre dans lequel je joue – un véritable cabaret ancien -, m’ont aussi beaucoup aidée, portée. 

Que dit votre personnage de la place des femmes dans cette France des années 1920 ?

Que la guerre leur a appris à vivre sans homme. Il était très important pour le metteur en scène, que mon personnage, comme celui de Leïla Bekhti, qui se réclament toutes deux comme la conjointe du même homme, soient très indépendantes financièrement. Qu’il n’y ait pas de questions vénales sous-entendues.

Nous sommes deux femmes artistes qui ont réussi. Le personnage de Leïla Bekhti est photographe, un métier rarement exercé par des femmes dans les années 1920. Elle est très affranchie des codes de l’époque. Quant à la femme que j’incarne, elle a gagné beaucoup d’argent pendant cette Première guerre mondiale en se mettant en scène.

Je ne dis pas que je serais capable d’aimer comme elle aime, d’avoir sa noblesse.

Quel est la définition de l’amour pour cette femme que vous incarnez ? Quel regard portez-vous sur sa façon d’aimer ?

Avec toutes ses plumes et ses fanfreluches, on pourrait penser qu’elle est vénale, intéressée, et ment. Au contraire, sa façon d’aimer est très noble : elle l’aime tellement qu’elle est capable de le laisser vivre une autre historie d’amour. De le laisser aimer librement. Je ne dis pas que je serais capable de faire ce qu’elle fait, d’aimer comme elle aime, d’avoir sa noblesse.

Sa vision de l’amour tranche avec la manière dont le personnage de Leïla Bekthi aime, de manière viscérale. Il fallait proposer une autre forme d’amour, plus détachée, plus libre et peut-être aussi plus mature. Mon personnage accepte que l’autre ne l’aime pas. 

Et puis, elle s’est tellement accomplie dans son travail qu’elle n’a pas besoin d’un homme pour vivre. Elle existe par et pour elle-même.

Le deuil d’un amour disparu ou impossible

Il ne devait pas être simple pour Leïla Bekhti comme pour vous de jouer ces femmes convaincues, tout en maintenant notre doute, mais la mission devait aussi être complexe pour Karim Leklou… Que vous inspire son personnage ?

On vit tout à travers lui, à travers ses yeux. Comme il est amnésique, il naît devant nous, il s’interroge comme nous, spectateur, sur ces deux femmes qui fonctionnent en miroir. On respire avec lui. On est tiraillé avec lui. Et cela rend le spectateur très actif.

Il va essayer de devenir qui il est, d’échapper à la norme sociale, qui lui raconte une histoire qui n’est plus la sienne. C’est précisément ce je trouve intéressant dans ce scénario, inspiré d’ailleurs par deux histoires vraies.

D’abord, dans ces années 1920, deux Italiennes s’étaient ainsi disputées le même homme [Comme le retrace le film L’Amnésique de Collegno, réalisé par Sergio Corbucci, sorti en 1962, ndlr]. Une autre affaire avait défrayé la chronique à la sortie de la guerre 14-18. On avait retrouvé un soldat sur un quai de gare, alors complètement amnésique. Il avait été surnommé « le soldat inconnu vivant ». À la parution de son portrait dans la presse, plus d’une centaine de familles l’avaient réclamé comme un frère, un père, un fils, un oncle, alors qu’évidemment, il ne pouvait pas être tout cela à la fois. 

Que racontent ces histoires vraies sur nos comportement humains ?

Elles prouvent que nous avons besoin d’un palliatif et d’un objet transitionnel pour faire notre deuil. Ce qui est compréhensible.

Environ 300 000 soldats furent portés-disparus à la sortie de cette Première guerre mondiale. C’est autant de familles endeuillées.

Quand l’être aimé a disparu, on ne parvient pas à faire son deuil. C’est aussi le cas en amour, en fait. Le parallèle avec le sentiment amoureux que fait ce film est très beau. Quand on est très amoureux·se et que la relation se termine, on a du mal à se projeter ailleurs, dans une autre histoire. À vivre.

Vous dites que votre personnage fonctionne « en miroir » avec celui de Leïla Bekhti. Comment êtes-vous parvenues à ne pas glisser dans l’écueil, le cliché, de la rivalité féminine ?

D’abord, nous avons peu de scènes ensemble, donc on ne « s’affronte » pas vraiment. Nous sommes plutôt en rivalité avec nous-même finalement. Cet homme amnésique, très spectateur et attentiste, nous renvoie à nous, à ce que l’on est prêt à faire par amour, à notre capacité à vivre sans amour. Sans cet amour.

J’aime ces amours impossibles, ces flammes brûlantes maintenues pour toujours.

C’est mon homme est un film à suspens et d’amour à la fois. Quels sont les indispensables ingrédients d’une réalisation romantique pour qu’elle vous transporte ?

Mes histoires d’amours préférées sont toujours empêchées. C’est le principe de Roméo et JulietteJ’aime ces amours impossibles, ces flammes brûlantes maintenues pour toujours. Je pense par exemple à La fièvre dans le sang d’Elia Kazan. 

À quand un prochaine fiction historique ? Tenir un rôle en costumes vous a-t-il plu ?

Beaucoup. C’est drôle parce qu’on m’a souvent dit que je devrais jouer dans un film d’époque. Je ne sais pas si c’est à cause de ma voix ou de mon visage classique.

En France, la mode est au film social contemporain, et puis, c’est cher à produire, un film d’époque. Donc à part Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec [2010, réalisé par Luc Besson, ndlr] qui se déroulait en 1913, je n’avais, avant C’est mon homme, jamais participé à un film d’époque. Mais je viens de terminer le tournage de Mr Spade, une série signée Scott Frank, qui a réalisé le Jeu de la Dame. Dans cette histoire qui se déroule dans les années 60, je joue aussi une chanteuse dans un club de jazz. Ça fait trois ans que je prenais des cours de chant, ma professeure ne cessait de m’encourager : « Mais un jour, tu auras un rôle de chanteuse ». Et voilà : deux dans la même année ! J’ai de la chance.

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